Frais de scolarité : 10% moins d’inscrits avec une hausse au niveau de la moyenne canadienne

2011/04/20 | Par Gabriel Ste-Marie

Dans son dernier budget, le gouvernement Charest a annoncé le dégel des frais de scolarité. En cinq ans, ils auront augmenté de 75%, à raison de 325 $ par année. Cette hausse incitera de nombreux jeunes à abandonner leurs études universitaires, surtout chez ceux provenant de milieux moins fortunés.

C’est ce que démontre une étude dirigée par l’économiste Valérie Vierstraete, professeure à l’Université de Sherbrooke, réalisée en 2007 pour le ministère de l’Éducation. À partir des données du Canada, l’économiste a réalisé une modélisation économétrique visant à cerner les principaux facteurs qui influencent l’accessibilité à l’université.

Par exemple, les jeunes qui habitent en campagne ont nettement moins de chance d’y arriver, étant donné leur éloignement. L’auteure calcule aussi l’effet négatif des frais de scolarité.

À partir de ces résultats, elle démontre que les étudiants provenant de milieux modestes sont nettement plus sensibles à toute hausse des frais. Vierstraete remarque toutefois que l’effet négatif est présent dans toutes les couches de la population, même chez les plus fortunés.

Plus loin, elle analyse divers scénarios, allant de l’abolition des frais jusqu’à une augmentation correspondant à la moyenne canadienne. Le modèle est rigoureux et prend en compte l’ajustement de l’Aide financière aux études et les diverses déductions fiscales pour chaque situation.

Les résultats sont spectaculaires. Par rapport au maintien du gel, faire grimper les frais au niveau de la moyenne canadienne fait baisser de 10% le nombre d’étudiants inscrits à l’université. Toujours par rapport au gel des frais, leur abolition accroîtrait le nombre d’inscrits de 8%.

Selon le modèle, l’effet est clair. Les frais de scolarité ont un impact important. Même si l’augmentation annoncée par le gouvernement Charest, 3 793 $ dans cinq ans, demeure en deçà de la moyenne canadienne, qui était de 4 893 $ en 2005, cette mesure va certainement réduire le nombre d’inscrits.

L’économiste de l’Université de Sherbrooke calcule également l’impact de ces scénarios sur les finances du gouvernement du Québec, toujours en prenant en compte le système de prêts et bourses et la fiscalité. Accroître les frais à la moyenne canadienne permettrait d’économiser 22,4 millions $ par année. Les abolir coûterait à l’État près de 153 millions $. Mis en perspective avec le budget des universités du Québec, ces montants sont peu élevés. Le budget était 5,4 milliards $ en 2004-2005, dernière année disponible de Statistique Canada.

Bref, augmenter les frais de scolarité fait diminuer le nombre d’étudiants inscrits à l’université. L’effet se fait sentir partout, même s’il est davantage marqué chez les plus pauvres. Une fois la fiscalité et les prêts et bourses pris en compte, les montants épargnés par l’État sont faibles.

Étudier à l’université peut être vu comme un investissement. Moins travailler et vivre modestement durant quelques années permet d’obtenir un meilleur emploi plus tard. C’est un peu comme la fourmi dans la fable.

Le ministère de l’Éducation abonde en ce sens dans son Bulletin statistique de l’éducation de décembre 2008. Ne s’en tenant qu’aux effets facilement quantifiables, le document montre qu’un individu avec un baccalauréat va avoir des revenus beaucoup plus élevés que celui qui n’a que son diplôme d’études secondaires. Sur toute une vie, c’est 2,2 millions $ contre 1,3 millions $. Il y a aussi le taux de chômage. Pour ceux qui ont un bac, c’est 4,7%. Ce taux grimpe à 7,3% pour ceux qui n’ont que leur secondaire. Une plus grande scolarité augmente la probabilité d’avoir un emploi et, en moyenne, permet d’avoir un emploi plus payant.

Le but du document est de démontrer que ces avantages favorisent non seulement l’individu, mais l’ensemble de la société. Moins de chômage et des revenus plus élevés rapportent davantage à l’État, tout en réduisant ses dépenses sociales. L’étude du ministère calcule que l’individu qui a un bac, sur toute sa vie, va verser à l’État 600 000 $ de plus que celui qui a arrêté après son secondaire. L’étude effectue les calculs pour tous les degrés de scolarité et conclut qu’aller à l’école, c’est très payant, tant pour l’individu que pour toute la société.

Le document évalue que la partie du financement de l’éducation postsecondaire assumée par l’État est largement compensée par ce que ça lui rapporte à plus long terme. Le taux de rendement est chiffré à 8,5%. Il ne faut pas oublier que les effets positifs de l’éducation pour la société dépassent largement ce qui a ici été calculé.

Il faudrait aussi prendre en compte les effets difficilement quantifiables, comme ceux sur la culture ou la santé, et aussi intégrer l’effet du multiplicateur keynésien. Lorsque le revenu des gens augmente, ils dépensent davantage et génèrent plus d’emplois. C’est le cercle vertueux. Ce n’est pas parce que ces effets se calculent difficilement qu’ils n’existent pas.

D’une part, les études du ministère de l’Éducation démontrent l’immense avantage pour une société d’avoir une population hautement scolarisée. De l’autre, elles montrent comment augmenter les frais de scolarité affecte négativement l’inscription à l’université. Il est navrant de constater que le gouvernement Charest se désintéresse des études de son propre ministère en relevant de façon importante les frais. Cette décision s’explique par sa stratégie à courte vue. Il faut réduire les dépenses pour éviter tout déficit, tout en diminuant l’impôt des riches, et tant pis pour la croissance économique future du Québec.

Le dégel rappelle aussi l’influence qu’exercent les pays anglo-saxons sur le Québec, qui gagnerait à s’inspirer du modèle européen. Ceux-ci ont compris l’importance de financer adéquatement et de façon équitable l’éducation postsecondaire. Par exemple, selon les dernières données de l’OCDE, la part du financement des universités provenant de l’État est beaucoup plus faible aux États-Unis (31,6%), au Royaume-Uni (35,8%), en Australie (44,3%) et au Canada (56,6%), qu’en France (84,5%), en Allemagne (84,7%), en Belgique (90,3%) et dans les pays scandinaves que sont la Suède (89,3%), la Finlande (95,7%), le Danemark (96,5%) et la Norvège (97,0%).