Haïti : Qui est le candidat Michel Martelly ?

2011/01/13 | Par Jeb Sprague

[Ndlr.] Le texte qui suit est une traduction modifiée de la version anglaise parue dans l’édition de la semaine dernière (Haiti Liberte V.4. No. 22. Michel Martelly, Stealth Duvalierist. P.9). Il est présenté sous un autre titre.

Dans la presse couvrant la crise électorale en cours en Haïti, le candidat à la présidence Michel « Sweet Micky » Martelly, que le candidat du Parti dirigeant Unité Jude Célestin a dépassé avec moins de 1% des votes avec qualification pour le deuxième tour le 16 janvier, a été dépeint comme une victime de fraude électorale et comme le chef d’un soulèvement populiste contre le Conseil électoral provisoire (CEP) corrompu d'Haïti.

Certains ont mis en question son aptitude à devenir président en montrant du doigt ses bouffonneries vulgaires en tant que musicien konpa au cours des deux dernières décennies, lorsqu'il faisait des remarques avilissantes à l'endroit des femmes et périodiquement, baissait ses pantalons pour exhiber ses fesses.

Cependant, le vrai problème avec Martelly n’est pas sa morale lubrique, mais son histoire odieuse en politique et une étroite affiliation avec les «forces des ténèbres» réactionnaires, comme on les appelle en Haïti, qui ont étouffé chaque véritable tentative que les Haïtiens ont faite au cours des 20 dernières années, pour élire un gouvernement démocratique. Loin d’être un champion de la démocratie, Martelly a été une majorette au service de sanglants coups d’Etat et de régimes militaires auxquels il a peut-être même participé.

Après avoir été diplômé de l’école secondaire et une tentative infructueuse pour étudier la médecine, Martelly a été brièvement enrôlé à l’Académie militaire d’Haïti avant d’abandonner. Il a émigré aux États- Unis avec une femme américaine, où il s’est inscrit à Red Rocks Collège, une institution communautaire à Lakewood, Colorado et a travaillé dans une épicerie locale. En 1986, après seulement un semestre, il a divorcé et est retourné en Haïti.


Affinités Duvaliéristes

Sous la dictature de Baby Doc Duvalier, Martelly a dirigé une boîte de nuit appelée Le Garage, fréquentée par des militaires et des membres de la petite minorité dirigeante. Lors d’une récente conférence de presse, Martelly a parlé avec nostalgie de l’ère Duvaliériste, quand François «Papa Doc» Duvalier et plus tard son fils Jean-Claude «Baby Doc» imposaient leur despotisme par les fusils et les machettes brandi par des Tontons Macoutes, une sorte de Gestapo haïtienne.

Dans un article paru en 2002, le Washington Post a expliqué comment le chanteur konpa fut pendant longtemps « le favori des voyous qui ont travaillé au nom de la dictature de la famille des Duvalier tant haïe, avant son effondrement en 1986 » Mais les médias traditionnels n’ont pas encore souligné ces affiliations passées du chanteur.

Les affinités duvaliéristes ne devraient pas être prises à la légère. Des groupes des droits de l’homme comme La Ligue des anciens prisonniers politiques et des familles de disparus ont compilé une liste partielle de plusieurs milliers de victimes du régime Duvalier, qui a été publié dans Haïti Progrès en 1987, mais des estimations totales des personnes tuées pendant les 29 ans de cette longue dictature appuyée par les Etats-Unis, sont de l'ordre de 30.000 à 50.000 personnes.

Après la chute de Baby Doc en Février 1986, un mouvement démocratique de masse, longtemps réprimé par les Duvalier, éclata et devint connu sous le nom de Lavalas, ou torrent. Martelly est rapidement devenu un adversaire acharné de Lavalas, en lançant des attaques acerbes contre le mouvement populaire dans ses chansons jouées sur les antennes de radio haïtienne.

Martelly a commencé à jouer du clavier comme un «fill-in gigger» à Pétionville et à Kenscoff, banlieue est de Port-au-Prince. L'un de ses emplois régulier était à El Rancho, un casino appartenant à Joe Namphy, le frère du général Henri Namphy, qui a été président d'une junte militaire pendant une courte période après le départ de Jean-Claude Duvalier.


