Élections au Pérou : Le club des ex

2011/04/11 | Par Maryse Tétreault

C’est dans un climat de fatigue politique, après la longue campagne municipale de 2010, que les citoyens devront élire leur représentant à la présidence et au Congrès le 10 avril prochain. Et la liste est longue et la lutte, très chaude. On compte onze candidatures pour le poste de président, une distribution digne d’un feuilleton à saveur latino, incluant aussi sa part de rebondissements et de scandales.

Dans le royaume de l’incertitude décrit par Alberto Vergara1, les élections présidentielles sont l’occasion pour le Pérou de renouer avec ses « ex » : Alejandro Toledo (ex président de la République de 2001 à 2006), Keiko Fujimori (fille de l’ex-président emprisonné, Alberto Fujimori), Luis Castañeda (ex-maire de Lima), Ollanta Humala (ex candidat et perdant au deuxième tour des élections de 2006) et Pedro Pablo Kuczynski (ex-président du Conseil des ministres et ministre de l’Économie et des Finances).



Le retour de l’Inca

Alejandro Toledo revient au pays pour lancer sa candidature, toujours sous la devise politique qui l’avait hissé au pouvoir en 2001 : Peru Posible. Le cholo revient donc en force, mais son passé pèse sur sa candidature, pour le meilleur et pour le pire.

C’est une personne calme et plutôt confiante qui s’affiche en public, mais avec les mêmes veilles tactiques: un appel aux racines, un rappel inévitable des bons coups de son mandat précédent (Nous l’avons fait bien, nous pouvons le faire mieux) et l’assurance que les erreurs commises ne se répèteront pas.

Les électeurs n’ont toutefois pas trop de mal à se rappeler son mandat passé caractérisé par ses frivolités et son penchant pour l’alcool. C’est tout de même un favori dans cette course électorale qui lors du dernier sondage présidentielle du 3 avril, menait avec 26% des intentions de votes.


La fille de l’autre

Malgré le fait que plusieurs la connaisse par son prénom, Keiko, c’est plutôt son nom de famille qui fait sa marque de commerce : Fujimori. C’est la fille de l’ex-président Alberto Fujimori (1990-2000) condamné il y a deux ans pour violations graves des droits humains et pour corruption commis durant sa présidence.

Femme que plusieurs personnes qualifient d’exemplaire : jeune mère de famille de 35 ans, diplômée d’Havard, mariée à un gringo et bien articulée, elle offre l’image d’une personne en contrôle de ses moyens.

Son capital politique: mettre le paquet sur les succès du gouvernement de son père, soit une main ferme en matière de sécurité et un emphase sur la création les programmes sociaux et assistencialistes. On se rappellera que dans l’imaginaire populaire, ce fut son père qui mit fin au terrorisme politique des années 1980 et 1990, un conflit armé qui s’était soldé par la mort et la disparition de plus de 60 000 personnes selon les chiffres de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation.

Toutefois, un large secteur ne lui pardonne toujours pas les mesures prises par son père pour arriver à ses fins : dissolution du Congrès, répression des mouvements citoyens, disparition de dirigeants politiques, censure des médias, commandos spéciaux d’extermination, usage systématique de la torture et stérilisation forcées de femmes paysannes.

Malgré le fait qu’elle promette de ne pas laisser gouverner le pays par son papy, la question de la libération de ce dernier demeure obscure. Son discours se vend bien et séduit un large pan de la population, ce qui la classe en deuxième place lors du dernier sondage électoral, avec plus de 20% des intentions de vote.


Le maire qui rêvait de grandeur

À une semaine des commisses, Luis Castañeda, ex-maire de la ville de Lima (2002-2010) ne semble plus être dans la course. Son incapacité à s’exprimer et à manier des thèmes nationaux leur ont valu un rejet graduel de l’électorat; un rejet qui s’observe tangiblement dans les sondages où ses intentions de vote n’ont fait que dégringolées depuis le début de la campagne, le relayant désormais au cinquième rang.

Sa formule : faire du Pérou ce qu’il a fait de Lima, mais la proposition ne lève pas. Une pierre toutefois dans son soulier : ses nombreux travaux publics si populaires auprès des franges marginalisées sont en processus d’audit.


