Du bon usage de la crise

2011/01/31 | Par André Synnott

«Pour croire qu’on peut avoir une croissance infinie dans un système fini, il faut être fou ou économiste.» Kenneth Boulding, économiste (mais il se soigne)

Susan George écrivit un livre magistral en 1978, Comment meurt l’autre moitié du monde : les vraies raisons de la faim. Elle y dénonçait les échecs de la révolution verte (utilisation de variétés à haut rendement, d’engrais industriels, mécanisation, etc.), programme de la Fondation Rockefeller pour protéger la paysannerie asiatique contre le communisme, qui n’avait en réalité fait qu’augmenter les inégalités entre paysans pauvres et grands propriétaires fonciers ainsi que la mainmise des multinationales des semences et des grains.

Depuis lors, elle a publié plusieurs ouvrages, toujours dans une optique militante réformiste. Présidente fondatrice d’Attac (mouvement pour une taxe sur les transactions financières et spéculatives), amie de Jean Ziegler (sociologue suisse, rapporteur des questions sur la faim à l’ONU) ce qui est bien; amie aussi, ce qui est moins bien, de Joseph Stiglitz (économiste, ancien conseiller de la Maison Blanche, directeur de la Banque mondiale, passant du très capitaliste sommet de Davos au sommet altermondialiste de Porto- Alègre, ce BHL de l’économie prétend réformer le capitalisme), Susan George vient de publier Leurs crises, nos solutions.

Elle y dénonce les politiciens néolibéraux responsables de la scandaleuse crise financière de 2008 et comment en sortir au bénéfice de tous.

Pour elle, nous vivons dans une prison à plusieurs sphères (comme le goulag de Soljenitsyne à plusieurs cercles) qui sont la finance qui contrôle l’économie qui gère la société qui exploite et gaspille sans retenue les ressources de la planète.

Cet ordre de priorité cause la crise que nous subissons et les autres à venir si rien ne change. Pour sortir de la crise, il faut inverser les priorités. La finance doit servir l’économie, l’économie être au service de la société qui doit préserver la survie de la planète, donc la nôtre.


Pris entre quatre murs !

Outre les sphères, elle utilise une autre métaphore : les murs. Il y a d’abord le mur de la finance.

Dans ce système, les profits sont plus rapides, plus juteux avec les multiples produits qui reposent sur des spéculations, des variations quotidiennes des taux de change, des effets de levier, des ventes ou achats à terme, des titrisations (vente de dette en Bourse) plutôt que sur la vente ou la production de biens ou services réels.

Quand cette économie-casino s’est effondrée, les gouvernements sont venus à la rescousse. Trop grosses pour faire faillites, les pertes et autres fumisteries du style PCAA (papier commercial adossé à des actifs) des banques sont épongées par les fonds publics.

Le 2e mur est celui de la pauvreté et de l’inégalité. Des journalistes comme Dubuc et Richer de La Presse ne cessent de clamer qu’il n’y a pas assez de riches pour payer des impôts qu’un État-providence pourra redistribuer. C’est qu’ils n’ont pas encore compris que l’important ce n’est pas la quantité qui compte, mais la «qualité» (une qualité vaut 2 quantités disait Hegel).

Au début des années Reagan et des politiques néolibérales, 1 % des Américains les plus riches recevaient 9 % des revenus totaux, 30 ans plus tard, ce même 1 % en reçoit 22 %.

Les baisses d’impôts aux plus riches conjuguées au déficit budgétaire (l’État doit emprunter puisqu’il a diminué ses recettes fiscales, les riches peuvent investir dans les Bons du Trésor puisqu’ils ne peuvent pas tout dépenser en consommant) ont quand même profité à quelques-uns.

Le 3e mur est celui de l’alimentation et de l’eau. Plus de 30 ans après avoir écrit son premier livre, elle constate que la situation ne s’est pas améliorée, au contraire. Aux problèmes qu’elle a déjà dénoncés, il s’en est ajouté d’autres.

Les pays du Nord continuent de plus belle à subventionner leurs exportations agricoles tout en exigeant, hypocritement, des pays du Sud que cessent les aides de l’État pour supporter les cultures vivrières locales.

De plus, les nouvelles productions d’agrocarburants utilisent du maïs ainsi détourné de l’alimentation humaine ou animale (pour produire du bétail) soi-disant pour réduire la consommation de pétrole. Une fumisterie, la production d’agrocarburant consomme plus de pétrole qu’elle n’en fait économiser.

Autre nouveau problème, les OGM vont accroître la dépendance des producteurs du Sud envers les multinationales des semences tout en réduisant la biodiversité (en attendant de réduire la sociodiversité?).

La question de l’eau est liée à l’agriculture et, donc, à la sécurité alimentaire. Déjà des tensions (qui pourraient devenir des conflits) apparaissent pour l’accès à l’eau douce. La Turquie érige des barrages sur l’Euphrate ce qui nuit, en aval, à l’Iraq. Israël entend contrôler l’eau du Golan annexé depuis la guerre des Six Jours (contre la Syrie) et du Jourdain (contre les Palestiniens, le Liban et la Jordanie).

Sans oublier la possibilité que les États-Unis détournent vers le Sud l’eau des Grands Lacs pour irriguer la Corn Belt, productrice d’agrocarburant, et arroser des terrains de golf.

Elle combat, comme l’Attac, toute idée de privatisation des services d’eau potable et des nappes phréatiques. Exactement ce qu’exigent les représentants du FMI et de la Banque mondiale lorsqu’ils débarquent quelque part avec leurs gros Gucci.

Le 4e mur est le mur du conflit qui est plus ou moins généré par les autres. Les prochains conflits pourraient être causés pour l’eau, par l’accroissement des inégalités, les réfugiés environnementaux, en plus de l’augmentation exponentielle des budgets militaires pour lesquels les programmes d’ajustement structurel du FMI ou de la Banque mondiale ne parlent jamais de réduction.


La solution : des réformes radicales

Comme dans son premier livre, son chapitre le plus long est celui des solutions. Résolument réformiste plutôt que révolutionnaire parce qu’elle ne voit pas le tsar qu’il suffirait de renverser ou le palais d’Hiver qu’il faudrait prendre pour que tout soit réglé.

Elle propose des réformes quand même radicales. Ainsi, la socialisation du crédit, ce qui est différent de la nationalisation, qui permettrait ou obligerait les banques à jouer un rôle concret de développement plutôt que de chercher à faire des coups fumants à la Ponzi.

L’annulation des dettes publiques des pays en échange de programme d’ajustement structurant (elle n’emploie pas cette expression) en faveur de l’éducation, la santé, l’agriculture vivrière, la reforestation pour lutter contre les gaz à effet de serre, une fiscalité progressive, la taxe Tobin sur les transactions financières (un peu plus à gauche, on lui dira «pourquoi taxer le système financier plutôt que de l’abolir?»), l’abolition des paradis fiscaux. Des mesures qui sont peut-être des grains de sable, non pas dans un engrenage, mais ce grain de sable supplémentaire qui parvient à faire tomber un tas de sable.

Elle souhaite être, par ses livres et ses recherches, ce grain de sable qui fait tomber le tas et nous souhaite de l’être par nos lectures et nos actions citoyennes.


Susan George, Leurs crises, nos solutions. Éditions Albin Michel

Cet article est paru dans Le Col blanc, le journal du Syndicat des fonctionnaires municipaux de la Ville de Montréal.