Empêcher de patiner en rond

2011/02/01 | Par Pierre Demers

L’auteur est cinéaste et poète, lugiste à ses heures dans la coulée silencieuse pas très loin du ruisseau Deschênes. Il habite Arvida.

Au risque de faire de la peine à tout le monde, je réfléchis sur les raisons qui poussent les élus de la région et le monde en général, les œillères serrées , à se réjouir de pouvoir tenir ici en 2013, année électorale saguenéenne je crois, les jeux hivernaux du Québec ?

Je réfléchis donc sans m’énerver, je les regarde aller tout ce beau monde qui en perd la voix de satisfaction de voir arriver ici des jeunes athlètes de partout le Québec performer, se dépasser, bref se maintenir en forme pendant qu’ils sont encore jeunes. C’est bien tout ça.

C’est tout de même mieux que de se péter la gueule en bagnole dans un rang le samedi soir à quatre heures du matin ou bien de s’étamper dans un arbre en skidoo à la même heure, gelé comme une bine. C’est mieux que de rouler à 170 kilomètres/heure dans le Parc.


C’est pas les Olympiques tout de même

Je fouille comme il faut les raisons derrière tout ça. Derrière ce battage publicitaire de la

Ville qui dure depuis un temps tout de même, et l’euphorie des médias et des journalistes sportifs devenus fous comme des ballets à l’annonce tant attendue du joyeux événement.

Comme si on venait de remporter un quelconque gros lot. Comme si l’enjeu collectif en valait la chandelle et l’investissement. Comme si la nécessité de faire quelque chose ensemble le commandait. En laissant entendre que «ici aussi c’est possible »…

Respirons par le nez tout d’abord.

Les jeux hivernaux du Québec ce ne sont pas les Olympiques. Leur rayonnement ne dépasse pas les frontières connues. C’est comme un gros tournoi pee-wee qui attire plus de parents et mobilise les employés municipaux et les bénévoles.

Pendant que le maire de Saguenay vivait «le plus beau moment de sa vie » en apprenant le choix de SA ville comme hôtesse des jeux froids, je surveillais ce qui se passait dans les rues du Caire (Révolution du lotus) en Égypte. Bel autre signal de liberté chez les pays arabes.

Les enjeux politiques collectifs ici volent toujours aussi bas. On a les priorités qu’on mérite. Je me disais qu’on s’amuse avec peu de choses, on s’étourdit avec les premiers jouets du bord de ce côté-ci du globe.

Je me disais que pour occuper le peuple et lui faire croire qu’on s’occupe de lui, rien de mieux que de lui promettre encore plus de poutine et de jeux, n’importe lesquels. Mais après un bout de temps, on cherche autre chose. Il faudrait bien passer à autre chose à un moment donné.


Des ambitions collectives populistes

On voit d’ailleurs ce qui passe à Québec avec la saga du nouveau Colisée. Le maire Labeaume se fait du capital avec «l’amphithéâtre multifonctionnel » depuis des mois.

Il est loin de rallier tout le monde à part les radios poubelles et les politiciens nerveux à sa cause. Sans oublier les chroniqueurs sportifs qui salivent autant que les pigistes de Quebecor.

Mais souvent ce sont ces grandes gueules-là qui manipulent l’opinion publique. Elle qui ne saisit pas toujours les vrais enjeux derrière le babil médiatique, qui se contente de participer en buvant sa bière commanditée par la ville à la cage aux sports.

Il faudrait que j’écrive un jour tout le mal que je pense de ce maire de Québec qui représente pour moi ce qu’il y a de pire comme politicien, tous genres confondus fixant à son peuple des ambitions collectives bas de gamme, on ne peut plus populistes comme le retour des Nordiques, le lifting du Vieux-Québec, la promotion des vedettes américaines sur les plaines, tout en insultant tous ceux qui ne rêvent pas comme lui.

Notre maire fait la même chose dans le fond. Il essaie de nous faire oublier ses mauvais coups (La prière à l’hôtel de ville, ses croisières qui coulent, ses poursuites judiciaires qui s’additionnent, sa ville qu’il détruit par quartier, ses filières industrielles qu’il achète à gros prix, son manque d’imagination, sa gestion secrète des affaires publiques entouré de 19 béni-oui-oui) en tirant dans toutes les directions, et surtout du côté des besoins primaires, ceux qui distraient le peuple.

En misant encore une fois sur les arénas pour nos jeunes et l’industrie touristique bornée qui mesure ses retombées à travers une boule de cristal. On pourrait peut-être pensé à autre chose qu’aux touristes dans cette région contrôlée par des vendeurs de paysages, de skidoos et de nuitées d’hôtels?


Une fierté régionale bas de gamme

Je ne suis pas contre les jeux hivernaux du Québec. Mais, je ne crois pas qu’on puisse construire à long terme une fierté régionale avec un événement comme celui-là. C’est facile tout ça.

Nos élus sont pour la plupart des petits arrivistes collés à leurs sièges. Pour remporter la décision cette fois-ci, deux éléments majeurs ont aidé la ville, la mise au ban du maire de Laval empêtré dans ses scandales et la présence charismatique de Pierre Lavoie, le nouveau gourou de la bonne forme nationale.

