Le français et les nouvelles technologies d’information en milieu de travail

2011/03/24 | Par Maude Messier

Adoptée en 1977, la Charte de la langue française institue le français comme langue du travail au Québec. « Après 34 ans d’existence, il y a donc plus d’une génération, on ne peut pas plaider l’ignorance. La Charte a préséance sur toutes les lois du Québec. Le français est la langue du travail, c’est un droit fondamental », déclarait André Michaud, conseiller en francisation à l’Office québécois de la langue française (OQLF), devant 80 délégués de la CSN réunis jeudi dernier à l’occasion d’une rencontre nationale sur la francisation des milieux de travail.

Rappelons succinctement que les entreprises de 50 employés et plus doivent démontrer une utilisation généralisée du français sur les lieux de travail pour obtenir un certificat de francisation, à défaut de quoi elles doivent se soumettre à un programme de francisation, sous peine d’amendes et de pénalités.

Selon le porte-parole de l’OQLF, Martin Bergeron, des 5 850 entreprises de 50 employés et plus inscrites auprès de l’Office, 84% d’entre-elles détiennent un certificat de francisation. « Pour le 16% restant, cela ne signifie pas nécessairement qu’elles sont fautives ou non conformes, dans certains cas, elles sont en processus de francisation. »

Selon Statistique Canada, 82% des travailleurs et travailleuses québécois travaillaient en français en 2001. La région de Montréal présentait toutefois une situation singulière : 18,5% travaillaient principalement ou exclusivement en anglais.

Malgré les avancées significatives des dernières années, force est constater qu’il reste encore du chemin à parcourir. Pour André Michaud, il ne fait aucun doute que les nouvelles technologies d’information et de communication (TIC) constituent le «nerf de la guerre».

Dans la perspective de généraliser l’utilisation du français à tous les niveaux de l’entreprise, il aura fallu moderniser certaines dispositions de la Charte en 1992 pour traiter de la question de l’utilisation du français dans les TIC.

« À l’époque, on ne pensait pas à la démocratisation des technologies de l’information, une réalité incontournable dans les milieux de travail en 2011 », soutient le conseiller en francisation qui compte plus d’une vingtaine d’années d’expérience au sein de l’OQLF.

Il attribue d’ailleurs à cette réalité les principaux reculs observés en matière de francisation des entreprises et pointe du doigt le manque d’information ainsi que les préjugés tenaces entretenus à l’égard des TIC.

« Les mythes sont nombreux, confirme le conseiller en entrevue à l’aut’journal. Dans le cas des technologies de l’information, la terminologie appropriée est généralement en anglais, notamment pour les programmes de gestion, de comptabilité, etc. C’est pernicieux. On nous dit souvent que les mises à jour sont plus rapides en anglais; ce qui absolument faux. Maintenant, les mises à jour sont disponibles simultanément en plusieurs langues. »

Il poursuit avec un brin d’ironie : « On entend aussi le classique : mon spécialiste en informatique est anglophone. Une chance qu’il ne parle pas le mandarin! Tant que c’est en anglais, il n’y a aucun scrupule, comme si d’emblée, tout le monde doit comprendre. »

André Michaud rappelle que la généralisation du français comme langue de travail est une obligation qui relève de l’employeur. « Les employeurs ont le devoir d’installer les logiciels et le matériel en français aux différents postes de travail.»

Il insiste particulièrement sur le fait que le français ne doit pas seulement être disponible, mais doit être utilisé et généralisé, quoiqu’en disent ou en pensent les employés. « Ce n’est pas un choix. Les outils de travail n’appartiennent pas aux usagers, mais à l’entreprise. Il faut que ce soit clair. »

L’OQLF a développé des solutions concrètes et des services-conseils mis à la disposition des entreprises pour les épauler dans leur cheminement. Mais l’utilisation accrue des bases de données, des logiciels-services, des téléphones intelligents et des réseaux sociaux soulèvent bien des questionnements à l’Office.

Le porte-parole de l’organisme confirme d’ailleurs que la francisation des TIC constitue un dossier prioritaire à l’OQLF et que l’organisme dégage à cet effet des ressources considérables. « Nous sommes actuellement en réflexion sur ces nouvelles réalités, mais nous n’avons pas de solutions complètes pour le moment. »

La présentation de M. Michaud a mis en lumière nombre de situations inconfortables, voire carrément inacceptables, avec lesquelles sont aux prises les organisations syndicales, comme en témoignaient les interventions des différents participants jeudi dernier.

L’anglais s’imposant d’emblée comme langue d’usage malgré le fait qu’elle ne soit parlée que par une minorité de personnes, lors d’une conférence téléphonique ou dans un échange de courriels par exemple, l’utilisation de certains logiciels et programmes informatiques, les devis de machinerie fabriquées à l’étranger et l’affichage unilingues en anglais sont des situations apparemment récurrentes selon les syndicats.

« S’il y a des échanges par courriels en anglais, il doit y avoir l’équivalent en français, au minimum », insiste sur ce point André Michaud.

Qu’une entreprise d’exportation soit basée en Ontario ou aux États-Unis, elle doit se conformer aux dispositions de la Charte de la langue française. André Michaud conclut qu’« il n’y a donc aucune raison pour que le bilinguisme figure comme une nécessité dans les critères d’embauche pour l’ensemble du personnel de l’entreprise », du secteur des ventes à l’étranger à l’administration et à la production, de même qu’au concierge et au manœuvre.


Photo: Jean-Pierre G.