Quand La Presse fait campagne pour le NPD

2011/04/29 | Par Pierre Dubuc

Comment expliquer la vague NPD? Quel rôle ont joué les médias? Bien sûr, il faudrait une étude approfondie, mais permettons-nous quelques observations.

La « vague NPD » a pris naissance dans un sondage CROP - La Presse, publié le 21 avril, et coiffé du titre : « Le NPD prend la tête au Québec ». Le sondage accordait 36% des intentions de vote au NPD, contre 31% au Bloc. Selon Youri Rivest, vice -président chez CROP, « ce sondage mené en ligne ne comporte pas de marge d'erreur compte tenu du caractère non probabiliste de l'échantillon » (?!).

Le journal La Presse s’est employé au cours des jours suivants à « consolider » le vote en faveur du NPD, particulièrement avec les articles publiés dans la page Forum.

Déjà, le 16 avril, un certain Michel Pruneau, se présentant comme conseiller pédagogique et écrivain, faisait part de ses états d’âme. « J’ai toujours été souverainiste, mais j’ai de plus en plus honte de l’action politique du Bloc québécois », pouvait-on lire dans l’exergue qui accompagnait son article intitulé « Le Bloc doit disparaître ». Rien de moins!

Le 19 avril, Martin Coiteux, professeur au service de l’enseignement des affaires internationales au HEC, décriait le programme du Bloc sous le titre « Le Bloc et l’argent des autres ». Comme si les Québécois ne payaient pas d’impôts à Ottawa!

Mais, c’est vraiment après la publication du fameux sondage que la machine s’est mise en marche. Le 23 avril, le politicologue Jean-Herman Guay y allait de ses savantes analyses sous le titre « Le Bloc s’effrite ».

Le 25 avril, le prof des HEC, Martin Coiteux, revient à la charge avec un article intitulé « La liberté de choix retrouvée des Québécois ». Bien entendu, auparavant, leur choix était brimé comme dans les pays arabes.

Toujours le 25 avril, l’historien Éric Bédard, qui avait déjà annoncé dans un article précédent qu’il s’abstiendrait de voter, trouvant le Bloc trop à gauche, nous entretenait sur « La fin du consensus libéral ».

Selon son analyse, la rhétorique de gauche du Bloc « avait déplu aux bleus nationalistes de la grande région de Québec qui ont quitté le bateau bloquiste lors de l’élection de janvier 2006 ». Cette même rhétorique lui ferait, aujourd’hui, perdre l’appui des progressistes qui préféreraient « appuyer un ‘‘vrai’’ parti progressiste, qui, lui, pourrait devenir l’opposition officielle, voire prendre un jour le pouvoir ». Où Bédard veut-il en venir? Je vous laisse deviner.

Le 26 avril, un journaliste à la pige, Abdel Kader Rahli, nous dit « Pourquoi j’appuie Jack ». Dans la même page, un autre article, défavorable cette fois, enfin, au NPD, « Pourquoi je n’appuie pas Layton ». Mais, il est en bas de page.

Le 27 avril, Marc Simard, professeur d’histoire au collège François-Xavier-Garneau, à Québec, nous explique « Les contrevérités du Bloc ».

La même journée, Daniel Béland, titulaire de la chaire de recherche du Canada en politiques publiques à l’Université de Saskatchewan, nous dit que la situation du NPD en Saskatchewan demeure précaire, mais il s’extasie devant sa montée au Québec qui est, pour lui, « source de fascination », dans un article intitulé : « En quête d’une renaissance ».

Le 28 avril, Pierre Rivard, qui se décrit comme un militant indépendantiste de longue date, nous annonce maintenant qu’il faut « Débloquer l’avenir ».

