La guerre inévitable de l’OTAN (II)

2011/03/11 | Par Fidel Castro

Quand, s’inspirant de son collègue égyptien Abdel Gamal Nasser, le colonel de l’armée libyenne, Mouammar el-Kadhafi, alors âgé de vingt-sept ans, renversa le roi Idris Ier, il prit d’importantes mesures révolutionnaires comme la réforme agraire et la nationalisation du pétrole. Il consacra les revenus croissants au développement économique et social, en particulier aux services éducationnels et sanitaires de la peu nombreuse population d’un immense pays majoritairement désertique aux rares terres cultivables.

Une mer d’eau fossile très étendue et profonde gît sous ce désert. Et il m’avait semblé, après avoir connu une zone de culture expérimentale, que ces eaux seraient à l’avenir plus précieuses que le pétrole.

La foi religieuse, prêchée avec la ferveur qui caractérise les peuples musulmans, aidait en partie à compenser la forte tendance tribale qui caractérise encore ce pays arabe. Les révolutionnaires libyens élaborèrent leurs propres idées et les appliquèrent dans des institutions juridiques et politiques que Cuba se fit une norme de respecter.

Elle s’abstint absolument d’émettre des vues sur les conceptions de la direction libyenne. Mais je constate clairement que les États-Unis et l’OTAN s’inquiètent surtout, non de ce qu’il se passe en Libye, mais de la vague révolutionnaire qui déferle dans le monde arabe et qu’ils veulent freiner à tout prix.

Car il est incontestable que, ces dernières années, les rapports des USA et de leurs alliés de l’OTAN avec la Libye étaient excellents…, jusqu’à la rébellion en Égypte et en Tunisie. Aucun dirigeant des pays de l’OTAN ne faisait état de problèmes quand il rencontrait Kadhafi ; la Libye était devenue une source sûre de pétrole de grande qualité, de gaz, voire de potasse. Les difficultés surgies entre eux dans les premières décennies avaient été surmontées.

Le pays s’était ouvert à l’investissement étranger dans des secteurs stratégiques comme la production et la distribution du pétrole.

La privatisation avait touché de nombreuses sociétés publiques. Le Fonds monétaire international jouait son rôle béatifique dans la mise en place de ces opérations. Bien entendu, Aznar ne tarissait pas d’éloges envers Kadhafi. Et, à sa suite, Blair, Berlusconi, Sarkozy, Zapatero et jusqu’à mon ami le roi d’Espagne défilèrent sous le regard narquois du leader libyen. Ils étaient heureux.

J’ai l’air de me moquer, mais c’est faux. Car je me demande tout simplement : pourquoi veulent-ils maintenant envahir la Libye et traduire Kadhafi devant la Cour pénale internationale de La Haye ?

On l’accuse du matin au soir d’avoir fait tirer contre des citoyens désarmés qui protestaient. Pourquoi ne dit-on pas au monde que ce sont les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres hôtes illustres de Kadhafi qui lui ont fourni les armes et surtout les équipements de répression sophistiqués qu’il possède ?

Je m’oppose aux mensonges cyniques par lesquels on prétend justifier l’invasion et l’occupation de la Libye.

Ma dernière visite à Kadhafi remonte à mai 2001. Quinze années s’étaient écoulées depuis que Reagan avait attaqué sa résidence plutôt modeste, mais il avait tenu à me faire constater les grandes destructions qu’y avait causées la frappe directe de l’aviation, laquelle avait aussi tué sa petite fille de trois ans… Assassinée par Ronald Reagan ! Il n’y avait pas eu dans ce cas d’accord préalable de l’OTAN, du Conseil des droits de l’homme ni du Conseil de sécurité.

Ma visite antérieure datait de 1977, huit ans après le début de la révolution en Libye. J’avais visité Tripoli ; j’avais participé au Congrès du peuple libyen à Sebha ; j’avais parcouru les zones agricoles où se déroulaient les premières expérimentations à partir des eaux tirées de l’immense mer fossile ; j’avais connu Benghazi où j’avais fait l’objet d’un accueil chaleureux. La Libye était un pays légendaire qui avait été le théâtre de batailles historiques durant la dernière guerre mondiale. Elle ne comptait même pas six millions d’habitants, et ses énormes réserves de pétrole léger et d’eau fossile n’avaient pas encore été découvertes. Et les anciennes colonies portugaises d’Afrique s’étaient déjà libérées.

