Ce qu’on doit savoir sur Mordicai Richler.

2010/11/23 | Par Doria Ross

Tout juif qui combat farouchement l’antisémitisme doit aussi se montrer très sensible à toute expression ou manifestation de racisme, le dénoncer et surtout le condamner. Ainsi les membres de la communauté juive de Montréal ont toujours manifesté une grande retenue dans l’expression de leur perception sur les autres, évitant de verser dans le racisme, sauf un des leurs et non le moindre.

M.R.


Une espèce d’hurluberlu, par contre considéré comme un des plus grands écrivains anglophones du Canada et identifié comme un polémiste aguerri qui s’est délecté à critiquer avec une satire mordante et provocante tout ce qui bougeait autour de lui, s’est évertué à attaquer avec agressivité le nationalisme des Canadiens français soutenu par le chanoine Lionel Groulx.

Exaspéré par l’application de la loi 178, sur l’affichage linguistique, il s’est même adonné à salir les Canadiens français dans le magazine The New Yorker, allant même jusqu’à décrire la société québécoise comme une tribu condamnée à l’échec.

Des voix juives se sont élevées pour se dissocier de ses propos qu’elles ont qualifiés de racistes et d’anti-québécois et même pour lui dire de se taire. De même, le Congrès juif canadien a jugé ses propos répréhensibles à l’égard des Québécois francophones. Vingt-cinq intellectuels canadiens ont aussi dénoncé les propos tenus par Mordecai Richler. Non seulement le mal était fait, mais il ne s’est jamais amendé.

Mordecai Richler a continué à raconter des fabulations ignobles, à mentir, en inventant, par exemple, qu’au soir de l’élection du PQ en 1976, les « nazis du Parti québécois » avaient adopté un chant des Jeunesses hitlériennes, « A partir d’aujourd’hui, demain nous appartient ». Ce qui est complètement faux.

Mais jamais il ne s’excusa, non plus que Ruth Wisse et Irwin Cutler, de l’université McGill, qui avaient repris naïvement de tels ragots.

Cet imposteur affirmait aussi qu’un « des buts avoués de la rébellion des patriotes en 1837-38, était d’étrangler tous les Juifs du Haut et du Bas-Canada, et de confisquer leurs biens ». Or, aucune documentation n’appuie cette affirmation. C’est une calomnie.

Cependant, dans le formulaire d’initiation des Frères Chasseurs il est mentionné que le but était d’égorger tous les Royalistes. Et les Juifs ne sont pas des royalistes, que nous sachions, sauf exception.

L’écrivain juif anglophone Mordecai Richler a surtout été connu pour avoir propagé la culture anti-québécoise de certains anglophones canadiens qui se sentaient menacés par le nationalisme québécois, en s’attaquant sans discernement au chanoine Lionel Groulx dont il n’a jamais lu les œuvres, évidemment.

Il s’était inspiré des écrits très controversés d’Esther Delisle. Cette farouche opposante au nationalisme québécois accusait le chanoine Groulx d’être un antisémite notoire au point de suggérer de changer le nom du métro et du cégep qui portent son nom.

Gary Caldwell présente une analyse critique des écrits et de la thèse de Delisle qu’il qualifie de « délire », ainsi que des erreurs et demi-vérités de Richler.

Un historien réputé, Gérard Bouchard, qui s’est fait un devoir de lire toutes les œuvres du chanoine Groulx, même son imposante correspondance, n’a trouvé qu’une trentaine de passages au sujet des Juifs, dont uniquement trois ou quatre défavorables.

Il a découvert une sorte de contradiction ou d’ambivalence chez le chanoine qui a écrit, selon Louis Cornellier : « L’antisémitisme, non seulement n’est pas une position chrétienne; c’est une solution négative et niaise. »

Un écart de langage, pour ne pas dire une bourde, s’est accroché à la renommée de Mordecai Richler lorsqu’il a traité nos mères canadiennes françaises de « truies ». C’est ce qui fut véhiculé, mais ce n’est pas exact. Il aurait plutôt écrit ceci : « Les familles d’une douzaine d’enfants n’étaient pas rares. Ce niveau de reproduction punitif me semble avoir été fondé sur l’hypothèse que les femmes étaient des truies ». Puis, « Cette fécondité exténuante qui revenait à prendre les femmes pour des truies était impunément encouragée par l’abbé Lionel Groulx ». Mal lui en prit, car il visait aussi indirectement des femmes juives.

Pierre Nepveu, de l’Université de Montréal, écrivait ce qui suit dans La Presse du 2 octobre 2009, au sujet d’actes antisémites : « Bien que (Mordecai) Richler, critique féroce du nationalisme québécois, ait déclaré dans une entrevue à Radio-Canada, en 1991, que les incidents antisémites (profanation de cimetières juifs, graffitis sur des synagogues, etc.) étaient plus nombreux au Québec que dans le reste du Canada, les statistiques publiées par les organismes juifs (Congrès juif canadien, B’nai B’rith) indiquent plutôt le contraire. » Richler comprenait-il ce qu’il lisait ?

Ce qui suit s’inspire largement de l’enquête menée par Normand Lester. Les balbutiements à consonances antisémites du chanoine Groulx n’ont rien de comparables avec les propos du professeur Goldwin Smith, de l’Université de Toronto, « un des plus grands intellectuels du Canada anglais et du monde anglo-saxon en général » qui « fut aussi l’antisémite le plus virulent et le plus en vue du XIXe siècle au Canada ».

