Les bons d’études, l’antichambre des écoles privées

2010/10/08 | Par Pierre Dubuc

Il y a quelques années, Mario Dumont, alors chef de l’ADQ, proposait une mesure « révolutionnaire » pour réformer notre système d’éducation : les bons d’études. Plutôt que de financer directement les écoles – par l’intermédiaire des commissions scolaires – le gouvernement aurait versé des « bons d’études » directement aux parents qui les auraient par la suite transférés à l’école de leur choix, qu’elle soit publique ou privée.

L’idée n’a pas fait long feu. Pourquoi? D’abord, parce que le libre choix de l’école existe déjà au Québec. Deuxièmement, les partisans de l’école privée ont expliqué au petit Mario que le système au Québec, avec ses généreuses subventions directes aux écoles privées, était de loin préférable à celui des bons d’études.

Une importation américaine mal digérée

En fait, l’idée des bons d’études était importée directement des États-Unis sans avoir été digérée. Là-bas, où le libre choix de l’école et les écoles privées étaient encore des phénomènes marginaux, le programme des bons d’études était le fer de lance d’une offensive qui allait mener à la privatisation d’une grande partie du système scolaire américain.

Dans son livre The Death and Life of the Great American School System, Diane Ravitch fait la genèse de l’idée du « libre choix »et de son importance dans l’irruption des écoles à charte, le modèle américain des écoles privées.

L’ex-sous-ministre à l’Éducation démontre comment le système américain en est venu à copier, sans le savoir, le « modèle »québécois pour le plus grand malheur des deux systèmes.

Originaire du Sud des États-Unis, Diane Ravitch rappelle que la politique du libre-choix de l’école s’est imposée dans le sud après l’arrêt historique de la Cour suprême des États-Unis de 1954 dans la cause Brown vs Board of Education qui bannissait la ségrégation raciale dans les écoles.

Les autorités racistes du sud ont répliqué en accordant le libre choix de l’école. Sans surprise, les étudiants Blancs s’inscrivaient dans des écoles où tous les élèves étaient Blancs et c’était la même chose pour les Noirs.

Quand les autorités et les cours de justice fédérales sont intervenues pour mettre fin à cette pratique et répartir les élèves dans des écoles intégrées, certains États du sud ont encouragé la création d’écoles privées pour accommoder les élèves Blancs qui ne voulaient pas s’inscrire dans les écoles intégrées.

La relance de l’idée avec Milton Friedman 


En1955, l’idée des « bons d’études » refait surface dans un autre contexte. Milton Friedman, l’économiste de l’Université de Chicago et grand-prêtre du néolibéralisme, publie « Le rôle du gouvernement dans l’éducation », dans lequel il propose que l’État accorde des bons d’études aux familles afin que chaque étudiant puisse fréquenter l’école de son choix, peu importe qu’elle soit à vocation religieuse, à but lucratif ou non, ou encore publique, pourvu qu’elle rencontre certains standards minima.

Friedman enrobe sa proposition dans le discours néolibéral classique :de la concurrence entre les écoles émergeront de meilleures écoles destinées à rencontrer les demandes des consommateurs.

Cependant, ce discours lénifiant masquait des intérêts bien précis. Une controverse faisait rage sur la place publique entre Eleanor Roosevelt, l’épouse du président Franklin D. Roosevelt, et le cardinal Francis Spellman. L’enjeu : les écoles catholiques peuvent-elles recevoir de l’aide financière du gouvernement fédéral? Friedman proposait de contourner l’opposition traditionnelle américaine aux subventions aux écoles privées parles bons d’études.

Les fondations s’en mêlent

Cependant, l’idée reste en plan parce que tous les politiciens y voient surtout une façon de contourner les politiques anti-ségrégation populaires à l’époque. Elle refait surface seulement avec l’élection de Ronald Reagan en 1980, alors que Friedman devient un des principaux conseillers du président.

Bien que Reagan n’ait proposé, pour rendre l’idée acceptable, les bons d’études que pour les élèves en difficulté, elle est repoussée par les syndicats d’enseignants – qui y voient avec raison un pas vers la privatisation – mais également par le Congrès américain.

Cependant, le concept des bons d’études est adopté par des fondations et des think tank de droite comme la Heritage Foundation, le Cato Institute,le John M. Olin Fondation, le Lynde et Harry Bradley Foundation qui en feront la promotion.

Bienque le Congrès ait de façon répétée rejeté les bons d’études et que, dans plusieurs États, les électeurs aient voté contre lors de référendums locaux, les villes de Milwaukee et Cleveland implantent quand même un programme de bons d’études.

Dansles deux villes, une large coalition s’y oppose et conteste le programme devant les tribunaux. En juin 1998, la Cour suprême du Wisconsin reconnait la légalité des bons d’études et autorise les écoles à vocation religieuse à accepter des élèves bénéficiant de bons d’études. La Cour suprême des États-Unis refuse d’entendre la cause en appel.

En1998, il y avait à Milwaukee 2 000 étudiants bénéficiaires du programme des bons d’études. Une décennie plus tard, ils étaient 20 000, dont 80% sont inscrits à des écoles à vocation religieuse.

Situation semblable à Cleveland, sauf que la Cour suprême des Etats-Unis accepte d’entendre la cause. Dans un arrêt rendu à 5 contre 4, elle statue que les bons d’études ne contreviennent pas à la Constitution américaine.

En2003, le Congrès américain à majorité républicaine met en place un programme de bons d’études pour 2 000 étudiants du District de Columbia où se trouve Washington. Les deux tiers d’entre eux s’inscrivent dans des écoles à vocation religieuse.

Mais la mode des bons d’études cède bientôt sa place à celle des écoles à charte. Contrairement aux écoles fonctionnant avec des bons d’études, limitées aux États où elles sont autorisées (Milwaukee, Cleveland et le District de Columbia), les écoles à charte se répandent comme une traînée de poudre à travers l’ensemble des États-Unis.

Le réseau parallèle des écoles à charte s’apparente beaucoup à notre réseau des écoles privées, posant les mêmes défis au système d’éducation américain qu’au système québécois.


Dossier: Éducation: le modèle américain



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