Congrès du PQ : le débat sur l’affichage

2011/04/18 | Par L’aut’journal 

Au congrès du Parti Québécois, les délégués ont voté en faveur d’une proposition prônant le rétablissement des dispositions de la loi 101 dans l’affichage, défendue par Pierre Dubuc, directeur de l’aut’journal et secrétaire du SPQ Libre.

Le vote a créé une commotion et la direction du parti, Mme Marois en tête, a demandé aux délégués de reconsidérer leur vote, en plaidant la difficulté de rouvrir ce dossier juridique, à cause d’une décision de l’ONU sur cette question.


Pour y voir clair, voici un bref rappel historique.

En décembre 1988, la Cour suprême du Canada invalidait l’article de la Charte de la langue française sur l’affichage. La Cour, par l’arrêt Ford de 1988, statue que la notion de liberté d’expression comprend les messages commerciaux et que l’interdiction d’employer une autre langue que le français est incompatible avec le droit à l’égalité garanti par les chartes.

Cependant, magnanime, la Cour considère comme justifié le fait d’exiger la présence du français dans la publicité commerciale et les raisons sociales. Elle affirme même que l’exigence de la nette prédominance du français serait juridiquement et constitutionnellement admissible.

Le Québec français se souleva d’un bloc contre ce jugement. Manifestations et assemblées se succédèrent. Les locaux d’Alliance Québec furent incendiés. Sous la pression populaire, le gouvernement Bourassa faisait adopter en décembre 1988 la loi 178.

En s’appuyant sur la clause dérogatoire, cette loi édicte que l’affichage, à l’extérieur des établissements, devait continuer de se faire uniquement en français, mais que l’affichage à l’intérieur des établissements pouvait se faire en français, ou à la fois en français et dans une autre langue, à condition que le français soit nettement prédominant.


Bourassa recule

La décision du gouvernement Bourassa d’invoquer la « clause nonobstant » soulève un tollé au Canada anglais et les commentateurs politiques lui attribuent une part de responsabilité dans l’échec de l’entente du Lac Meech en 1990. Les anglophones de Montréal mènent également une campagne internationale contre la loi 178 et s’adressent au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, qui, en mars 1993, en arrive à la conclusion qu’elle viole la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Aussi, cinq ans après l’adoption de la loi 178, soit à l’échéance de la clause dérogatoire, le même gouvernement Bourassa bat en retraite et décide de donner suite à l’arrêt Ford. La loi 86 modifie la Charte de la langue française pour permettre l’emploi d’une autre langue pourvu que le français soit nettement prédominant.


Bouchard et la Commission Larose

Quand le Parti Québécois prend le pouvoir en 1994, son programme prévoit le retour à l’unilinguisme français dans l’affichage et l’extension des dispositions de la loi 101 aux cégeps, mais la décision est différée après la tenue du référendum de 1995. Lorsque Lucien Bouchard remplace Jacques Parizeau, il s’empresse de rassurer la communauté anglophone, lors de son célèbre discours au Centaur, en s’engageant à ne pas donner suite à ces deux promesses.

Au congrès du Parti Québécois de novembre 1996, Bouchard affronte les militants sur ces questions en affirmant qu’il ne pourrait se regarder dans le miroir s’il respectait leur volonté. Les militants lui rendent la monnaie de sa pièce avec un vote de confiance d’à peine 76,2% et Bouchard menace de démissionner.


Le retour à l’unilinguisme dans l’affichage

La proposition sur le retour sur l’affichage unilingue, soutenue par Pierre Dubuc, est apparue comme une surprise pour la direction du Parti Québécois.

Pourtant, elle avait été adoptée et priorisée par une forte majorité lors du congrès régional de la Montégérie et, dans son livre Pour une gauche à gauche, Pierre Dubuc n’avait pas caché son intention de ramener cette question sur le tapis. Voici d’ailleurs l’extrait pertinent :

« Une autre question – qui n’est pas actuellement en débat, mais qui devrait l’être – est le retour à l’affichage unilingue. Il apparaît clairement aujourd’hui que l’arrêt Ford de la Cour suprême a été une étape charnière. Le principe de la « nette prédominance du français » introduit par les juges est en train de supplanter les principaux fondamentaux de français, langue officielle et français, langue commune de la Charte de la langue française.

