La réussite du système d’éducation

2010/11/16 | Par Pierre Dubuc

Après avoir sévèrement critiqué l’orientation que prend actuellement le système d’éducation américain avec l’instauration de la concurrence entres les écoles, la multiplication des évaluations, la fermeture des écoles non performantes, la paie au mérite pour les profs, Diane Ravitch conclut son livre The Death and Life of the Great Americain School System avec un chapitre où elle élabore, a contrario de ce qui se fait actuellement, ce que devrait être le système d’éducation.

D’entrée de jeu, elle définit l’objectif de l’école comme étant de former des citoyens. « Une société démocratique ne peut exister si ses citoyens ne sont pas bien informés ou s’ils sont indifférents face à leur histoire, leur gouvernement et la façon dont fonctionne leur économie, écrit-elle. Elle ne peut prospérer si elle néglige d’inculquer à ses enfants les principes de la science, de la technologie, de la géographie, de la littérature et des arts. »

Bien entendu, poursuit-elle, « éduquer est un processus ardu. Différents pays utilisent différentes approches, mais une bonne éducation requiert toujours énormément d’efforts ». Elle s’en prend aux réformateurs qui cherchent des raccourcis et des réponses rapides et elle considère qu’il est temps de revoir les différents aspects des réformes et la définition même d’une réforme.

Selon Mme Ravitch, le problème se situe dans l’absence de vision de l’éducation et non dans la gestion. L’école n’a pas besoin d’une armée de consultants pour lui prodiguer des conseils, mais des valeurs éducationnelles bien fondées.

Nos écoles ne s’amélioreront pas, répète-t-elle,

. . . si les commissaires d’écoles s’invitent dans la prise de décisions pédagogiques.

. . . si on met le focus uniquement sur la lecture et les mathématiques en ignorant les autres matières.

. . . si on accorde de la valeur uniquement à ce que les tests peuvent mesurer. Il faut permettre aux élèves de développer leur habileté à chercher d’autres explications, à soulever des questions, à poursuivre les recherches par eux-mêmes, à penser différemment. Sinon, nous allons perdre l’esprit d’innovation, d’enquête, d’imagination, de contestation qui a tant contribué au succès de la société américaine.

. . . si on continue à fermer des écoles. Fermer une école est l’admission d’un échec, non pas du personnel de l’école, mais des autorités scolaires qui ont tardé à fournir l’assistance nécessaire.

. . . si les écoles à charte continuent de siphonner les meilleurs élèves. Plutôt que d’entrer en concurrence les unes avec les autres, les écoles devraient apprendre l’une de l’autre, partager l’information à propos de leurs succès et de leurs échecs, comme le personnel médical le fait, plutôt que de se concevoir comme des rivales dans une lutte pour la survie.

. . . si la direction de l’école n’a pas enseigné pendant plusieurs années, si le directeur ou la directrice n’est pas « l’enseignant en chef » de l’école. Sinon, la direction n’est pas qualifiée pour juger du travail des autres ou pour venir en aide aux nouveaux profs.

. . . si on écoute ceux qui disent que l’argent et les ressources matérielles n’ont pas d’importance.

. . . si on ignore les désavantages associés à la pauvreté qui affecte les capacités des enfants à apprendre.

. . . si on continue à utiliser les écoles comme boucs émissaires pour tous les maux de la société.

. . . si on met trop d’emphase sur les tests d’évaluation à l’exclusion des autres objectifs importants de l’éducation. Sinon, on risque de miner l’amour de l’apprentissage et le désir d’acquérir des connaissances, deux ingrédients nécessaires pour la motivation des élèves.

Mme Ravitch insiste également sur l’importance d’un curriculum commun, en rappelant qu’un tel curriculum commun existait aux XIXe siècles et au début du XXe siècle. Mais ce curriculum a fait l’objet au cours des années 1990 des guerres culturelles.

Ces guerres, croit-elle, sont maintenant terminées sans avoir fait de vainqueurs. Prudente, elle parle d’une trêve.

Elle milite donc pour l’enseignement d’un héritage culturel commun, sinon, prévient-elle, nous risquons de nous retrouver sans culture commune sauf une culture populaire souvent dégradée et évanescente. Elle propose même une liste de classiques de la littérature, allant de Shakespeare à Lewis Carroll, en passant par Abraham Lincoln et Martin Luther King, à remettre au programme.

En mathématiques, elle constate également que la guerre entre les traditionnalistes et les constructivistes s’est terminée par des concessions réciproques. Les constructivistes, partisans de l’apprentissage par la découverte et l’interaction sociale, reconnaissent aujourd’hui que les élèves doivent apprendre les opérations mathématiques de base.

Dans le domaine des sciences, elle déplore la pénurie de professeurs et le débat qui sévit aux États-Unis sur la théorie de l’évolution. « Les autorités scolaires doivent séparer l’enseignement des sciences de l’enseignement des religions », plaide-t-elle.

Même l’enseignement de l’histoire peut, selon elle, survivre aux guerres culturelles, ce qui n’est pas peu dire.

Dans le domaine des arts, elle prône que tous les enfants aient la chance d’apprendre à jouer d’un instrument de musique, à chanter, à jouer dans des pièces de théâtre, à danser, peindre, sculpter et étudier les œuvres de grands maîtres.

Mme Ravitch revient, en terminant, sur l’épineuse question de l’évaluation. (Rappelons que le sous-titre de son livre est : How Testing and Choice Are Undermining Education.) « Le but de l’évaluation, souligne-t-elle, ne doit pas être d’identifier les écoles que l’on doit fermer, mais celles qui ont besoin d’aide. Le rôle des autorités scolaires est de solutionner ces problèmes d’insuccès, non pas de les évacuer en fermant les établissements. Cela peut signifier du perfectionnement professionnel pour les profs, des classes avec moins d’élèves, davantage d’activités parascolaires, plus de tutorat et de supervision, une meilleure politique disciplinaire, des cours pour les parents et d’autres interventions. »

Elle met un point final à son plaidoyer en citant une des recettes du succès de certaines écoles à charte, soit l’enseignement de comportements et d’attitudes nécessaires au succès de l’apprentissage comme : apprendre aux étudiants à se tenir droit; à s’habiller correctement; à regarder le prof en classe; à savoir donner une bonne poignée de main bien ferme; à établir un contact visuel avec l’interlocuteur; à ne pas parler en classe sauf lorsqu’on s’adresse au prof; à être gentil et à travailler fort.

En somme, à restaurer la tradition historique des écoles publiques américaines où on apprenait aux élèves à bien se comporter, à être de bons citoyens et développer des habitudes qui favorisent l’apprentissage.


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