Recours collectifs contre les syndicats (4)

2010/10/08 | Par Maude Messier

Parce qu’ils introduisent une tierce partie au dossier, les recours collectifs dans un contexte de relations de travail sont des armes dangereuses. « Le système de relations de travail collectif n’est pas fait pour avoir trois parties, mais bien deux parties : un employeur et un syndicat dans les cas qui nous occupent ici », explique Me Denis Lavoie, avocat spécialisé en droit du travail.

Il fait valoir que les recours collectifs entraînent les syndicats devant des tribunaux, la Cour supérieure en l’occurrence, qui ne sont pas toujours familiers avec les causes en relations de travail, « un monde juridique en soi ». Sans remettre en cause la compétence des juges, Me Lavoie indique toutefois qu’« ils n’ont pas tous la même expertise et que c’est précisément pour ça qu’il existe des tribunaux spécialisés, comme la Commission des relations de travail par exemple. »

« Tant qu’on est dans le monde des relations de travail, avec différents griefs, etc., c’est une chose. Le recours collectif introduit un tiers qui n’a aucun intérêt dans les relations de travail. En plus, il y a toute la question de l’opinion publique qui entre aussi en jeu lorsque le recours est médiatisé. »

Il regrette le fait que les rapports collectifs soient altérés par ces interventions juridiques. Avant d’entreprendre quelconque moyen de pression dans un conflit de travail, les syndicats doivent dorénavant considérer l’éventualité d’un recours collectif à leur endroit.

La CSN n’est pas en reste et doit aussi faire face à la musique. Me Gérard Notebaert déplore qu’autant de ressources financières, une partie importante des cotisations syndicales, aillent à des causes parfois non fondées plutôt qu’à la défense des travailleurs. « Le problème, c’est que dans certains cas, les recours collectifs sont systématiques. Dans l’entretien (Syndicat du transport de Montréal), ça fait trois négociations et on en reçoit un coup sur coup. »

En plus de vingt ans de pratique, il confirme que les choses ont changé. « Avant les années 1990, il n’y avait pas toute cette armada de recours prête à s’abattre contre les syndicats, cet appareil de coercition lourd à porter. »


Un système orienté

Me Notebaert décortique les rouages de la pratique juridique en matière de recours collectifs, qu’il compare à un « guichet fermé ».

« Un seul procureur peut intenter un recours collectif pour un même litige. C’est rendu à un tel point que lorsqu’on est en négociation, pour ces grands groupes (secteur public et services publics), on reçoit souvent des mises en demeure des cabinets d’avocats qui nous disent : Tenez-vous tranquilles parce que si vous exécutez certains moyens de pression qui sont susceptibles de compromettre ou de nuire aux services auxquels la population a le droit, on n’hésitera pas à prendre un recours collectif. »

Pour lui, tout commence avec le Conseil des services essentiels, service spécialisé qui a juridiction sur le secteur public et parapublic de même que sur les services publics. « À tort ou à raison, dans un contexte de négociations, l’employeur va utiliser le conseil de façon à obtenir des ordonnances qui vont mettre au pas l’autre partie, le syndicat. »

Constitué en 1985, le Conseil s’assure que la population bénéficie des services auxquels elle a droit et que les moyens de pression exercés ne représentent pas une menace pour la santé et la sécurité du public.

Le critère juridique qui s’applique quant au conseil n’est pas la prépondérance de la preuve hors de tout doute raisonnable, mais plutôt la vraisemblance. Ainsi, lorsqu’il apparaît vraisemblable qu’une activité ou un moyen de pression est susceptible de causer un préjudice à la population, le Conseil intervient, « et il a la gâchette très rapide. »

Me Notebaert est d’avis que le Conseil a un préjugé presque automatique en faveur de l’émission d’une ordonnance : « On sort de là pratiquement tout le temps, à 99% des cas, avec une ordonnance contre nous. »

Aussitôt l’ordonnance rendue, les médias s’emparent de la nouvelle et « dans les heures suivantes, on a un recours collectif, parce que cette ordonnance devient la preuve au soutien du recours collectif. »

Critiquant ouvertement les avocats qui font de la pratique des recours collectifs « une véritable business », Me Notobaert croit que la voie législative constitue une piste de solution à envisager. Fixer les honoraires des avocats au dossier pourrait dissuader plusieurs avocats aux pratiques douteuses. « Les recours collectifs ne représenteraient alors plus pour eux une occasion de faire du cash fast track ».



Dossier : Recours collectifs contre les syndicats



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