Le (NÉO)colonialisme au Québec

2011/04/11 | Par Alain Dion

«Le colonialisme est un génocide qui n’en finit plus»

André D’Allemagne

«Maudit qu’on est colonisés !» Combien de fois ai-je entendu cette expression autour de moi au cours des derniers mois ? Que ce soit à propos du laxisme et de la complaisance de nos dirigeants dans le dossier du gaz de schiste et des hydrocarbures, de la moyenâgeuse loi sur les mines ou encore de l’attitude d’une certaine élite rompue au bilinguisme, le constat est toujours le même.

Après avoir nourri l’espoir à une époque pas si lointaine de devenir Maîtres chez nous, le peuple du Québec au cours des dernières années, a lentement sombré dans une léthargie politique et sociale patente qui n’est pas sans évoquer la situation coloniale où, «conditionné par la propagande, trouvant son sort acceptable, l’ensemble de la population dominée perd ses réflexes de défense, s’effrite dans sa personnalité et aspire à ressembler à son conquérant».

C’est en ces termes encore empreints d’actualité, qu’André D’Allemagne témoignait au milieu des années 60, de la situation du peuple québécois. Membre fondateur et premier président du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), militant indépendantiste de la première heure aux côtés de Pierre Bourgault, de Marcel Chaput et d’Andrée Ferretti, entre autres, André D’Allemagne, dont nous commémorions le dixième anniversaire de son décès en février, est également l’un des plus importants penseurs de la lutte de libération nationale.

Le colonialisme au Québec, son premier ouvrage, témoignait déjà à l’époque de l’acuité de l’analyse de l’homme, de sa capacité à illustrer les mécanismes et les effets du colonialisme qui sévissait alors au Québec.

D’abord publié en 1966, puis réédité en 2000 dans la collection «Mémoire des Amériques» chez Comeau & Nadeau, Le colonialisme au Québec est aujourd’hui encore un véritable phare dans la grisaille politique et sociale qui emmure le Québec.

Bien que certaines parties de son analyse puissent paraître désuètes (le peuple du Québec a su au fil des ans reprendre en main une partie de sa destinée, que ce soit aux niveaux culturel, social ou économique), cet ouvrage permet de jeter un regard très intéressant sur le présent passage à vide que nous vivons actuellement au Québec.

Confronté à de nouvelles réalités liées à la mondialisation, à l’émergence d’un capitalisme sauvage et apatride, à l’hégémonie de la culture américaine ou encore à l’obscurantisme conservateur, le peuple québécois se retrouve aujourd’hui soumis à une nouvelle forme de colonialisme, un néo-colonialisme tout aussi ravageur.

D’Allemagne décrivait la situation en 1966 en soulignant qu’un régime colonial «se présente en façade, comme relativement démocratique et qu’il a besoin de la collaboration active d’une élite colonisée qu’il fabrique ou qu’il puise dans les élites traditionnelles». Ces mots de ne sont pas sans rappeler certains personnages de notre réalité politique, n’est-ce pas ?

Dans ce long périple du peuple québécois vers sa pleine et entière émancipation, il fait parfois bon de jeter un regard dans le rétroviseur pour bien mesurer la route parcourue.

Cet ouvrage d’André D’Allemagne permet à la fois de prendre conscience de nos réussites collectives, mais il souligne surtout que pour parvenir à véritablement devenir maîtres chez nous, l’avenir du Québec «doit se construire sur deux grands pôles : la libération politique qui par l’indépendance fera que les décisions ne dépendront plus de l’étranger, et la libération économique et sociale qui mettra les ressources du pays à la disposition de la population du pays».


André D’Allemagne, Le colonialisme au Québec, Comeau & Nadeau, 2000, 190 p.