La montée d'Aristide et le coup de 1991

Après son élection spectaculaire avec 67% des votes aux élections du 16 décembre 1990, Jean-Bertrand Aristide, ancien prêtre de paroisse et leader du mouvement Lavalas, a été inauguré le 7 février 1991 en tant que président démocratiquement élu d’Haïti, mais pour être ensuite renversé par un coup d’Etat militaire, la première fois, le 30 septembre 1991, après seulement sept mois de son terme de cinq ans. Le Miami Herald observait en 1996 que Martelly « a été étroitement associé à des sympathisants du coup d’Etat militaire de 1991 qui a renversé l’ancien président Jean-Bertrand Aristide »

La junte militaire au pouvoir en Haïti entre 1991 et 1994 a été sanglante et brutale. Selon Human Rights Watch, quelque 5.000 personnes ont été assassinées par des soldats de la junte et des groupes paramilitaires, et des milliers d'autres torturées et violées. Des centaines de milliers ont été poussés à la clandestinité et à l’exil. Martelly est devenu le bouffon du coup d’État, applaudissant la junte alors qu’elle était au pouvoir.

Il était un copain du redoutable lieutenant-colonel Michel François, qui, comme chef de la police, a été la principale personne à la tête des bourreaux du coup d’État. Par exemple, selon un rapport de la Commission d’enquête sur le Coup d’Etat du 30 septembre en Haïti dirigée par l’ancien procureur général américain, Ramsey Clark, François conduisait une Jeep rouge en tête de plusieurs bus pleins des soldats qui se dirigeaient vers de grandes foules manifestant contre le coup d’Etat sur le Champ de Mars, devant le Palais national dans la nuit du 30 septembre 1991. (En Janvier 1991, neuf mois plus tôt, un autre coup d’État par Roger Lafontant avait été avorté à la suite de manifestations de masse similaires.)

La foule applaudit les soldats, croyant qu’ils étaient venus pour mettre une fin au coup d’Etat. Au contraire, au signal de François, on ouvrit les fenêtres des bus, alors la police et les soldats ont fauché des centaines de manifestants avec des tirs de mitrailleuses.

Martelly affirme qu'il a eu son surnom de «Sweet Micky» (c'est aussi le nom de son groupe) lors d'une performance dans une boîte de nuit en 1988, mais c’est un sobriquet également partagé par le colonel Michel François. Le cinéaste et écrivain américain Kevin Piña se rappelle un concert à l’Hôtel El Rancho à Pétionville en Juillet 1993 où le colonel « Michel François, ... qui était aussi appelé ‘Sweet Micky'après le coup d'Etat de 1991 parce que les gens prétendaient qu'il avait un large sourire sur son visage quand il tuait les partisans de Lavalas…saisit la main de Martelly en annonçant à la foule: Voilà le vrai Sweet Micky . Et Piña d'ajouter: «C’est la première fois que j'ai entendu Martelly appelé comme tel ».

On avait annoncé un concert que Martelly avait organisé à la demande de Michel François et d'autres dirigeants de la junte militaire à titre de manifestation contre Dante Caputo, le représentant spécial des Nations Unies en Haïti qui tentait de déployer des observateurs des Nations Unies des droits humains dans le pays.

Au même moment, l’armée haïtienne et les escadrons de la mort de l'infâme FRAPH étaient en train de massacrer des membres de la résistance contre le coup d'Etat.

Martelly a joué un concert gratuit avec l'idée de s’opposer au retour du président déchu d’Haïti et à toute présence américaine sur l’île troublée. Le charismatique Martelly a refusé de céder à la critique de ses affiliations avec des politiciens et des fonctionnaires corrompus.

Comme il a déjà eu à déclarer à un journaliste «je n’ai pas à me défendre .... C’est mon droit. C’est mon pays. Je peux me battre pour ce que je crois » (Miami New Times, May 29, 1997). Martelly, connu à l’époque pour ses nombreuses amitiés parmi les militaires, s'expliquait ainsi au Miami New Times: « Je n’ai pas accepté [la demande de jouer] parce que j’étais l'ami de Michel François, je n’ai pas accepté parce que c’était l’Armée. J'y suis allé parce que je ne voulais pas voir Aristide revenir ».

Plus choquant encore, le Père Jean-Marie Vincent (qui a été tué par un escadron de la mort putschiste le 28 août 1994) avait accusé Martelly d’accompagner la police haïtienne durant des raids de nuit meurtriers dans le but de traquer de présumés dirigeants de la résistance Lavalas. « Nous avons des informations que Michel Martelly se déplaçait avec des escadrons de la mort de la police quand ils sortent la nuit pour prendre en chasse et tuer des dirigeants Lavalas», eut à déclarer Vincent au cinéaste Pina dans une interview filmée.

