Recours collectifs contre les syndicats (1)

2010/10/05 | Par Maude Messier

Véritable armada, les procédures judiciaires à l’endroit des syndicats sont nombreuses : poursuites en diffamation et en responsabilité civile, outrages aux tribunaux, poursuites bâillons (SLAP), poursuites en dommages, sans compter les lois spéciales entravant la liberté d’association et imposant les conditions de travail d’un groupe de travailleurs et de travailleuses.

En nette progression depuis les années 1990, les recours collectifs sont désormais une réalité préoccupante avec laquelle doivent conjuguer les organisations syndicales. Temps, ressources et énergie sont investis par les syndicats pour défendre devant les tribunaux la rectitude de leurs actions.

Autant de ressources financières englouties dans des procédures judiciaires lourdes, au détriment des activités syndicales à proprement dit, soit la formation, l’éducation, la mobilisation, etc. Autant de sommes faramineuses qui, plus souvent qu’autrement, profitent surtout aux avocats spécialisés dans ce type de recours.

Autopsie d’un mal grandissant qui paralyse l’action syndicale, tant en termes financiers que par la menace incessante d’un recours pouvant facilement s’élever à plusieurs dizaines de millions de dollars.

Un cas de figure : les cols bleus de Montréal

La Cour supérieure du Québec a rendu une décision au début du mois de septembre relativement au recours collectif Biondi. Décembre 2004, au cœur d’un conflit de travail avec la ville de Montréal, les cols bleus ont cessé l’épandage d’abrasifs au centre-ville en guise de moyens de pression, malgré le verglas. De nombreux citoyens ont chuté, certains se sont même blessés grièvement.

Dans un jugement acéré, la juge Grenier condamne la Ville de Montréal et le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP 301) à indemniser les victimes. Elle ajoute même une amende supplémentaire au syndicat de 2 millions de dollars en dommages punitifs pour sa « conduite répréhensible » et son « comportement téméraire et d'une insouciance inouïe ».

Michel Parent, président du 301, refuse de commenter le dossier pour le moment, mais se dit préoccupé par la multiplication des interventions judiciaires dans les relations de travail.

Le syndicat a aussi dû faire face à un autre recours collectif relativement à une manifestation en 2004. « C’était une manifestation spontanée des travailleurs pour démontrer leur mécontentement par rapport à la sentence Lavoie », explique le syndicaliste.

Insatisfaits des conditions de travail qui leur sont imposées par cette sentence, près de 200 camionneurs convergent vers l’hôtel de ville de Montréal le 17 septembre 2003, embourbant complètement le quadrilatère et créant un chahut énorme.

Le recours collectif Boris Coll réclamait au syndicat des dédommagements pour les désagréments encourus par les citoyens, les retards causés par les embouteillages monstres et les autres pertes financières associées. Avec un potentiel de 25 000 personnes touchées, le recours initial s’élevait à 38 millions de dollars.

« C’est colossal! On a décidé d’aller en appel et le jugement a finalement été renversé. La Cour suprême n’a pas voulu entendre la demande de révision. Nous n’avons donc rien eu à payer en bout de ligne, hormis nos frais d’avocat. »

Ces deux exemples appuient les observations de Michel Parent quant à une nette tendance à la judiciarisation des relations de travail. « Et pas seulement dans des grosses causes ou des recours collectifs, mais à tous les jours, au quotidien, sur le terrain. »

À couteaux tirés avec la ville de Montréal, la situation a atteint un paroxysme pour les cols bleus. Michel Parent explique que toutes les altercations en milieu de travail entre les travailleurs et les contremaîtres font normalement l’objet d’un avis disciplinaire et une progression des avis est prévue. « Maintenant, à Montréal, quand il y a une altercation, ils appellent la police. Tu ne peux pas être plus judiciarisé que ça! »

Michel Parent voit clairement une tentative de bâillonnement dans les recours collectifs intentés contre les actions prises par les syndicats. « C’est omniprésent. Depuis les années 1990, les relations de travail se sont lourdement judiciarisées. C’est une façon de faire de l’establishment de mettre de la pression sur les syndicats et sur leurs membres. »

Charge de travail considérable et coûts faramineux, autant d’énergie gaspillée dans un embourbement systématique. « Ça ajoute un pallier pour niaiser, ça empêche de fonctionner efficacement, ça retarde les dossiers. »

« Il n’y a rien qui se règle ici, tout traîne. À Toronto, ils ont fait une grève de trois semaines sans ramasser les ordures et le dossier s’est réglé assez vite! Au Québec, on fait de la politique à court terme, personne n’ose mettre ses culottes, personne n’est imputable de rien. Ça fait que rien n’avance non plus. »

Virulent à l’égard des firmes d’avocats « à l’affut d’un recours collectif », il se méfie aussi du cercle vicieux perpétré par la médiatisation de ces causes, problématique bien connue chez les cols bleus, qui exacerbe les tensions anti syndicales et qui, en bout de ligne, profitent surtout à ceux qui les ont pilotées.

« Pour faire le pactole, il faut poursuivre là où il y a de l’argent », conclut Michel Parent en indiquant qu’à cet effet, les syndicats représentent assurément des cibles intéressantes.



Dossier : Recours collectifs contre les syndicats



Des poursuites de plusieurs millions contre les syndicats. Le cas des cols bleus de Montréal. >>
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