Exclusion du Canada du conseil de sécurité : Tim Horton plaide non coupable

2010/10/15 | Par Pierre Dubuc

Le Canada a-t-il été exclu du Conseil de sécurité de l’ONU parce que notre premier ministre Stephen Harper a préféré, il y a quelques années, assister à l’ouverture d’un Tim Horton plutôt que de participer à l’assemblée générale des Nations Unies?

Ou encore : est-ce à cause de sa participation à la guerre en Afghanistan plutôt qu’à des missions de paix avec Casques bleus que bon nombre des 136 pays qui s’étaient engagés par écrit à voter pour le Canada ne l’ont pas fait?

Sûrement, s’il faut en croire la plupart des éditorialistes et des commentateurs de la scène politique fédérale et les anciens diplomates – par hasard, tous libéraux – appelés à commenter la nouvelle. Et pourtant…

Il est certain que Stephen Harper, qui a toujours méprisé l’ONU, a été victime des répercussions internationales de ses politiques nationales, mais il ne faudrait pas croire que les choses auraient été différentes avec un gouvernement libéral dirigé par Michael Ignatieff.

Certes, Stephen Harper a forcé la note dans son appui à Israël dans le but de rallier au Parti conservateur l’électorat juif traditionnellement libéral. Mais les libéraux ont toujours été des alliés inconditionnels d’Israël. En fait, le Canada a joué un rôle crucial dans la création d’Israël.

En 1947, son représentant, le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères et futur premier ministre Lester B. Pearson – dont le bras droit était nul autre que George Ignatieff, le père de Michael – présidait le comité spécial de l’ONU sur la question de la Palestine et le Canada a fait pencher la balance en faveur de la partition lors d’un vote qui en a approuvé le principe à 14 pays contre 13.

Certes, Stephen Harper affiche un bellicisme affirmé, mais il faut rappeler que la mission en Afghanistan n’aurait pu être prolongée en 2009 sans l’appui de Michael Ignatieff – nouvellement élu à la Chambre des communes – qui avait réussi à réunir autour de lui deux douzaines de députés libéraux, alors que la majorité du Parti libéral était farouchement opposée à cet engagement militaire.

On pourrait aussi épiloguer longuement sur les missions des Casques bleus, dont la création a valu à Lester B. Pearson le prix Nobel de la paix. Ils ont été créé en 1956 comme force d’interposition pour permettre à la Grande-Bretagne, à la France et à Israël de se retirer de l’Égypte après l’échec de leur invasion du canal de Suez. La décision a été prise après consultation avec les États-Unis qui avaient condamné l’intervention.

Cette action a marqué le changement d’alliance stratégique du Canada. De plus fidèle allié de la Grande-Bretagne, il est devenu l’allié inconditionnel des États-Unis et toujours perçu ainsi par le reste de la communauté internationale.

Si, précédemment, le Canada a pu à six reprises être élu au Conseil de sécurité, il le devait, non pas à ses positions pacifistes, mais au parrainage musclé de Washington.

La défaite de la candidature du Canada est également une défaite pour les États-Unis. Elle illustre bien le réalignement en cours des forces politiques à l’échelle internationale.

On raconte que deux des plus importants pays émergents avec lesquels le Canada a des liens importants, ne serait-ce que par l’importance de leur diaspora en sol canadien, soit l’Inde et la Chine, lui ont fait faux bond pour des considérations stratégiques.

L’Inde a appuyé le Portugal parce que ce dernier pays appuie sa candidature à titre de membre permanent du Conseil de sécurité. Quant à la Chine, qui a déjà un siège permanent au Conseil de sécurité, elle a également voté pour le Portugal dans le cadre de sa stratégie d’alliance avec l’Europe contre l’Amérique du nord.

À ceux qui s’imaginent que les choses seraient différentes avec Michael Ignatieff comme premier ministre, il n’est pas inutile de rappeler les prises de position de ce dernier avant qu’il décide de faire carrière à Ottawa.

Dans son livre La Révolution des droits, Michael Ignatieff n’exprimait pas une très haute opinion de l’ONU. Il écrit que les droits des personnes devraient avoir préséance sur la souveraineté des États et que les traités de Westphalie de 1648 qui, avec leur reconnaissance de la souveraineté nationale, sont à la base même des relations internationales, étaient obsolètes.

Il va jusqu’à affirmer qu’il est légitime de contourner les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU. « Il peut arriver, écrit-il, que l’une ou l’autre des puissances qui siègent au Conseil oppose son veto à une action dont la nécessité est pourtant impérieuse ». Dans ce cas, poursuit-il, « un groupe de pays pourrait former une alliance et décider d’agir, et cette action serait justifiée. »

Donc, au diable la légalité internationale, après tout, si les droits de la personne prévalent maintenant sur les droits nationaux et qu’on peut mettre dans les poubelles de l’Histoire les traités de Westphalie, pourquoi ne pas en faire autant de la Charte des Nations Unies.

C’est exactement ce que Michael Ignatieff a fait en appuyant les forces de la Coalition mise sur pied par George W. Bush pour envahir l’Irak, sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU.

Pour le Québec, le Parti libéral de Michael Ignatieff ne constitue pas une alternative au Parti conservateur de Stephen Harper. Les deux ont fait cause commune pour prolonger la mission en Afghanistan contre la volonté de la population québécoise et d’une majorité de ses représentants à la Chambre des communes.

S’il ne veut pas être soumis aux décisions d’une autre nation sur la scène internationale, le Québec n’a d’autre choix que de devenir indépendant. Et cela n’exclut pas qu’il puisse se retrouver au Conseil de sécurité, comme l’exemple du petit Portugal le prouve.


Pierre Dubuc est l'auteur de Michael Ignatieff, au service de l'empire, une tradition familiale (Éditions Michel Brûlé) et de Le vrai visage de Stephen Harper (Éditions Trois Pistoles)


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