Le nationaliste (bis)

Ollanta Humala. Si ce nom vous sonne connu, c’est qu’il était sur toutes les lèvres en 2006. Humala, candidat à la dernière élection présidentielle s’était alors incliné au second tour devant Alan Garcia, actuel président de la République.

Nationaliste endurci et militaire de formation, les médias lui ont fait la vie dure en 2006. Cette année, son image s’est adoucie et son discours s’est recentré. Ses propositions n’ont pas changé radicalement, mais son ton s’est modéré. Il faut dire que son équipe a bénéficié de la participation active de deux publicistes brésiliens qui avait été impliqué dans la campagne de l’ex-président Lula Da Silva.

En dépit d’être mieux conseillées, son image d’autoritarisme demeure encore pour une grande portion de l’électorat. Suite à sa montée inattendue dans les sondages, les médias ont recommencé à lui faire la vie dure, en utilisant en dernier recours des tactiques récupérées de la campagne de 2006 : proximité avec Hugo Chavez, instabilité économique à prévoir, rappel de son passé militaire, etc.

Malgré tout, il avance dans les sondages et prend la tête avec plus de 27% des intentions de votes, ce qui propulsera très probablement au ballottage.2


PPK

Non, ce n’est pas une marque de poulet, mais bien un candidat bien connu au sein des institutions du pays. On parle ici de l’économiste et lobbyiste Pedro Pablo Kuczynski (72 ans), ex-ministre de l’Économie et des Finances et président du Conseil des ministres durant le gouvernement de Toledo.

À la tête d’une coalition de partis de droite, PPK est le candidat gringo bourgeois du lot (grâce à sa double nationalité) : bonne éducation, bon salaire, bon CV, mais avec un charisme déficitaire. Mais le public l’aime et les médias l’aiment. Donc, il est partout.

Dans les sondages, il est le candidat qui séduit le plus les indécis et celui ayant le plus évolué, surtout chez les jeunes. Il plafonne maintenant à 18%.

Toutefois, pour les plus fins analystes, sa candidature est parsemée d’histoires passées non résolues, dont sa participation lors du conflit concernant l’exploitation de gisements de pétrole par la International Petroleum Company, sa participation dans la vente de lots de gaz à la compagnie américaine Hunt Oil Co.3, son double rôle de lobbyiste et ministre, son empressement à morceler et vendre le port du Callao, etc.


Et finalement, les électeurs

Et les électeurs dans tout ça continuent d’être toujours aussi sceptiques face aux promesses électorales des candidats qui, une fois les élections passées, deviennent de nouveau les promesses des prochaines élections. Par conséquent, ce sont plus de 80% des Péruviens qui ne se sentent pas représentés par aucun parti politique en liste.

Le 10 avril sera donc un pari dans le vide pour une population qui malgré une économie qui montre des chiffres encourageants ne vit par les mannes du libéralisme de la même manière. Les données du dernier rapport de la Banque mondiale devraient pourtant les réjouir, puisque l’indice d’inégalité se serait réduit, mais dans la vie quotidienne, tous ne sont pas de cet avis.

Ce sera donc, une fois encore, un vote moins rationnel et idéologique qu’émotif et personnaliste. Un vote davantage contre un candidat que pour un candidat. On ne peut toutefois pas dire que les électeurs soient les seuls responsables de cette tendance.

Les candidats et les médias y sont pour beaucoup puisque la campagne a été majoritairement meublée par des scandales et autres petites histoires sans importance. Avec ce désintérêt latent, on comprend mieux pourquoi le vote est obligatoire dans cette région du monde. Dans un tel climat, il ne nous reste plus qu’à attendre pour savoir quel « ex » sera élu président le 10 avril prochain.


1 Voir l’article d’Alberto Vergara: http://www.fp-es.org/peru-reino-de-la-incertidumbre [en espagnol].

2 Selon les résultats de la maison de sondage IPSOS-APOYO, diffusés lors du dernière sondage électorale après le débat présidentiel du 3 avril dernier. Voir : http://elcomercio.pe/politica/737261/noticia-balance-encuestas-presidenciales-mire-compare-resultados