Après le retour d'Aristide en Haïti en Octobre 1994, Martelly a passé le plus clair de son temps à vivre «dans un condo à Miami Beach», où il « présentait régulièrement un concert à la Promenade sur Ocean Drive, où son groupe Sweet Micky jouait le compas, une musique rythmique de danse haïtienne », selon le Miami New Times. En 2000, Aristide a été élu à une majorité écrasante pour un second mandat.

Mais l’administration Bush, arrivée également au pouvoir à cette époque, a lancé une campagne de déstabilisation, visant à renverser Aristide, ce qui est raconté en détail dans le livre de Peter Hallward, publié en 2007, Damming the Flood. Martelly n'a pas demandé mieux que de devenir un participant à ce coup d’Etat en gestation.

En 2002, l’étau se resserrait autour d’Aristide. D’anciens soldats avaient tenté un coup d’Etat le 17 décembre 2001, et l’embargo sur l’aide américaine faisait ses ravages. Néanmoins, le gouvernement d’Aristide avait lancé plusieurs programmes d’investissement social, y compris des coopératives alimentaires, la construction d’un nombre sans précédent d’écoles, des subventions pour manuels scolaires, et autres mesures, promouvant l’alphabétisation.

Dans sa chanson de carnaval en 2002, Martelly a évoqué «des émeutes récentes dans un entrepôt du quai, déclenchées à la suite d’une rumeur que des fonctionnaires du parti d’Aristide volaient de la nourriture d’un programme alimentaire pour les pauvres», a écrit le Washington Post. Bien que la corruption sous Aristide fût pâle comparée à celle sous la junte militaire de 1991 que Martelly avait appuyée, sa chanson carnavalesque toucha une corde sensible.

En 2003, Martelly dépensait en moyenne $150.000 $ à $200 000 pour ses chars durant le carnaval annuel à Port-au-Prince, selon le Miami Herald. Pendant le carnaval où traditionnellement on se moque du gouvernement, Martelly a lancé des critiques extrêmement acerbes et vulgaires à l'endroit d'Aristide. Lors, « Kolangèt manman ou Aristide » a été l’un des refrains de Sweet Micky, peut-être la pire insulte qu'on peut faire en créole, ce qui signifi e littéralement «le colon a baisé ta mère. »


Le putsch de 2004 et ses conséquences

En février 2004, Aristide était chassé du pouvoir une fois de plus. Une équipe des « Seals » (ndlr. une force spéciale de la marine américaine) a enlevé le président chez lui - ce qu'Aristide a appelé «un enlèvement moderne » - et l’a envoyé en exil en Afrique, où il demeure à ce jour. Durant l'échafaudage de ce coup d'Etat, des soi-disant «rebelles», composés d’anciens soldats de l’armée haïtienne et d'anciens paramilitaires de l'escadron de la mort FRAPH, conduisaient des raids en Haïti dans le Plateau Central et dans le Nord, exécutant de façon sauvage des dizaines de partisans d’Aristide, des représentants du gouvernement et certains membres de leurs familles.

Wyclef Jean, un ami de Martelly, a décrit les «rebelles» comme des combattants de la liberté qui «se battaient pour leurs droits.»

Après le coup d'Etat, des soldats américains, français, et canadiens ont occupé Haïti et ont mis en place un régime de facto illégal. Comme les protestations contre le coup d’Etat de Février augmentaient, Martelly tint un concert à Port-au-Prince en avril 2004 afin de contrecarrer les appels en faveur du retour d’Aristide. Le concert était intitulé: «Gardez-le dehors!»

En Septembre 2004, la tempête tropicale Jeanne inondait les Gonaïves, une ville du nord-ouest, tuant quelque 3.000 personnes. Gérard Latortue, le premier ministre de facto installé par les États-Unis, fut largement critiqué à cause de sa réponse tardive et inefficace à la catastrophe.

L'une de ses rares initiatives fut d’organiser une collecte de fonds avec les gens d’affaires haïtiens et américains réunis à la Chambre de commerce haïtiano-américaine. Martelly, qui ne s'était servi de sa musique que pour saper Aristide, fut la vedette du gala de Latortue, ainsi que l'a rapporté le Miami Herald.

