Les grands talents

2011/03/17 | Par Michel Rioux

On connaît tous quelqu’un dont la spécialité consiste à donner des leçons à tout le monde, ce qui a l’heur de tomber sur les nerfs de tout le monde. Dans ma jeunesse, on disait de ces personnes qu’elles avaient « un grand talent ».

Les grands talents, par définition, savent tout. Rien ne leur échappe. Ils sont les meilleurs sur toute la ligne. C’est ce qu’ils croient et c’est ce qu’ils montrent. Ils tiennent à ce que cela se sache et soit connu de tous. À force de se les péter, ils passent leur temps à changer leurs paires de bretelles.

Il en est des pays comme des personnes.

De ce point de vue, les USA sont à la veille de manquer de bretelles, me semble. Peut-on imaginer plus grand talent que celui-là, qui donne des leçons urbi et orbi en imposant sa loi autant par les armes que par le cinéma ?

Drapé dans des habits démocratiques trop grands pour lui, ce parangon de vertu est pourtant le seul pays sur la planète à avoir été constamment en guerre avec quelqu’un au cours des cent dernières années.

Quand on a déversé 80 millions de litres d’agent orange et autant de napalm au Vietnam, une petite gêne serait peut-être de mise quand il est question de crimes contre l’humanité, non ?

C’est ainsi que le soldat Manning est soupçonné d’avoir transmis à WikiLeaks le film d’une fusillade dans lequel des soldats étasuniens mitraillent d’un hélicoptère des civils irakiens. Le gars est aujourd’hui en prison.

« Toutes les cinq minutes, les gardes l'observent et lui demandent si ça va, question à laquelle il doit répondre par l'affirmative. La nuit, s'ils ne voient pas sa tête dépasser de sa couverture, ils le réveillent. Et tous les soirs depuis le 2 mars, le détenu doit remettre aux gardes la totalité de ses vêtements, y compris son caleçon, pour dormir nu sans drap, sous une couverture fabriquée dans un tissu indéchirable. Le matin, c'est donc nu qu'il apparaît aux gardes. Interrogé, le président Obama a répondu sèchement que le Pentagone l'avait assuré que le soldat Manning recevait un traitement “correct” et “normal” dans les circonstances. »

Dans le temps, Saddam aussi trouvait que c’était ben correct…

Puisqu’il est question de pays arabes, une statistique révélée par le CIA World Factbook nous en apprend encore une fois de belles sur les USA.

En se fondant sur l’indice de Gini, mis au point par le statisticien du même nom, il est possible de comparer le niveau d’inégalités qu’on peut trouver dans un pays. Plus le chiffre est bas, plus le pays en question est égalitaire en matière de revenus. Alors que les USA ont un indice de 45, la Tunisie de Ben Ali voit le sien à 40, le Yémen de Saleh se situe à 37,7 et l’Égypte de Moubarak score à 34,4. De quoi réduire un peu le torse bombé d’Uncle Sam.

Mais il ne faudrait pas trop compter là-dessus. On cultive les inégalités aux USA comme on cultive le pavot en Afghanistan, avec une insolente fierté.

L’observation qui suit est d’un vieux gauchiste impénitent, Warren Buffett, ci-devant troisième fortune au monde. Ayant déclaré des revenus imposables de 46 millions $, il avouait avoir été taxé à hauteur de 17,7 % pendant que la réceptionniste de son bureau l’était, elle, à hauteur de 30 % ! « Les riches comme moi doivent faire davantage pour aider les moins bien nantis », a-t-il souligné.

Mais il n’y a pas qu’aux USA qu’on trouve des grands talents donneurs de leçons. Nous en fabriquons nous-mêmes un certain nombre. La palme revient certainement à un avocat de province, un temps premier ministre et devenu l’homme lige des gazières et des pétroleuses au Québec depuis qu’il reçoit ses honoraires d’une firme de Calgary. Admirons la trajectoire, quand même.

Il y a quelques années, dans un accès de lucidité, il disait vouloir faire travailler davantage les Québécois, réputés paresseux. Mais il ne nous avait pas dit que c’est dans le gaz et le pétrole que trempait notre avenir collectif. Même Jean Charest a reconnu son grand talent, comme en témoigne ce titre du Devoir : Charest adopte le discours de Bouchard.

Révélateur, ce titre ! Un syllogisme nous en fait saisir toute la signification profonde :

Bouchard parle pour l’industrie gazière.

Or, Charest parle comme Bouchard.

Donc, Charest adopte le discours de l’industrie gazière.

Ça, on s’en doutait depuis un bon bout de temps !