«Le maire sait bien s’entourer » comme disait récemment son attaché de presse (Ancien chroniqueur sportif du Quotidien) qui vient de prendre sa retraite. En fait, il sait bien acheter tout le monde quand le moment le commande. C’est ce qu’il vient de faire encore.

Il a tout récupéré en son nom le soir même sur le site internet de la ville avec sa belle photo pleine page. Il a beau dire que c’est le résultat d’un travail collectif d’équipe, au bout de l’exercice, c’est toujours lui qui sort grand gagnant. Qui récupère les profits politiques de tous ces investissements. On a tout de même planché deux fois dans le beurre avant de les obtenir ces fameux jeux.

Le maire prépare encore ses prochaines élections de 2013. On ne pourra jamais s’en départir à moins qu’il décide de faire le grand écart en politique fédérale, provinciale. Mais des mauvaises langues nous disent qu’il n’y est pas le bienvenu dans les ligues majeures, «trop imprévisible, cet égo-là, trop sûr de lui, surtout trop catholique ».

À moins qu’il lui arrive un scandale dans les jambes à la dernière minute. On ne le lui souhaite nullement. On voudrait juste le déterrer.

Demex démolition pourrait peut-être nous aider au rythme où cette compagnie rase la ville. Je les avais vus à la Bouquinerie Jacques-Cartier, je les retrouve au restaurant Gosselin de Kénogami effacer toutes les traces du passé encore une fois. «Saguenay construit l’avenir» comme dirait le panneau publicitaire.


Revenons à nos moutons.

Quand sommes-nous fiers ici d’être ici ? Quand, plutôt nos élus frétillent-ils ? Quand ils appréhendent la visite. C’est automatique. On rêve que tout le Québec débarque ici pour profiter de nous, nous reconnaissant comme faisant partie de la famille, comme citoyens

Du territoire à part entière.

Réflexe de colonisés selon moi, ce besoin nécessaire de nous faire confirmer par les voisins. Réflexe régionaliste primaire bien ancré dans nos gènes.

Ici cette nécessité de la caution extérieure est plus prononcée qu’ailleurs. J’ignore pourquoi, mais c’est comme ça. Au lieu de faire ce qu’on a à faire. Développer un sentiment d’appartenance, des projets communs originaux, un souffle distinctif, laisser les gens décider par eux-mêmes, ouvrir les vannes de notre imagination, notre différence.

Pourquoi devoir toujours les embarquer dans des bateaux construits d’avance, conformes, comme les jeux du Québec d’hiver, par exemple? Inventons d’autres façons de s’exprimer ensemble, sans aucun complexe d’infériorité.

Au lieu de toujours sentir la nécessité d’aller quêter quand on sait très bien qu’on aurait les moyens de tout faire ici si les décisions de nos décideurs n’étaient pas trop souvent improvisées ou copiées sur les autres.

Si les priorités qui comptent allaient aux bonnes places. À cet égard, la non - construction de la salle de spectacles m’apparaît exemplaire comme cafouillage politique, perte d’énergie et manipulation de consensus.


Sur le dos des «bénévoles »

Je n’ai rien contre les jeux du Québec d’hiver. Je n’ai rien pour non plus.

Je sais que beaucoup de bénévoles vont encore se taper le travail comme ceux de La Fabuleuse pour entretenir la fausse réputation de bons gestionnaires de nos élus.

Je sais que des parents vont encore payer des fortunes pour voir leurs enfants adhérer à des associations de sports amateurs gérées par des administrateurs bien rémunérés.

Je sais que pour participer à un tournoi pee-wee, des jeunes doivent payer 500$ pour satisfaire l’organisation en plus des équipements qui valent la peau des fesses.

Ce sont ces mêmes jeunes et ces mêmes parents qui vont investir de leur souffle et de leur $$$ dans les jeux d’hiver pour entretenir l’esprit de compétition entre les régions. Ils pourraient s’amuser et se garder en forme et en santé autrement ces jeunes-là.

Mais il faut bien que les élus municipaux s’occupent à quelque chose quand ils sont encore en poste. Il faut bien qu’ils donnent l’impression de travailler pour nous, servir le bien commun.

Je crois que ce sont d’abord des jeux qui font l’affaire des municipalités en mal de subventions et d’infrastructures. Les villes quêteuses comme la nôtre qui brûle les fonds publics à des causes plus ou moins nobles.

Avec cette annonce de la tenue des jeux d’hiver 2013 au Saguenay, les arénas viennent encore de gagner une longueur d’avance sur les bibliothèques. On sait ce que lisent nos élus municipaux : les pages sportives, les éditorialistes gagnés à leur cause et les sondages de popularité qu’ils commandent eux-mêmes. Tout ça sur leurs blackbeurrés fournis par la ville.


Citations de la semaine

«C’est le plus beau jour de ma vie »

  • Le maire de ville Saguenay à l’annonce de l’octroi des jeux hivernaux du Québec 2013, Le Quotidien, 28 janvier.

…petite vie de notaire de province déguisé en petit politicien municipal.


«Je pleurais tout seul dans ma chambre d’hôtel. Je n’arrivais pas à dormir comment j’étais content »

  • Bernard Noël, conseiller municipal à ville Saguenay, sur les ondes d’un poste de radio sportif local, le 28 janvier.

…un thé vert, une petite camomille peut-être. Ça passera, vous verrez votre «heure de gloire ».