Des machines à tuer

2011/02/10 | Par Ginette Leroux

Au Nord de l’Ouganda, région frontalière du Sud-Soudan, l’Armée de Résistance du Seigneur sévit. Au nom de la justice de Dieu et des hommes, Joseph Kony, le chef de guerre rebelle, une sorte d’illuminé, et ses soldats crient vengeance contre le pouvoir central de Kampala. Depuis plus de 20 ans, ils enlèvent des enfants et font d’eux des petits tueurs. Leur armée compte 80% d’enfants soldats. Parmi eux, 30% sont des filles.

Le documentaire de Raymonde Provencher Grace, Milly, Lucy… des fillettes soldates met en lumière le sort réservé à ces fillettes maintenant adultes. Prenant la forme de témoignages bouleversants, les jeunes femmes, épouses et mères, livrent à la caméra les souvenirs de l’époque la plus douloureuse de leur vie.

De sa voix pausée, dont l’immense douleur fait place, depuis son retour de captivité, à la nécessité de témoigner en faveur de toutes celles qui ont connu le même sort qu’elle, Grace raconte son histoire.

En pleine nuit, les vitres du dortoir du pensionnat ont volé en éclat. Puis les soldats rebelles ont enjambé les fenêtres, ouvert la porte et, machette au poing, ils ont forcé les fillettes tremblantes de peur, liées les unes aux autres par une corde enserrant la taille, à les suivre. « Nous étions libres jusqu’à ce que nous voyions un fusil », rapporte celle qui a réussi à fuir ses tortionnaires après sept mois de captivité.

« Vous pouvez échapper à la corde, mais vous n’échapperez pas à la machette », leur dit un des kidnappeurs. L’intimidation suprême qui les jettera dans la jungle, sans ressource autre que leur instinct de survie. L’enfance de Grace et de vingt-neuf de ses camarades prendra fin ce jour-là.

Milly et Lucy ont été arrachées à leur famille à l’âge de neuf ans. Comme les autres, les fillettes ont été forcées de marcher pieds nus dans la brousse, transportant pour leurs ravisseurs bagages lourds, casseroles et eau en équilibre sur leur tête, les armes attachées à leur dos.

En plus d’aller au front comme les garçons, les filles sont réparties parmi les différents commandants pour devenir leurs esclaves sexuelles et domestiques. Chaque commandant pourra prendre une trentaine de filles. Plus tard, lorsqu’elles auront des enfants, elles seront forcées de les amener au combat. Agrippés à elles, les jeunes mères protégeront leurs petits d’une main, tenant leur arme de l’autre. Inévitablement, il arrivera qu’un enfant périsse sur les lieux d’affrontements, essuyant le tir d’un feu ennemi.

Les tourments de Milly et de Lucy se sont étalés sur dix longues années. Lucy doit encore combattre ses démons. Sa collaboration avec ses bourreaux la laisse agitée par un sentiment de culpabilité vissé à l’âme et rend son retour à la vie « normale » plus long et plus difficile. Le film nous la montre angoissée, changeante. Sans la générosité de Milly, capable de mettre de côté les souffrances que lui a fait subir Lucy durant l’interminable enfer, la rescapée pourrait sombrer dans le désespoir.

L’impressionnante résilience des trois jeunes femmes ferait plaisir à Boris Cyrulnik, le psychanalyste français connu pour avoir développé le concept de résilience, basé sur la capacité de se reconstruire suite à un traumatisme. Conscientes de l’importance de porter leur message de solidarité, Grace, Milly et Lucy travaillent au sein de Empowering Hands, un organisme humanitaire qui accueille, informe et soutient les ex-fillettes soldates, otages de cette guerre insensée.

Si les scènes douloureuses d’exactions et les témoignages émouvants de Grace, Milly et Lucy sont au cœur du film de Raymonde Provencher, la documentariste a juxtaposé en contrepoint des images empreintes de paix du paysage africain majestueux, lumineux, serein et fragile. Le contraste est éloquent. La beauté exorcise la peur et la haine.

Grace a retrouvé sa famille et sa vie où elle l’avait laissée. Maintenant diplômée d’une université américaine, elle n’a de cesse de faire connaître la situation des enfants soldats.

« Les enfants du nord de l’Ouganda sont depuis des années enlevés, torturés et forcés à tuer les membres de leur propre famille. Quand on parle des enfants soldats, en règle générale, on ne tient pas compte des fillettes. On les force à devenir des enfants soldats et des fillettes épouses », dira Grace dans un vibrant témoignage devant les membres des Nations Unies à New York.

Vous aimeriez protester contre l’utilisation des enfants dans les conflits armés? Répondez à l’invitation d’Amnistie internationale qui, à l’occasion de la Journée mondiale de la main rouge, convie les spectateurs à se joindre aux diverses actions menées partout dans le monde pour sensibiliser les gens à cette grave situation.

Au cours de la fin de semaine de la sortie du film, vous pourrez participer à la conception d’une bannière « mains rouges ». L’activité consiste à demander aux gens d’apposer leurs mains sur une bannière avec une peinture spéciale qui sera ensuite envoyée au Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon pour exiger une action plus efficace dans le but de mettre fin à cette pratique.

L’événement se déroulera le vendredi 11 février de 17h30 à 21h ainsi que le 12 février de 12h à 16h au Cinéma Parallèle (Ex-Centris). La cinéaste Raymonde Provencher, des représentants d’Amnistie internationale et du Bureau international des droits des enfants y rencontreront le public. Du chocolat chaud et du café seront offerts aux participants.


À noter qu’une entrevue avec Raymonde Provencher sera publiée dans le numéro de mars de l’aut’journal. À suivre…


Grace, Milly, Lucy… des fillettes soldates
, le 11 février au Cinéma Parallèle (Ex-Centris) et au Clap à Québec, dès le 18 février.

Labande-annonce du film est disponible ici.