En 2006, alors que des militants Lavalas étaient dans la clandestinité, emprisonnés ou assassinés, le régime Latortue tint une élection qui porta l'ex-président René Préval au pouvoir. La base de Lavalas avait soutenu Préval, pensant qu’il allait faciliter le retour d'Aristide, libérer tous les prisonniers politiques du coup d’Etat, et renverser le cours néolibéral de la dictature de Latortue. Mais Préval a trahi ces attentes, créant, au contraire, un gouvernement dominé par des partisans du coup d’Etat et travaillant en étroite collaboration avec l’occupation militaire étrangère qui a été par la suite transférée à l’ONU.

De larges couches de pauvres ne tardèrent pas à le vilipender pour avoir failli à permettre le retour d’Aristide ou à redémarrer plusieurs des programmes populaires d’investissement social qu'Aristide avait lancés. En 2009, le CEP de Préval interdit au parti d’Aristide, la Famille Lavalas (FL), de participer aux élections sénatoriales partielles et, plus tard, aux élections présidentielles et parlementaires. La piteuse réponse de Préval après le tremblement de terre catastrophique de Janvier 2010 a accéléré son déclin.


Les Sélections de 2010 et la montée de Martelly

Finalement, le CEP fixait des élections générales pour le 28 novembre 2010. L’Associated Press rapporte le 10 décembre que la «popularité politique [de Martelly] a décollé dans les semaines avant le vote et semble avoir fait un bond depuis qu’il est apparu qu’il avait été disqualifié de la course de justesse.»

Cette hausse est due à la campagne de haute technologie de Martelly, d'une puissance supérieure à celle de ses 18 rivaux, qu'il a surclassés en lançant des dizaines de milliers de messages-textes téléphonique, demandant aux gens de voter pour lui. Martelly a embauché une fi rme de relations publiques espagnole hitech pour gérer sa campagne et le mettre en vedette.

« La firrme Sola, basée à Madrid, qui a joué un rôle essentiel en plaçant Felipe Calderón du Mexique dans le fauteuil présidentiel en 2006, a dirigé la campagne de Martelly durant les sept dernières semaines, ce qui en dit long pour comprendre comment le musicien, connu pour ses singeries, est devenu un candidat sérieux à la présidence d’Haïti », a rapporté le Toronto Star, le 6 décembre.

Communément, on admet que Calderón a volé les élections de 2006 au candidat de gauche López Obrador, une sale victoire qui a plu à Washington. L’entreprise Ostos & Sola a également contribué à la campagne de Lech Walesa, le pion de l’establishment américain en Pologne. Damian Merlo, directeur exécutif d'Ostos & Sola et dirigeant de la campagne de Martelly, a travaillé sur la campagne présidentielle de John McCain, l'ultra-réactionnaire républicain américain, avant de rejoindre l’entreprise.

Toutes ces associations soulèvent des questions sur quelle «main cachée» peut-être derrière la campagne de Martelly. « Aujourd'hui la question qui n'a pas de prix est la suivante: qui est l’homme d’affaires de Miami qui est allé vers Antonia Sola pour retaper la campagne de Michel Martelly» a écrit le Toronto Star. «Sola sourit à la question, avec son charme espagnol. Il ne veut pas trop en dire. «Un ami, un homme d’affaires, nous a présenté Michel aux États-Unis», a-t-il seulement dit.

La clé de la formule de Sola pour Martelly a été de le présenter comme un «outsider», même s’il avait été le grand initié au sein de la bourgeoisie putschiste qui a renversé Aristide par deux fois. Le 28 novembre, comme il était devenu évident que les élections d’Haïti étaient chargées de fraudes avec en plus négation des droits civiques, Martelly a rejoint 11 autres candidats pour demander leur annulation.

Mais plus tard, ce jour-là, selon ce qu'a rapporté Al Jazeera, Edmond Mulet, qui dirige la Mission des Nations Unies pour stabiliser Haïti (MINUSTAH), a appelé personnellement Martelly pour lui dire qu’il était en tête. Sweet Micky, sans même souffler un mot aux autres candidats du groupe formé de façon impromptue, est retourné dans la course électorale.

Le lendemain, Martelly a nié avoir jamais signé la lettre commune, lue en sa présence lors de la conférence de presse conjointe des candidats le 28 novembre appelant à l’annulation de l’élection. Il a expliqué «son changement de position en disant que sa candidature menait gagnante dans les bureaux de vote où il n’y avait pas eu de fraudes,» a rapporté le Daily Herald de Chicago.

