Débardeurs du Port de Montréal : bilan d’une lutte

2010/10/07 | Par Maude Messier

Après plusieurs mois de négociations infructueuses et un lock-out, une entente de principe est finalement survenue entre le Syndicat des débardeurs (SCFP 375) et l’Association des employeurs maritimes du Port de Montréal.

Les quelque 850 débardeurs se sont prononcés à 95% en faveur de cette entente entérinée le 23 septembre dernier. Rencontré par l’aut’journal, le trésorier du syndicat, Sylvain Charron, est visiblement fier du résultat : « Un résultat de 95% est du jamais vu! On est satisfaits de cette entente dans le contexte actuel. »

La négociation a été aride et envenimée par des tensions syndicales à l’interne. « Au cours des différentes négociations, il y a toujours eu de l’opposition, un peu de chahut. Mais une campagne de salissage comme ça, jamais. »

Sabotage, dénigrement et désinformation à l’égard du syndicat et des enjeux de la négociation, c’est dans ce contexte que les pourparlers avec la partie patronale se sont amorcés.  « Ils gueulaient contre le syndicat, jamais contre l’employeur. Ils ont carrément sapé notre rapport de force initial », souligne le syndicaliste en toute franchise.

Malgré cette « campagne de vomissage » qui a bien failli coûter cher aux débardeurs, Sylvain Charron estime que cette bataille syndicale aura finalement été bénéfique pour le Syndicat des débardeurs, comme un grand coup de fouet.


Au cœur du conflit : la sécurité d’emploi

Soumis à des horaires de travail imprévus et exigeants, les débardeurs doivent être disponibles 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. « C’est pour ça qu’il y a 40 ans, on a développé un régime de sécurité d’emploi de 40 heures par semaine payées, une façon d’être rémunérés pour la disponibilité en quelque sorte. Un peu comme les pompiers. »

La caisse de sécurité d’emploi est financée à même un prélèvement de 3 $ aux compagnies maritimes pour chaque tonne de marchandises manutentionnées au Port de Montréal. « Plus de 11 millions de tonnes sont manutentionnées annuellement au port », précise Sylvain Charron.

Bon an, mal an, les coûts reliés à la sécurité d’emploi oscillent entre 5 et 7 millions par année selon le syndicat. Or, conséquence directe de la crise économique, les coûts ont grimpé à près de 11 millions $ pour l’année 2009.

Invoquant un manque de liquidité de la caisse, les employeurs se sont empressés de jeter le blâme sur la sécurité d’emploi. « Les coûts explosent, la crise oblige, il faut couper », prétextent-ils.

« Ce qui est faux, dénonce Sylvain Charron. La caisse a généré des surplus pendant de nombreuses années, surplus que se sont ristournés les employeurs. Ils auraient facilement pu anticiper cette situation parfaitement prévisible compte tenu du fait que les périodes d’activités économiques sont cycliques. »

Une problématique qui n’est pas sans rappeler les déboires de nombreuses caisses de retraites. « C’est pareil, confirme le syndicaliste, par ailleurs comptable et fiscaliste de formation. En fait, c’est un problème de gestion à court terme et cette mauvaise planification de l’employeur a été confirmée par un actuaire au cours d’un arbitrage gagné par le syndicat suite à une tentative de l’employeur de suspendre la sécurité d’emploi à l’automne 2009. »

À son avis, les travailleurs n’ont pas à faire les frais de cette crise, particulièrement lorsque des mesures sont expressément mises en place pour remédier à ces fluctuations.

Déconstruire le discours patronal n’est pas chose facile, particulièrement lorsqu’il est en phase avec le discours dominant, sur l’incapacité de payer en raison de la crise par exemple.

« Il a fallu expliquer et démontrer à notre monde que tout cela n’est qu’une stratégie de négociation patronale, un prétexte pour se débarrasser de leurs responsabilités. On n’allait pas les laisser mettre pas à terre un régime qui existe depuis 40 ans et qui n’a pas connu de déficit depuis 15 ans. »


Stratégie patronale ratée

La convention collective des débardeurs du Port de Montréal expirait en décembre 2008. « C’était en plein essor économique au port. On prévoyait négocier dans ce contexte-là, très avantageux pour la partie syndicale puisqu’on avait le gros bout du bâton. Mais la crise économique s’est déclenchée deux mois plus tard. »

Deux ententes présentées par les conciliateurs fédéraux sont rejetées : la première dans une faible proportion de 50,4% et la deuxième, à 62%.

« C’était de justesse, avoue le trésorier du syndicat, qui s’est personnellement prononcé contre ces ententes. C’était une situation difficile et dans ces moments-là, les gens sont incertains et craintifs. Mais il fallait absolument foncer et refuser cette offre qui n’avait vraiment pas de bon sens. »

Ce qui manquait pour fouetter les troupes est arrivé : l’employeur a choisi de jouer la carte de la division en coupant la sécurité d’emploi aux 169 employés avec le moins d’ancienneté.

Une décision arbitraire complètement inéquitable et inacceptable aux yeux du syndicat comme des travailleurs. « Alors on a refusé de faire du temps supplémentaire, par solidarité et pour soutenir nos confrères, contrairement à ce qu’espérait l’employeur. »

Puis, les parties se sont rencontrées le 18 juillet dans le but d’établir un nouveau cadre de travail suite au refus des deux ententes de principes. « Le même soir nous avions une assemblée syndicale où les membres ont décidé de reporter les moyens de pressions d’une semaine, question de permettre au comité de négo de bien analyser le cadre de l’employeur. »

Mauvaise compréhension de l’issue du vote syndical ou tentative ultime pour mettre de la pression en espérant « casser » le syndicat, toujours est-il que l’employeur met les débardeurs en lock-out le jour même.


De fortes pressions... pour l’employeur

Pendant la durée du conflit, les bateaux étaient détournés vers Halifax, « mais ils n’ont pas la même capacité, la même rapidité, la même productivité ni le même service qu’à Montréal. Ça démontre la qualité du travail des débardeurs chez-nous. Les clients habitués à un tel niveau de services ont mis de la pression sur les compagnies maritimes et l’employeur pour une reprise immédiate des activités du port. Même le Conseil du patronat a mis de la pression. »

Tant et si bien qu’à peine quelques jours plus tard, l’employeur a manifesté devant le médiateur son intérêt à lever le lock-out sur le champ et à reprendre les négociations.

Pour Sylvain Charron, il est évident que l’employeur a sous-estimé dès le départ la capacité de mobiliser du syndicat. « C’est vrai que notre situation n’était pas évidente au départ compte tenu des tensions internes qui sévissaient. L’employeur pensait nous essayer là-dessus, mais la pression s’est rapidement retournée contre lui. »

Qu’est-il advenu des détracteurs syndicaux suite à l’entente de principe entérinée à 95%? « Tout le monde a bien vu que ça a failli coûter la sécurité d’emploi des jeunes débardeurs. Je crois que maintenant les débardeurs comprennent bien les dangers de ces campagnes de salissage qui profitent à une minorité au détriment de la collectivité. »

Visiblement fier de la mobilisation des membres dans ce conflit de travail qui s’est finalement avéré un tournant sur la question de l’équité intergénérationnelle. « C’était notre premier véritable geste de solidarité depuis bien longtemps et c’est une bataille réussie », conclut Sylvain Charron.


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