Enfin, le 29 avril, deux autres professeures, cette fois en littérature, Marie-Ève Bélanger et Julie Dénommée, nous disent, dans un article intitulé « Vent d'espoir », que «si on rêve un peu, Jack Layton pourrait même devenir premier ministre du Canada ». En bas de page, dans un article intitulé « La pensée magique » l'historien Pascal Cyr, écrit qu'« un NPD majoritaire au Québec signifierait un affaiblissement de l'ensemble des Québécois à la Chambre des communes ». Ce qui légitime quand même l'idée d'un NPD majoritaire!


Radio-Canada

Il serait intéressant d’examiner en détails la couverture de la campagne par Radio-Canada. Au cours des premières semaines de la campagne, les bulletins d’informations organisaient toujours les nouvelles dans l’ordre suivant : d’abord, le Parti conservateur, puis l’opposition libérale, suivaient le NPD et, si on avait le temps, le Bloc. Un ordre qui respecte la force respective des partis à la Chambre des communes, mais fait abstraction qu’au Québec, le Bloc était largement en tête. Voilà ce qui se passe quand une nation est dominée par une autre.

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les reportages quotidiens à Radio-Canada qui portaient plus sur les impressions de campagne que sur le contenu des programmes des partis politiques.

À signaler la niaiserie totale des entrevues de Céline Galipeau, avec les chefs politiques. La chef d’antenne se contentait de reposer les deux mêmes questions, sous une forme différente, sans jamais y aller de sous-questions.

Un exemple, parmi tant d’autres. Elle demande à Jack Layton sa position sur le français au Québec. Il nous dit qu’il a proposé un projet de loi à la Chambre des communes que le Bloc a appuyé. Mme Galipeau enchaîne : « Mais cela n’a pas l’air de satisfaire Gilles Duceppe ». Layton répond : « C’est parce que le Bloc poursuit d’autres objectifs ».

En fait, Mme Galipeau aurait dû savoir – et, surtout, faire ressortir – que le projet de loi Layton est conforme à la Loi fédérale des langues officielles, mais pas à la Loi 101 et que ce que réclame Duceppe, c’est l’application des dispositions de la Loi 101 aux entreprises qui sont sous juridiction fédérale. Mais non, on aime mieux faire dans le « human interest », comme aurait dit Michel Chartrand, et demander à M. Layton de nous parler de son état de santé. Comme s’il était pour nous dire, à quelques jours du scrutin, qu’il ne se sentait pas bien!

Mais la cerise sur le sundae, c’est la question posée à l’auditoire du Téléjournal pour, soi-disant, vérifier l’état de leur connaissance sur les chefs. Pour Ignatieff, on demande quel était son colocataire lorsqu’il était étudiant (réponse : Bob Rae). Pour Layton, de nommer un de ses anciens confrères de classe (réponse : Larry Smith). Pour Harper, sur quel projet de livre d'histoire, il travaille (réponse: le hockey professionnel). Et, à propos de Gilles Duceppe : à quel parti politique adhérait-il au cours des années 1970? (réponse : le Parti communiste ouvrier)!!! (En passant, on comprend la frayeur d’Éric Bédard).

Pourquoi ne pas avoir demandé, par exemple, s’il était vrai que Michael Ignatieff avait appuyé la guerre en Irak, en Afghanistan, la torture, les assassinats sélectifs du temps qu’il était aux États-Unis avant de prendre la tête du Parti libéral (réponse : oui, à toutes les questions). Curieusement, dans le court reportage sur les faits marquants de sa carrière, on a omis de mentionner ce long séjour aux États-Unis!

Pourquoi ne pas avoir demandé s'il était vrai que Stephen Harper avait financé des campagnes de levées de fonds contre la Loi 101, alors qu'il était à la tête de la National Citizen's Coalition. Ou encore s'il était vrai qu'au lendemain du référendum de 1995, il a déposé un projet de loi sur la partition du territoire québécois, advenait une éventuelle victoire du Oui, lors d'un autre référendum. (Réponses: oui à ces deux questions).

Bonne fin de campagne!


À lire : notre dossier sur les élections canadiennes de 2011