«Il a vu toutes les fraudes qui ont eu lieu le jour du scrutin,» a déclaré à IPS un chauffeur de taxi moto, Weed Charlot, en parlant de Martelly. «Mais maintenant, il voit qu’il a des votes et le pouvoir, alors maintenant il va accepter les élections. » Le même jour où il a parlé à Martelly, Mulet a appelé la candidate Mirlande Manigat pour lui dire qu’elle aussi était en tête du vote. Elle aussi a abandonné le groupe des candidats revendiquant l'annulation.

Puis, le 7 décembre, le CEP a annoncé que Manigat était en tête avec Célestin du parti Unité en deuxième place, donc en position pour le second tour. Martelly, qui, apparemment, est arrivé troisième avec un peu plus de 21%, soit environ 6.800 moins de voix que Célestin, a repris la voie des protestations.

La colère populaire était déjà forte contre Préval et le CEP pour avoir exclu Fanmi Lavalas (23% seulement des 4,7 millions électeurs haïtiens se sont présentés, selon le CEP). Le mess des élections a été la goutte d'eau qui a renversé le vase. En outre, il y avait la rage contre la MINUSTAH pour avoir tenté d’étouffer que ses troupes à Mirebalais ont accidentellement introduit le choléra en Haïti, où la maladie est maintenant devenue une pandémie.

Avec Wyclef Jean à ses côtés prédisant une «guerre civile», Martelly a canalisé la profonde frustration populaire pour attaquer le gouvernement pour lui avoir « volé » une victoire que, prétend-il, devrait être sienne.

Le résultat a été une vague de chaos liée aux élections.

«Il est clair que la plupart des actes de violence en Haïti autour de l’élection ont été menées par des partisans Martelly, a dit Ricot Dupuy de Radio Soleil d’Haïti, basée à Brooklyn. «Des milliers de ses partisans ont paralysé la capitale et d’autres villes durant des manifestations qui comprenaient des attaques sur des bâtiments publics », a rapporté Reuters.

Certaines personnes sont mortes au cours de fusillades et escarmouches entre partisans de Martelly et ceux de Célestin. À la fin de Novembre, le journaliste haïtien Wadner Pierre a vu un groupe de partisans de Martelly au centre de vote Batiment 2004 à Port-au-Prince lancer des pierres tout en chantant: «Si vous ne nous laissez pas voter, nous allons brûler ce bâtiment.»

Les partisans de Martelly sont responsables de la destruction des bâtiments gouvernementaux dans la capitale et dans la ville méridionale des Cayes. Ils ont aussi agressé des adversaires, tandis que les partisans de Célestin ont été accusés d’avoir tué au moins un membre du secteur de Martelly au Champ de Mars.

L'ancien colonel Himmler Rebu a déclaré sur les ondes de Signal FM en Haïti qu’il avait été témoin de la tactique des troupes de Martelly dans la rue. «C’est rien de simple, » a-t-il dit, un euphémisme créole impliquant qu’il y a des forces cachées en action.

En bref, il y a deux mouvements en Haïti aujourd’hui, que certains rapports de presse sont en train de simplifier de façon trompeuse pour en faire un seul. Il y a les masses Lavalas mobilisées contre des élections frauduleuses et d'exclusion de Préval, contre l’occupation de l’ONU, et aussi pour le retour d’Aristide.

Ensuite, il y a la mobilisation de Martelly, utilisant sa célébrité et celle de Wyclef ainsi que les techniques scientifiques d'Ostos & Sola, pour coopter la frustration populaire contre Préval dans un effort de se hisser au pouvoir. Pour jeter la confusion parmi les gens, il assimile Préval à Aristide, prétendant qu’ils sont les gouvernements « jumeaux » responsables des «politiques d'échec » de ces deux dernières décennies.

En réalité, le triste état d'Haïti aujourd’hui peut être attribué principalement aux coups d’Etat de 1991 et 2004, que Martelly a appuyés. En outre, le pouvoir soutenant Préval - la bourgeoisie putschiste d'Haïti - est également proche de Martelly.

Nous assistons [donc] à une féroce rivalité entre deux factions qui se partagent les deux mêmes sponsors: la classe d’affaires d’Haïti anti-Lavalas et les élites transnationales soutenues par les États-Unis, leur appareil d’État le plus puissant.

