Dénigrement du modèle québécois jugé trop interventionniste

2011/02/01 | Par Réjean Parent

Dans mon billet précédent, j’ai démontré comment l’Institut économique de Montréal (IEDM) réussit à répandre ses idées en étendant ses tentacules, comme le ferait une pieuvre, dans les médias traditionnels et dans les médias sociaux, en multipliant les plateformes diverses, et ce, avec la complicité de quelques individus seulement.

Cette stratégie du réseautage n’est pas innocente et vise à créer l’impression qu’un courant d’opinion de plus en plus fort est en train de se créer autour des idées qu’on défend. C’est d’ailleurs ce qui permet au chroniqueur de La Presse, Alain Dubuc, d’écrire que le mouvement syndical est en porte-à-faux avec le « discours dominant » de la droite au Québec, confondant l’espace démesuré consenti dans les médias aux divers porte-parole de la droite avec ce que penserait la majorité de la population. Mais ce n’est pas parce que la pieuvre de l’IEDM crache son encre dans tous les médias que la population québécoise va se laisser aveugler par ce nuage de propagande.


Une stratégie de manipulation de l’opinion inventée il y a plus de soixante ans

Il n’en demeure pas moins que cette stratégie adoptée par l’IEDM pour semer ses idées n’est pas innocente. Cette façon de faire n’est d’ailleurs pas le fruit d’une réflexion stratégique des dirigeants de l’IEDM. En fait, nos manipulateurs d’opinion de la droite québécoise ne font que copier une recette qui a déjà été éprouvée ailleurs et qui a fait ses preuves.

Une recette mise au point entre le 1er et le 10 avril 1947 à l’occasion d’une rencontre qui allait réunir trente-sept personnalités de l’époque dans un village suisse appelé Mont-Pèlerin. La rencontre avait été organisée par l’économiste autrichien Friedrich Hayek, le père de la réhabilitation du libéralisme économique. Hayek s’inquiétait alors du succès, auprès des gouvernements occidentaux, des thèses d’un autre économiste, John Maynard Keynes. Ce dernier est en quelque sorte le père de l’État providence et ce sont ses thèses qui ont inspiré le président américain Franklin Delano Roosevelt dans l’élaboration de sa politique interventionniste du New Deal. Une politique qui allait donner plus de pouvoirs aux syndicats américains, permettre l’émergence d’une classe moyenne aux États-Unis et générer trente années de prospérité économique jamais vue auparavant.


L’ancêtre de l’IEDM né à Londres

À la sortie de la rencontre à Mont-Pèlerin, un nouveau groupe était né : la Société du Mont-Pèlerin qui existe toujours aujourd’hui. Ses membres allaient s’engager à répandre leurs idées de promotion du libéralisme économique et de dénigrement de l’interventionnisme de l’État, notamment en multipliant la création de réseaux de think tanks, tels que l’Institut économique de Montréal, partout sur la planète.

En fait, l’ancêtre de l’IEDM a été fondé en 1955 à Londres par Hayek lui-même, sous le vocable de « Institute of Economic Affairs ». La stratégie poursuivie à travers la création d’un tel institut était de convaincre, dans un premier temps, les intellectuels et les journalistes, plus sensibles et réceptifs aux idées lorsque présentées sous un emballage « institutionnel ». Il savait fort bien que, dans un deuxième temps, les intellectuels et les journalistes communiqueraient à leur tour ces idées à l’ensemble de la population. Il suffit de regarder ce qui se passe au Québec avec la publication de la moindre analyse de l’IEDM pour constater que Hayek avait raison.


Des théories économiques responsables de la dernière crise

Au fil des décennies, ces think tanks de droite se sont multipliés dans un grand nombre de pays, dont le Canada avec la naissance, en 1958, du C.D. Howe Institute à Toronto et surtout, en 1974, de L’Institut Fraser à Vancouver. À noter que l’Institut Fraser a été fondé par l’économiste Michael Walker, un ami de l’économiste Milton Friedman et disciple de Hayek. Ce dernier était d’ailleurs présent à la fameuse rencontre à Mont-Pèlerin. Quant à l’Institut Fraser, ses dirigeants actuels sont très près des fondateurs du Réseau Liberté-Québec puisque l’organisme avait un stand à Québec lors de la première rencontre officielle des membres le 23 octobre dernier.

Il faut savoir de Friedman que ce sont ses théories de laissez-faire économique qui ont donné naissance aux Chicago Boys, ceux-là mêmes qui ont mis en place les politiques économiques chiliennes pendant la dictature d’Augusto Pinochet. Des politiques économiques qui ont terriblement fait souffrir la population chilienne, comme l’a brillamment démontré la journaliste Naomi Klein dans son livre référence La stratégie du choc. Ce sont ces mêmes théories qui ont inspiré les Ronald Reagan, Margaret Thatcher, George W. Bush et qui nous ont conduits à la grave crise économique des dernières années.


Quand Éric Duhaime louange le modèle économique du dictateur Pinochet

Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’un des plus fervents libertariens, issu notamment de l’IDEM, cofondateur du Réseau Liberté-Québec et chroniqueur dans les médias de Quebecor, à CHOI-FM (Radio X) et à l’émission de Mario Dumont, c’est-à-dire Éric Duhaime, s’est rendu, le 27 août 2009, devant la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale où il est allé vanter les mérites du miracle économique chilien sous Augusto Pinochet. Une position qui a laissé pantois le ministre Sam Hamad et Amir Khadir de Québec solidaire. Pour Duhaime, le Québec devrait s’inspirer des politiques économiques de l’un des pires dictateurs de l’histoire récente, Augusto Pinochet !!! Est-il nécessaire d’ajouter qu’Éric Duhaime est lui-même très influencé par l’Institut Fraser où il a fait son stage de maîtrise ?


Le PDG de l’IEDM… membre de la Société du Mont-Pèlerin

Quant à l’Institut économique de Montréal, il ne faut pas se surprendre qu’il se situe tout à fait dans la lignée de cette stratégie de dénigrement du modèle québécois de solidarité sociale, hérité de la Révolution tranquille, et jugé beaucoup trop « socialiste » par une certaine droite libertarienne. En effet, son PDG, Michel Kelly-Gagnon, ne cache pas qu’il est l’un des rares Québécois à compter parmi les 500 membres, répartis dans une cinquantaine de pays, de la… Société du Mont-Pèlerin !!! Une appartenance qui ne semble d’ailleurs pas déplaire aux généreux et riches mécènes qui contribuent au financement occulte de l’IEDM, dont les analyses prônant une réduction de l’appareil de l’État et des programmes sociaux au Québec font grandement leur affaire, eux qui rêvent d’un État moins interventionniste pour payer moins d’impôt et récupérer à leur profit les services ainsi privatisés.

Liens

La Stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, mai 2008

Société du Mont-Pèlerin