En Angola, nous avions lutté quinze années durant contre les bandes mercenaires organisées par les États-Unis sur des bases tribales, contre le gouvernement de Mobutu et contre l’armée raciste de l’apartheid, bien équipée et bien entraînée. Celle-ci, obéissant – on le sait aujourd’hui – à des instructions des États-Unis, avait envahi l’Angola en 1975 pour empêcher son indépendance, et ses forces motorisées étaient parvenues aux portes de Luanda. Plusieurs instructeurs cubains moururent durant cette invasion brutale face à laquelle nous dépêchâmes de toute urgence des ressources. Une fois expulsées du pays par les troupes internationalistes cubaines et les troupes angolaises jusqu’à la frontière de la Namibie occupée par l’Afrique du Sud raciste, celle-ci reçut pendant treize ans la mission de liquider la révolution en Angola.

Elle mit au point l’armée atomique avec l’appui des États-Unis et d’Israël. Et elle la possédait déjà quand les troupes cubaines et angolaises mirent en déroute ses forces terrestres et aériennes à Cuito Cuanavale et, bravant les risques, utilisant les tactiques et les moyens classiques, progressèrent jusqu’à la frontière namibienne où les troupes de l’apartheid prétendaient résister. Nos troupes ont, deux fois dans leur histoire, couru le risque d’être attaquées par ce genre d’arme : en octobre 1962 et dans le Sud angolais, mais, dans ce second cas, même l’arme nucléaire n’aurait pas empêché la défaite de l’Afrique du Sud qui marqua la fin de son système odieux. Tout ceci se passait sous l’administration Ronald Reagan aux USA et sous Pieter Botha en Afrique du Sud.

Nul ne parle de cette aventure impérialiste, ni des centaines de milliers de vies qu’elle a coûtées.

Je regrette d’avoir à rappeler ces faits quand un autre grand risque pèse sur les peuples arabes parce qu’ils ne résignent plus au pillage et à l’oppression dont ils sont victimes. La révolution dans le monde arabe, que redoutent tant les États-Unis et l’OTAN, est la révolution de ceux qui n’ont aucun droit face à ceux qui font étalage de tous les privilèges et elle est donc appelée à être plus profonde que celle qui éclata en Europe à partir de la prise de la Bastille en 1789.

Même Louis XIV, qui proclama : « L’État, c’est moi ! », ne bénéficiait pas des prébendes du roi Abdallah d’Arabie saoudite, encore moins de l’immense richesse qui git sous la surface de ce pays quasi désertique où les transnationales yankees décident de l’extraction du pétrole et contrôlent donc les cours mondiaux de ce produit. Depuis que la crise a éclaté en Libye, l’extraction du pétrole en Arabie saoudite a augmenté d’un million de barils par jour, à un coût minime, de sorte que les revenus de ce pays et de ceux qui le contrôlent s’élèvent, rien qu’à ce titre, à un milliard de dollars par jour.

Mais que personne ne pense que le peuple saoudien baigne dans la richesse. Les récits des conditions de vie de nombreux travailleurs du bâtiment et d’autres secteurs, contraints de travailler treize ou quatorze heures par jour pour des salaires misérables, sont émouvants.

Effrayée par la vague révolutionnaire qui ébranle le système de pillage en place depuis les faits dont les travailleurs ont été les protagonistes en Égypte et en Tunisie, mais aussi par les actions des jeunes chômeurs en Jordanie, dans les territoires occupés de Palestine, au Yémen, et même au Bahreïn et dans les Émirats arabes aux revenus plus élevés, la haute hiérarchie saoudite vit sous l’impact des événements.

À la différence de ce qu’il se passait autrefois, les peuples arabes reçoivent aujourd’hui des informations presque immédiates, quoiqu’extraordinairement manipulées, sur le cours des événements.

Le pire pour le statut des secteurs privilégiés, c’est que les faits – qui sont têtus, on le sait – coïncident avec une hausse considérable des cours des aliments et avec les retombées dévastatrices des changements climatiques, tandis que les États-Unis, le plus gros producteur de maïs au monde, utilisent presque 40 p. 100 de ce produit subventionné et une part importante de leur soja pour fabriquer des biocarburants destinés aux moteurs de voitures. Lester Brown, l’écologiste étasunien le mieux informé au monde sur les produits agricoles, peut nous offrir sûrement une idée de la situation alimentaire actuelle.

Le président bolivarien Hugo Chávez tente un vaillant effort pour trouver un règlement en Libye sans intervention de l’OTAN. Ses possibilités de succès augmenteraient s’il parvenait – ce qui serait un exploit – à créer un vaste mouvement d’opinion avant, et non après, l’intervention, afin que les peuples ne voient pas se répéter dans d’autres pays l’atroce expérience de l’Iraq.

Je conclus ici ces Réflexions.

Fidel Castro Ruz
La Havane
Le 3 mars 2011 22 h 32

Traduction J-F Bonaldi, La Havane