Égalité et qualité des emplois hommes/femmes: il reste du chemin à faire

2011/06/16 | Par Maude Messier

L’écart moyen entre les hommes et les femmes relativement à la qualité de l’emploi tend à diminuer depuis 1997. Or, cette situation enviable concerne principalement les hautes sphères du marché du travail, laissant derrières elles les femmes et les travailleurs peu scolarisés.

C’est à tout le moins le constat que fait Luc Cloutier dans une thèse de doctorat pour laquelle il a remporté le Prix de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) en mai dernier, « L’évolution de la qualité de l’emploi des femmes et des hommes au Québec entre 1997 et 2007 : l’ascenseur de la scolarisation et le fardeau des responsabilités familiales ».

Analyste en statistiques du travail à l’Institut de la statistique du Québec depuis plus de dix ans, Luc Cloutier reproche aux indicateurs traditionnellement utilisés pour analyser le monde du travail leur unidimensionnalité et leur limite à nuancer.

« Le taux de chômage et les salaires ne révèlent pas tout. Je voulais pouvoir développer un outil qui permet d’intégrer plusieurs dimensions pour offrir une lecture plus complète, plus globale. »

C’est précisément tout l’intérêt de cette thèse qui, à partir d’une nouvelle typologie, analyse les changements dans la qualité de l’emploi des femmes et des hommes de même que l’impact sur l’écart entre les genres. « C’est une approche plus sociologique qu’économique. On applique des caractéristiques qualitatives à des données quantitatives. »

Cette nouvelle typologie permet un regard multidimensionnel sur la qualité de l’emploi en considérant quatre dimensions: la rémunération, la stabilité de l’emploi, la qualification et les heures de travail. Luc Cloutier précise que le concept de « qualité d’emploi » n’est pas nouveau en soi, il « existait déjà dans la littérature, notamment en Europe où le concept est plus évolué qu’ici. Mais il n’était pas détaillé comme je le voulais. »

Après des mois de travaux, Luc Cloutier a finalement élaboré un modèle de catégorisation de la qualité de l’emploi en douze groupes, en fonction des quatre dimensions ci-haut mentionnés. « Évidemment, ça ne tient pas compte d’absolument tous les indicateurs. Nous n’avions pas de données complètes et suffisantes par exemple pour les régimes de retraite, les assurances, etc. Mais ça donne un bon aperçu dans l’ensemble. »

Par exemple, on regroupera les travailleurs dans les catégories suivantes : « restreints », « floués », « au bas de l’échelle », « déclassés », « précaires », « standards », « acharnés », « essoufflés » et « au sommet », pour ne nommer que ceux-là.


Évolution de la qualité des emplois

Intéressé par les différences de genres en emploi, cette thèse aura été l’occasion pour Luc Cloutier de valider l’hypothèse selon laquelle il y aurait eu une diminution des inégalités professionnelles au cours des dernières années. Les analyses ont été effectuées sur les données disponibles depuis 1997.

« Comment les hommes et les femmes se distinguent dans tout ça. C’est ça l’idée de cette thèse finalement. » L’étude conclut effectivement qu’il y a eu une réduction appréciable de l’écart entre les genres quant à la qualité de l’emploi, laquelle se traduit par une baisse générale de plus de 30 %.

On doit cette réduction des écarts depuis 1997 à un ensemble de facteurs. Luc Cloutier met d’ailleurs en garde contre les généralités.

À son avis, il faut tenir compte à la fois du contexte économique favorable, malgré l’épisode de la récession, et de l’augmentation du niveau de scolarité des femmes.

Les politiques gouvernementales ont aussi joué un certain rôle, notamment au chapitre de la Loi sur l’équité salariale, de la Loi sur l’équité en emploi dans le secteur public et du financement de places subventionnées en service de garde, permettant ainsi aux femmes d’investir le marché du travail dans une plus large mesure.

Il faut toutefois spécifier que ce changement n’affecte pas uniformément toutes les catégories d’emploi et concerne principalement les personnes avec une scolarité élevée et ayant des responsabilités familiales limitées.

Les conclusions de l’étude confirment que la situation conjugale, la charge familiale de même que le niveau de scolarité sont des facteurs déterminants quant à la qualité des emplois occupés.

Autrement dit, les individus à faible scolarité, occupant des emplois qui requièrent peu de qualifications n’ont pas eu leur juste part de la diminution des écarts professionnels entre les hommes et les femmes. On note également une surreprésentation des femmes dans les catégories de faible qualité d’emploi.

Par opposition, et en dépit du terrain gagné par les femmes, les hommes dominent toujours les hautes sphères du marché de l’emploi. Or, sur la question spécifique de la qualité des emplois, la typologie multidimensionnelle développée par Luc Cloutier prend ici tout son sens.

Si bon salaire et qualité d’emploi vont généralement de paire dans l’esprit collectif, Luc Cloutier nuance : « Par exemple, si on prend la variable '' heures de travail'', on constate que bien des emplois fortement rémunérés ont comme corollaires d'exiger souvent de longues heures de travail, ce qui n'est pas sans effet sur la santé ou la conciliation vie professionnelle, familiale et personnelle. »

Il fait valoir qu’« on ne questionne pas la qualité des emplois qui requièrent un grand nombre d’heures travaillées, comme pour les avocats, les comptables ou les professeurs d’université par exemple. On considère que ça vient avec. Point à la ligne. »

Pourtant, la féminisation de la profession d’enseignant universitaire, profession basée sur un modèle de performance masculin, pose de sérieux problèmes relativement à la qualité de l’emploi. « Ainsi, celles qui aspirent à y faire carrière peuvent devoir faire une croix sur certains projets personnels et familiaux notamment. On a un problème en matière de qualité ici. »

Visiblement fier de son nouvel outil de travail lui permettant une analyse plus pointue, ancrée et réaliste du monde du travail, Luc Cloutier se réjouit que cette nouvelle typologie soit déjà en partie intégrée dans la production statistique de l’Institut. « C’est un outil qui permet de suivre l’évolution de la situation, de dégager les tendances et d’aller plus loin que les salaires et le taux de chômage. »