Comme Martelly l'a expliqué à Georgianne Nienaber du Huffi ngton Post, il est tout à fait d'accord avec l'ordonnance de Washington pour Haïti, soutenant « tout ce qui aidera les exportations ... tout ce qui aidera le secteur privé. « Deuxièmement, Martelly n'appuie pas l'appel du peuple à mettre fin à l’occupation de l’ONU en Haïti: «Je tiens à dire à la communauté internationale, au corps diplomatique et aux organismes non gouvernementaux que nous avons besoin d'eux, » a-t-il dit dans la même interview.

En fin de compte, le candidat Martelly n’est pas un « dark horse » (outsider) [ndlr. un inconnu (politique)], comme le Globe & Mail du Canada le suggère, sorti de nulle part pour se mettre à la tête des «jeunes et des démunis d'Haïti.» Pendant sa campagne, Martelly s'était plu à dire qu’en Haïti, « il s'agit davantage de l’homme que du plan » Si cela est vrai, les Haïtiens devraient avoir de sérieux doutes sur un homme qui a soutenu deux régimes issus de coups d’Etat et qui a utilisé des escadrons de la mort pour réduire au silence la majorité pauvre et étrangler la démocratie qui commençait à naître en Haïti.


|La lumière sur son association avec les « forces des ténèbres »
2701|2763|Langue Manchettes|À propos de Jean-François Lisée et de la question de la langue - d) (11)|2011-01-13 08:44:32|Pierre Dubuc|

Il y a quelques années, le Monde diplomatique faisait paraître, sous le titre La bataille des langues, un recueil de textes sur le combat des différentes langues minoritaires (Manière de voir, Numéro 97, Février-mars 2008). « Bataille », « combat », ces mots traduisent bien l’essence de la question. L’ensemble des textes confirmaient la loi fondamentale des langues en contact : Quand deux langues cohabitent de façon intime sur un même territoire, la plus faible des deux est vouée à disparaître.

Le recueil du Monde diplomatique citait le Québec comme étant un des endroits au monde où cette « batailles des langues » est la plus aiguë. Ce n’est cependant pas l’impression que véhiculent les écrits de la plupart de ceux qui se sont intéressés à la question, des éditorialistes aux commentateurs politiques, de même que les différentes commissions qui avaient le mandat d’aborder la question (Commission Larose, Commission Bouchard-Taylor), sans oublier l’organisme dont c’est le mandat : l’Office québécois de la langue française.

Dans leurs écrits, ce n’est pas les mots « bataille », « combat » ou « lutte » que l’on retrouve, mais les expressions « paix linguistique », « équilibre linguistique », « cohésion sociale ». Et Jean-François Lisée partage la même approche oecuménique. Aussi, avant d’aborder la question centrale du statut du français au Québec, il nous faut procéder à un petit dépoussiérage terminologique.

Bilinguisme. Jean-François Lisée affirme que le Québec est « la société la plus bilingue en Amérique du Nord, la moitié de sa population active pouvant s’exprimer en français et en anglais, proportion qui atteint 63% à Montréal ».

Mais, comme nous y invite Charles Castonguay, il faut aller au-delà des pourcentages et des définitions. Si les recensements donnent 41% de bilingues (toutes langues) au Québec, 35% en Ontario et 30% en Californie, cela équivaut à 10 millions de bilingues en Californie et 4 millions en Ontario, pour moins de 3 millions au Québec.

De plus, on peut questionner la définition du concept de « bilinguisme ». Sont définis comme bilingues ceux qui ont répondu positivement, lors du recensement, à la question : « Cette personne connaît-elle assez bien le français ou l’anglais pour soutenir une conversation? »

Cependant, si on ajoute à cette question l’expression « assez longue sur divers sujets dans cette langue », cela réduit le taux de bilinguisme du tiers chez les francophones du Québec et du quart chez les anglophones. Et, si l’entrevue était menée au téléphone et que l’intervieweur changeait de langue suite à une réponse positive – ce qui est la seule véritable façon de vérifier les dires du répondant – il y a fort à parier que les résultats seraient encore moins spectaculaires.

Enfin, il ne faut jamais oublier que connaître le français ne veut pas dire qu’on s’en sert comme langue principale.

Allophone. Jean-François Lisée a élevé au niveau de Troisième Inquiétude les allophones du Québec. Mais, il ne faudrait pas oublier que l’allophone n’est pas une langue ! Les allophones parlent italien, espagnol, chinois, arabe et une multitude d’autres langues. Aucune de ces langues n’a un poids démographique suffisant pour s’imposer face à l’anglais ou au français au Québec.