« L’arrêt de la Cour suprême a aussi marqué un tournant du combat linguistique. On se rappellera que Robert Bourassa avait, dans un premier temps et sous la pression populaire, soustrait le Québec au jugement en invoquant la clause « nonobstant ». Cinq ans plus tard, à l’échéance de la clause dérogatoire, il avait fait adopter la loi 86 qui modifiait la Charte de la langue française pour permettre l’emploi d’une autre langue pourvu que le français soit nettement prédominant, se conformant ainsi au jugement de la Cour suprême.

« Le Parti Québécois s’était engagé dans son programme à annuler les dispositions de la loi 86 et à revenir à l’affichage unilingue français. Cependant, lorsqu’il accède au pouvoir en 1994, sa direction décide de ne pas toucher à la législation linguistique et de concentrer ses efforts sur l’organisation de la tenue d’un référendum.

« Ce choix tactique n’était pas étranger à la campagne menée par la communauté anglophone au plan international contre la Loi 178. Les anglophones s’étaient adressés au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, qui, en mars 1993, en arrive à la conclusion qu’elle viole la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

« En fait, le rapport de forces au plan linguistique avait changé depuis l’adoption de la Loi 101. Au Québec, les anglophones avaient pris le contrôle du Parti libéral du Québec, alors qu’en 1976 une bonne partie d’entre eux l’avaient délaissé au profit de l’Union nationale, mécontents qu’ils étaient des politiques linguistiques de Robert Bourassa. En 1994, ce sont les fédéralistes nationalistes qui avaient quitté le PLQ au profit de l’ADQ de Mario Dumont.

« Si, en 1977, l’adoption de la Charte de la langue française avait rencontré l’opposition féroce des anglophones du Québec et du Canada anglais, elle avait été accueillie dans une quasi-indifférence aux États-Unis. En fait, les États-Unis, affaiblis sur la scène internationale par leur récente défaite au Vietnam, cherchaient à « jouer » le Québec contre le Canada pour inciter le gouvernement Trudeau à renoncer à ses politiques nationalistes. Un membre de la richissime famille Rockefeller avait même déclaré à l’époque qu’il ne voyait aucun problème à ce que le français soit la langue de travail au Québec.

« Par la suite, les anglophones de Montréal ont considérablement raffermi leurs liens avec les États-Unis par le biais des communautés juives de Montréal et de New York. On ne sera pas étonné que l’affichage commercial ait été leur cible de prédilection. Les publications newyorkaises de prestige ont ouvert leurs pages à Mordecai Richler et les grands médias américains ont criblé le Québec de critiques pour sa « police de la langue » – une expression popularisée par l’émission américaine 60 Minutes – chargée de faire appliquer les dispositions de la loi 101 dans l’affichage.

« Aujourd’hui, la situation commande de revenir à l’affichage unilingue français. René Lévesque déclarait : « À sa manière, chaque affiche bilingue dit à l’immigrant : ‘‘ Il y a deux langues ici, l’anglais et le français; on choisit celle qu’on veut’’. Elle dit à l’anglophone : ‘‘Pas besoin d’apprendre le français, tout est traduit.’’ » Cette affirmation est encore plus pertinente aujourd’hui qu’à l’époque où elle a été formulée, étant donné le nombre accru d’immigrants que le Québec accueille.

« Cependant, instruit de l’expérience passée, on comprend qu’il ne suffit plus d’adopter une loi en ce sens. Son adoption doit s’inscrire dans une stratégie internationale où les représentants du Québec vont chercher des alliés à notre cause en leur démontrant, chiffres à l’appui, que l’évolution négative de la situation du français au Québec nécessite une telle mesure. Une campagne qui aura aussi pour objectif de neutraliser les opposants à cette politique, tant au Québec, au Canada qu’au plan international. Une tâche ardue, certes, mais qui démontrera notre détermination et qui, bien menée, préparerait un soutien international à une éventuelle déclaration d’indépendance. »

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Photo : Didier Debusschère