Or, il eut comme élève un brillant admirateur qui deviendra « le plus antisémite des premiers ministres canadiens ». Il s’agit de Lyon Mackenzie King qui refusait d’admettre au Canada les juifs menacés d’être massacrés par les nazis (Normand Lester).

Son directeur de l’immigration, Frederick Blair, affirmait à un chargé d’affaires hollandais que « Les Juifs et les autres éléments indésirables ne seront jamais admis au Canada » (Irving Abella cité par Normand Lester).

Ainsi, en mai 1939, neuf cents Juifs aristocrates fuyaient l’Allemagne sur le luxueux Saint-Louis vers Cuba, avant qu’ils ne soient dépouillés de leurs biens et de leurs droits par les nazis. Cuba changea d’idée et les États-Unis refusèrent de les accueillir.

Mackenzie King se déclara « catégoriquement opposé à l’admission des passagers du Saint-Louis » qui dut retourner en Europe. La Belgique les accepta et les dispersa dans les pays voisins. A ce sujet, Blair lança « que le Canada en a déjà trop fait pour les Juifs » (Normand Lester).

Après avoir relaté ces faits, Normand Lester porte un jugement sévère : « Les antisémites William Lyon Mackenzie King et Frédérick Blair sont responsables de la mort, dans les camps d’extermination nazis, de milliers d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieillards qu’ils ont refusé d’accueillir au Canada. A cause d’eux, le Canada porte la honte d’avoir le pire bilan de toutes les démocraties occidentales en ce qui a trait à l’accueil des réfugiés juifs ».

A sa retraite, Blair « reçut la plus haute décoration pour services méritoires rendus au Canada » (Normand Lester). Et Mackenzie King a reçu de la reine d’Angleterre l’ordre du Mérite britannique.

C’était à l’époque où les Juifs étaient exclus du Bord of Trade of Montreal. C’était à l’époque où il était inscrit à l’entrée des tavernes en Ontario No Jews or dogs allowed.

C’était à l’époque ou un orangiste du nom de Joseph C. Farr interdisait des plages ontariennes aux Juifs et affichait Gentiles only. Imbus d’une conviction profonde de la supériorité raciale des Britanniques, conviction partagée par Mordecai Richler contre les Canadiens français, les orangistes allaient devenir les ennemis acharnés non seulement des Canadiens français mais aussi des Juifs (Normand Lester).

Ces faits ignobles, le raciste Mordecai Richler les ignore ou ne s’y intéresse pas, obnubilé par la haine viscérale qu’il entretenait envers le nationalisme québécois. Serait-ce de la malhonnêteté intellectuelle ou de l’ignorance crasse ? La Bishop’s University lui a décerné un doctorat honoris causa.

Et puis, comble de sadisme, Mordecai Richler reçut la plus haute récompense du Régime canadien de distinctions honorifiques. Il fut admis à l’Ordre du Canada [anglais] au plus haut grade, compagnon, soit la plus grande distinction qui « reconnaît l’œuvre de toute une vie et le mérite exceptionnel des personnes ayant apporté une contribution extraordinaire au Canada [anglais] et au bien de l’humanité ». Sans commentaire.

Pierre Bourgault, notre pitbull en matière de défense de la bonne réputation des Québécois francophones, n’avait même pas rouspété dans sa chronique du Journal de Montréal, et pour cause. Cette prétendue distinction canadienne n’avait aucune valeur à son avis.

Étant donné que «le Seigneur est juste », répète un de nos amis, surtout lorsqu’il gagne aux cartes, il est venu bâillonner Mordecai Richler plus tôt que prévu, en 2001. Nous avions le goût de revoir un vieux film québécois mettant en vedette Marie Tifo.

Que ceux qui ont l’antisémitisme facile prennent la peine de lire le Livre noir du Canada anglais, de Normand Lester, pour comprendre que l’antisémitisme du chanoine Groulx dont l’ambivalence remarquée par Bouchard représentait peu de danger, n’avait rien de comparable avec un antisémitisme presque généralisé au Canada anglais, à la même époque.

Que les mauvaises langues qui cherchent par tous les moyens à discréditer les Québécois francophones en les accusant gratuitement d’avoir des penchants antisémites, ravalentleur salive pour ne pas dire leur fiel.

Advenant l’indépendance du Québec, que les Juifs anglophones soient rassurés. Le Québec continuera à garantir leur sécurité, à conserver leurs acquis, à collaborer à l’épanouissement de leur culture et de leur religion et à leur offrir une place dans la gouvernance du pays. Il en sera de même pour les autres groupes minoritaires.

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Quelques références
Alternatives international, septembre 2006.
Bouchard, Gérard. Les deux chanoines. Boréal, 2003.
Caldwell, Gary. La controverse Delisle-Richler. Le discours sur l’antisémitisme au Québec et l’orthodoxie néo-libérale au Canada. L’Agora, juin 1944.
Cornellier, Louis. Recherche historique et chasse aux sorcières. Le Devoir, 5 août 1998.
Frégault, Guy. Le mythe de M. le chanoine Groulx. L’Action nationale, vol. XXIV, no 3.
__________ L'antisémitisme au Québec et l'orthodoxie néo-libérale au Canada. L'Agora, juin 1994.
Lester, Normand. Le livre noir du Canada anglais. Les Intouchables, 2001.