On comprend qu’à cause de la situation particulière du Québec, les allophones, comme le signale Jean-François Lisée, ont tendance à conserver plus longtemps que partout ailleurs en Amérique leur langue d’origine comme langue d’usage à la maison. Mais, tôt ou tard, eux ou leurs descendants vont opérer un transfert linguistique vers le français ou l’anglais. C’est là l’enjeu. Nous n’avons donc pas « dépassé le cap de la dichotomie, de l’opposition français/anglais », sans doute pour le plus grand déplaisir de Jean-François Lisée.

À lire différents commentateurs, on a souvent l’impression que le déclin du français serait stoppé et le fameux « équilibre linguistique » atteint si une majorité (50% + 1) des allophones opérait un transfert linguistique vers le français. Le 50% + 1 est peut-être un bon réflexe référendaire, mais il est loin de la réalité dans ce cas-ci. Pour maintenir l’équilibre linguistique actuel entre les communautés francophone et anglophone – empêcher le canot d’avancer vers la chute – il faudrait que, pour chaque allophone qui s’anglicise, il y en ait neuf qui se francisent.

Bien que l’accueil de francotropes soit responsable d’une grande partie de la francisation des immigrants, leur simple présence n’est pas garante de succès en ce domaine. Citant Jack Jedwab, Jean-François Lisée écrit dans Sortie de secours :

Pour 250 000 travailleurs de langue maternelle anglaise, la région de Montréal compte 481 000 personnes qui travaillent principalement en anglais, ce qui représente un excédent de 231 000 utilisateurs additionnels. L’excédent correspondant pour le français est de 173 000. Cela revient à un ratio de 133 travailleurs additionnels anglicisés du point de vue de leur langue de travail, pour 100 francisés. (Charles Castonguay, Le français dégringole, ERQ)


Un nouveau sous-prolétariat francophone

Les recensements ont démontré le lien direct entre l’anglais ou le français comme langue principale de travail et l’adoption de l’anglais ou du français comme nouvelle langue d’usage à la maison parmi les travailleurs allophones.

Le fascicule intitulé Langue de travail publié par l’OQLF en 2006, démontre que parmi les travailleurs allophones qui s’assimilent à l’anglais ou au français « près des deux tiers de ceux qui travaillent en français utilisent le français à la maison tandis que près de 90 % de ceux qui travaillent en anglais parlent cette langue au foyer ».

Charles Castonguay a poussé plus loin l’analyse en mettant en parallèle la langue d’assimilation des immigrés à Montréal avec leurs revenus. Il a découvert un clivage qui n’est pas sans rappeler celui de la société québécoise avant la Révolution tranquille. Les nouveaux immigrants francophones se retrouvent au bas de l’échelle socioéconomique alors que les nouveaux anglophones se concentrent plutôt aux échelons supérieurs. Il a même parlé de la constitution d’un sous-prolétariat francophone à même la nouvelle population allophone.

Cette discrimination est confirmée lorsqu’on étudie la situation de l’emploi chez les immigrants avec celle qui existe dans les autres provinces et ce qui prévalait au Québec, il y a quelques décennies, alors que l’immigration comptait moins de francotropes. C’est le constat d’une étude du centre de recherche CIRANO intitulée Immigration au Québec : Politiques et intégration au marché du travail.

Selon les auteurs, au Québec, le taux d’emploi de la population native de la province était de 11,4 points de pourcentage supérieur à celui des immigrants, alors qu’il était de 5 points supérieur en Ontario, de 5,1 points en Colombie-britannique et de 4,9 points dans l’ensemble du Canada. Comme le taux d’emploi des natifs du Québec était similaire à celui des autres provinces, l’écart plus élevé constaté au Québec est essentiellement attribuable à un taux d’emploi inférieur des immigrants.

L’étude révèle aussi que « le Québec accueille des immigrants plus éduqués, qui maîtrisent mieux le français, mais qui ont beaucoup plus de difficultés à se trouver un emploi qu'il y a 25 ans. » En effet, le taux d’emploi des immigrants était supérieur à celui des Canadiens de naissance vivant au Québec en 1981 (74,5% contre 67,5%). La situation s’est inversée vingt-cinq ans plus tard.

