Haïti : Le coup d'État électoral de Michel Martelly

2011/04/27 | Par Roger Annis

Haïti se retrouve aujourd'hui avec un néo-duvaliériste comme président élu, grâce à l'effort concerté de puissances étrangères pour continuer de contrecarrer les aspira­tions du peuple haïtien à la justice sociale.

Michel Martelly est étroitement associé à l'extrême-droite haïtienne qui a renversé des gouvernements élus à deux reprises (en 1991 et en 2004)1. Le 7 avril, il a déclaré à la radio anglaise de la SRC, dans le cadre de l'émission The Current, qu'Haïti « avait pris la mauvaise direction au cours des 25 dernières années », ce qui correspond à la période de temps au cours de laquelle le peuple haïtien a tenté de surmonter l'héritage d'impunité, de dépendance et de sous-développement laissé par la tyrannie de Duvalier.

Martelly s'est engagé à reconstituer les tristement célèbres Forces armées d'Haïti (FADH) que l'ancien président Jean-Bertrand Aristide avait dissoutes en 1995 à cause de leur penchant prononcé pour les coups d'État et les nombreuses violations des droits de la personne. Anciens et futurs soldats s'entraînent déjà dans des camps un peu partout en Haïti et attendent leur appel au service (2).

Martelly a également déclaré que le développement économique et social d'Haïti repose sur la capacité de convaincre davantage d'investisseurs étrangers d'installer leurs ateliers ou leurs usines en Haïti, particulièrement des « sweatshops » (ateliers de misère).

L'élection à deux tours de scrutin qui l'a porté au pouvoir a été financée et inspirée par des puissances étrangères. Les Etats-Unis, le Canada et l'Europe ont payé au moins 29 millions de dollars pour la financer. Le vainqueur reconnaît que les coûts de sa campagne — un million de dollars pour le premier tour et 6 millions pour le deuxième — ont été couverts en grande partie par des « amis » aux Etats-Unis. Il refuse cependant de dire qui ils sont (3).

Sa campagne a été menée par la même firme de relations publiques espagnole — Osto & Sola — qui a pris en charge l'élection victorieuse, bien que frauduleuse, de Felipe Calderon à la présidence du Mexique en 2006.

L'élection haïtienne a été un processus d'exclusion politique. En effet, le plus gros parti politique d'Haïti, Fanmi Lavalas, a été arbitrairement exclu du scrutin par le Conseil électoral provisoire (CEP), formé de manière non constitutionnelle. Elle a aussi été une vaste manœuvre pour priver la plupart de l'électorat haïtien de son droit de vote. L'inscription des électeurs était partielle, lors du premier tour de scrutin, le 28 novembre 2010. Aucune inscription supplémentaire n'a été autorisée pour le deuxième tour de scrutin du 20 mars 2011. Le scrutin a été marqué par la fraude et les irrégularités, non seulement au cours du premier tour, mais également lors du second.

Le représentant spécial adjoint du secrétaire général des Nations Unies pour Haïti, Nigel Fisher, a exprimé la satisfaction du Conseil de sécurité concernant le résultat de l'élec­tion lorsqu'il s'est adressé à la SRC de Vancouver le 5 avril dernier. Tout en reconnaissant qu'il y avait eu « pas mal de fraude » lors du scrutin du 28 novembre, il a déclaré que tout était oublié lors du second tour.

La preuve la plus accablante du manque de légitimité de cette élection est son taux de par­tici­pation exceptionnellement bas. Les résultats préliminaires du CEP, dévoilés le 4 avril, font état d'un autre taux record de faible participation au scrutin du 20 mars, à peu près égal au taux de participation de 23 % enregistré le 28 novembre. Selon le Center for Economic Policy Research de Washington, DC, il s'agit là des taux de parti­cipation à une élection présidentielle dans l'hémisphère occidental les plus bas depuis au moins 1945.

Beaucoup de médias à travers le monde ont fait volte-face de manière étonnante dans leur couverture de ces événements. Alors que le premier tour de scrutin avait été présenté, à juste titre, comme étant profondément et irrémédiablement frauduleux, le second tour est devenu, comme par magie, acceptable pour les médias et les gouvernements nord-américains et européens. Il n'était cependant pas acceptable pour le CEP qui est juridiquement « l'arbitre final » de toutes les élections haïtiennes. Seuls quatre de ses membres, et non pas la majorité requise de cinq membres, ont voté en faveur de la tenue d'un second tour de scrutin.

Ce qui est encore plus important, c'est que Michel Martelly a été imposé au CEP par l'OEA et par Washington en tant que second candidat face à la favorite du premier tour, Mirlande Manigat. Les calculs du CEP avaient pourtant démontré que Jude Célestin, le candidat du parti Unité du président René Préval, s'était classé deuxième lors du premier tour de scrutin.

