La crise

2010/10/25 | Par Léo-Paul Lauzon

Les huissiers sont à la porte du Québec, qui est sur le bord du précipice et dont la dette publique est comparable à une bombe atomique, tels sont les savants propos, aucunement alarmistes, tenus par le lucide économique préféré des libéraux, des péquistes et du patronat : monsieur Pierre Fortin.

Et, conséquence de la dernière crise, des millions de Québécois ont perdu leur emploi, ont été contraints d’accepter d’importantes baisses de salaires et d’avantages sociaux, ont vu leur fond de retraite fondre comme neige au soleil, ont dû emprunter ou réhypothéquer leur maison, ont «loadé» leurs cartes de crédit et ont été cordialement invités par leur aimable employeur responsable socialement de changer leur statut de travailleur temps plein à travailleur autonome pigiste et surnuméraire.

Pendant ce temps, dans le plus meilleur pays au monde, Statistique Canada nous annonçait (La Presse, 18 novembre 2009) que «Les entreprises sortent de la crise en pleine forme». Bien plus, l’article signalait, au premier paragraphe que : «Moins endettées (sic), les coffres pleins (sic), les entreprises sortent de la récession en pleine forme. En fait, leur santé financière n’a jamais été aussi bonne depuis 40 ans (sic) a constaté Statistique Canada».

Puis, le Devoir du 4 septembre 2010 titrait : «L’explosion des profits n’annonce pas la fin de la crise». La crise pour qui au juste? Explosion des profits des entreprises sans augmentation de l’emploi et jumelé avec taux de chômage élevé que mentionnait l’article du Devoir.

Gros profits des entreprises rime avec gros salaires des dirigeants et vigoureuses hausses des dividendes versés aux actionnaires et de la valeur au marché des actions, comme le démontre éloquemment le titre de cet article de La Presse du 30 septembre 2010 : «Le TSX (Bourse de Toronto) à son plus haut niveau en deux ans».

Hourra et bravo! Faites pas vos jaloux et vos envieux. Faut plutôt admirer ceux qui réussissent et qui s’enrichissent sur votre dos qu’a encore répété récemment pour la énième fois la châtelaine Pauline Marois, la chef du Parti québécois.

Ah ben, vous vous dites peut-être en répétant ce que le patronat, les politiciens et leurs mascottes attitrés de tout acabit vous ont seriné à satiété que les entreprises, avec leurs profits démentiels et immoraux vont investir en innovation, en machinerie, en immeuble et usines, etc.

Ça c’est la vieille toune usée et tordue servie aux innocents par l’élite corporative et leur suite. Dans la vraie vie, ça ne se passe pas du tout comme ça mes amis. Dans les faits, les compagnies utilisent leurs juteux bénéfices pour racheter leurs propres actions, geste qui est l’antithèse de l’investissement en biens productifs et de la croissance économique.

«Rachat d’actions : une manne pour les actionnaires. Optimistes, les entreprises canadiennes ont investi (sic) 300% de plus dans les rachats d’actions au deuxième trimestre», titre de l’article de Michel Van de Walle paru dans Les Affaires du 14 août 2010.

Utiliser le terme «investir», pour parler de rachat d’actions, est non seulement pathétique mais également pathologique.

Puis, le 25 septembre 2010, bonne nouvelle qui va vous rendre débordant de joie. Les Affaires titrait : «Les rachats d’actions se multiplient».

Peut-être que vous dites encore une fois que les gros profits relèvent uniquement des grandes compagnies et que les petites et moyennes entreprises pataugent dans la misère noire. Eh bien, détrompez-vous, puisque dans La Presse du 19 octobre 2010, l’article suivant s’intitulait ainsi : «Récession. Les PME québécoises ont continué à faire des profits» et des robustes en plus de ça, celles-la mêmes qui aiment tant jouer au martyr afin de recevoir toujours plus de baisses d’impôts et de fonds publics sous forme de subventions sans limite de l’État et d’exiger les nécessaires sacrifices de leurs employés s’ils ne veulent pas être «lock-outés» comme au Journal de Montréal.

Pendant ce temps d’euphorie pour les affairistes, «L’endettement des ménages augmente plus vite au Canada qu’aux Etats-Unis» que titrait La Presse du 21 octobre 2010. Baisses de revenus des familles et des individus se conjugue évidemment avec hausses de l’endettement si l’on veut vivre décemment.

Devant cette réalité Jean Charest, Stephen Harper et leurs économistes, plus consultants qu’universitaires comme Pierre Fortin, augmentent la TVQ, tarifient davantage et charcutent la majorité des services publics du monde ordinaire et, faisant preuve d’audace et de courage, ils baissent les impôts des compagnies et augmentent les subventions que l’État leur octroie afin de les aider à racheter plus de dividendes versés à leurs actionnaires et, reconnaissance et gratitude obligent, à accroître généreusement la pitance de leurs dirigeants.


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