Bien sûr, l’origine musulmane de nombre de ces immigrants est une cause additionnelle de discrimination mais, comme le soulignent les auteurs, « ce qui est le plus surprenant, c’est que lorsqu’on apprécie l’effet de parler en français ou en anglais sur le salaire horaire des immigrants, on note que c’est la capacité à parler en anglais qui importe le plus au Québec ».


Les effets de la Contre-Révolution tranquille

Au début des années 1960, le statut inférieur du français était lié de façon évidente à notre infériorité socio-économique. En 1961, les hommes québécois avaient dix années de scolarité et le salaire des Québécois francophones unilingues atteignait à peine 52 % de celui des hommes anglophones, bilingues ou unilingues. Les anglophones contrôlaient tous les secteurs clefs de l’économie.

Aujourd’hui, les causes du statut inférieur du français sont moins évidentes. Il est remarquable que Le Devoir ait acheté la salade de Jack Jedwab et Léger Marketing sur les revenus comparés des anglophones et des francophones au point où son directeur Bernard Descôteaux a pu faussement écrire dans l’éditorial du 22 juin 2010 marquant le 50e anniversaire du coup d’envoi de la Révolution tranquille : « Aujourd’hui, les Québécois francophones ont un niveau de revenu égal ou supérieur à celui de leurs concitoyens anglophones ». Sans la vigilance de Charles Castonguay, la mystification serait passée comme une lettre à la poste.

Pareil mythe existe également, me semble-t-il, à propos du contrôle de l’économie québécoise par des francophones. Un certain rattrapage a bel et bien eut lieu au cours des années 1960 et 1970, mais fédéralistes et souverainistes se sont donné la main pour exagérer son importance, chacun pour des raisons qui leur étaient propres, les fédéralistes plaidant que c’était la preuve que le Québec pouvait se développer au sein du Canada, les souverainistes plastronnant qu’« on est capables » et que le Québec peut donc devenir indépendant.

Les progrès réalisés ont été indéniables, mais une étude serrée de l’économie québécoise, secteur par secteur, montrerait les reculs considérables depuis les années 1980 avec le retrait de l’État – et des sociétés d’État – à la faveur du discours néolibéral et la vente aux enchères d’entreprises québécoises à des intérêts étrangers. Ces reculs se répercutent sur le statut du français.


La bataille pour l’anglais, une bataille contre l’ignorance ?

Enfin, la mondialisation a le dos large comme facteur explicatif. C’est aujourd’hui l’argument massue des promoteurs du bilinguisme – des deux « langues communes » – qui conduira à de plus en plus d’unilinguisme anglais.

Citons quelques exemples. En 2001, dans une série de huit longs et ennuyeux articles parus dans La Presse, Alain Dubuc décrétait lui aussi que « la loi 101 est au bout de son rouleau » et qu’il fallait envisager de « nouvelles approches ». Sa solution : « briser le tabou linguistique », « s’approprier l’anglais ».

C’est donc priorité à l’apprentissage intensif de l’anglais à l’école. Deuxièmement, instaurer le bilinguisme institutionnel de la fonction publique. Troisièmement, reconnaître non pas le caractère français de Montréal, mais son « bilinguisme ».

À propos du cœur de la question, la langue de travail, Alain Dubuc affirme que « dans une économie moderne, la bataille contre l’anglais au travail peut devenir une bataille pour l’ignorance ». Si une proportion toujours plus grande de francophones parvenait à travailleur dans leur langue, « ce serait, affirmait-il, le signe d’une véritable catastrophe. Cela voudrait dire que le Québec a raté le virage de l’économie du savoir. »

Dans L’intégration linguistique des immigrants au Québec, une étude publiée par l’Institut de recherche en politiques publiques, le psychologue Michel Pagé défend une interprétation de l’esprit et de la lettre de la Charte de la langue française, selon laquelle la Charte reconnaîtrait, au Québec, deux langues communes. Il considère qu’il vaut mieux accepter la large place qu’occupe l’anglais dans le monde du travail et des études supérieures au Québec et pratiquer une politique linguistique en conséquence, plutôt que baliser à nouveau la place qu’il convient d’accorder à cette langue en étendant la loi 101 au cégep ou aux entreprises de moins de 50 employés.

Quant à Jean-François Lisée, il rejoint Alain Dubuc lorsqu’il écrit dans Nous que « l’unilinguisme français provoquerait des retards dans l’intégration de concepts anglo-américains dont il faudrait attendre la traduction, d’où une chute de compétitivité ».

Il ajoute :

Avec qui Caïn s’est-il marié?