Le quotidien canadien ayant le plus fort tirage, le Toronto Star, a publié un éditorial le 30 novembre 2010, dénonçant le premier tour de scrutin comme étant une « fraude » et affirmant que l'exercice au complet devait être refait à une date ultérieure (4). Des journalistes de Radio-Canada sur le terrain en Haïti ont qualifié le vote de « simulacre » ou de « fraude complète ».

Martelly lui-même a qualifié le premier tour de « fraude » et, conjointement avec 13 autres candidats, a demandé le 28 novembre dernier que l'élection soit annulée… pour faire marche arrière dès le lendemain quand Edmond Mulet, le chef de la force d'occupation militaire du Conseil de sécurité en Haïti, l'a contacté par téléphone pour lui dire qu'il pourrait avoir gagné.

Le 9 avril, un éditorial du Star accueillait la « sélection » de Martelly en disant : « L'élection de l'outsider politique Michel Martelly à la présidence d'Haïti est le premier signe depuis plusieurs mois que la nation appauvrie a encore une chance de se reconstruire… »

Dans l'entrevue déjà mentionnée de la SCR avec Martelly (5), l'animatrice Anna Maria Tremonti lui a lancé une question oiseuse après l'autre. Martelly a aisément répondu par de vagues généralités sur ce qu'il a l'intention de faire pour Haïti.

Le 7 avril, Q, une émission de culture pop de la radio anglaise de la SRC, interviewait un correspondant du Time Magazine, Rich Benjamin. « Il (Martelly) semblait côtoyer des gens qui ont appuyé Duvalier », a admis l'invité. Il s'est ensuite empressé d'ajouter que cela ne voulait pas dire que les politiques de Martelly sont « de droite ». « Sweet Mickey est le candidat du changement dans le sens qu'il se tient en dehors de l'establishment politique… Selon le sujet, on pourrait le qualifier de progressiste et non de conser­vateur », a-t-il ajouté.

Le même jour, l'émission Dispatches interviewait la journaliste de la radio anglaise de la SRC en Haïti, Connie Watson. Donnant l'impression d'être en charge des relations publiques du président élu, Watson a déclaré que Martelly avait reçu « l'appui écrasant » du peuple haïtien et disposait d'un plan solide pour faire avancer Haïti. En fait, seulement 17 % des électeurs inscrits — évalués à 4,5 millions — ont voté pour lui.

Pendant ce temps, le retour d'exil de Jean-Bertrand Aristide et de sa famille, le 18 mars, était pratiquement accueilli par le silence dans les médias écrits et audiovisuels du Canada. Peut-être ont-ils cru les paroles de l'ambassadeur canadien en Haïti qui a déclaré l'an dernier que l'ancien président représentait « une histoire du passé ». Mais les dizaines de milliers d'Haïtiens qui ont envahi les rues autour de l'aéroport de Port-au-Prince pour accueillir les Aristide chez eux ont démenti cette affirmation.

L'accession de Martelly au pouvoir constitue un coup d'État électoral. Il s'agit d'une conti­nuation des objectifs du coup paramilitaire de 2004, à savoir exclure le peuple haïtien de ses propres institutions politiques et affaiblir encore plus ses aspirations à la justice sociale, exprimées de façon si éloquente par Aristide lors de son retour en Haïti (6).

Tout cela augure mal pour l'effort massif de reconstruction qui reste toujours à accom­plir. Les promesses d'aide et de reconstruction demeurent en grande partie lettres mortes. Les efforts de reconstruction en Haïti ont à peine commencé, quinze mois après la catastrophe.

Plus de 95 % des décombres n'ont pas encore été enlevés et moins de 10 % des 9 milliards de dollars promis par des donateurs étrangers au 31 mars dernier ont réellement été remis.

Plus d'un million de personnes sont toujours sans abri, vivant encore sous des tentes dans des camps de fortune parce que seulement 15 % des logements temporaires nécessaires ont été construits.

En ce moment, on fabrique un battage médiatique autour de la « victoire » de Martelly, à la suite d'élections truquées ; mais à mesure que ce battage s'estompera, le mécon­tentement et la lutte populaire reviendront de plus en plus au premier plan.



Roger Annis est coordonnateur du Canada Haiti Action Network/Réseau de solidarité Canada-Haïti et vit à Vancouver, en Colombie-Britannique. On peut le rejoindre par courriel à rogerannis@hotmail.com. Une version plus courte de cet article a été co-signée par Kevin Edmonds et publiée sur le site www.rabble.ca le 14 avril.



Notes

1. www.canadahaitiaction.ca/content/michel-martelly-rightist-and-coup-supporter

2. www.canadahaitiaction.ca/content/haitis-former-military-waiting-wings

3. www.nytimes.com/2011/03/18/world/americas/18haiti.html

4. www.thestar.com/opinion/editorials/article/898698--haitian-election-don-t-let-fraud-prevail

5. www.cbc.ca/thecurrent/episode/2011/04/07/michel-sweet-micky-martelly/

6. www.canadahaitiaction.ca/content/aristides-return-haiti-his-speech-and-video-report