La mission de Sirois-Legault : détruire le mouvement souverainiste

2011/10/07 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Les auteurs sont respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

François Legault s’est offusqué que nous ayons déclaré que son mouvement, la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ), qu’il dirige avec Charles Sirois, était téléguidé d’Ottawa et de Bay Street dans le but d’élaguer la question nationale du paysage politique québécois. Pourtant, c’est bien le sens de l’article paru, le 23 juin 2011, dans The Economist – la bible des milieux d’affaires anglo-saxons – sous le titre « The irrelevance of separatism » (La non pertinence du séparatisme).

Le magazine britannique a bien compris que « l’objectif de la Coalition pour l’avenir du Québec est de persuader les Québécois de mettre de côté la question politique centrale de la province » et que Charles Sirois, décrit comme « un important banquier au Canada », s’est porté garant, devant les milieux financiers de Toronto, de cette mise au rancart de l’indépendance du Québec, à titre de président du conseil d’administration de la Banque Canadienne Impériale du Commerce,.


De la Loi sur la Clarté au jugement sur le Kosovo

Après la Grande Frousse de 1995, le Canada a cherché, à défaut de pouvoir l’interdire, à déterminer et contrôler les conditions de la tenue d’un futur référendum avec l’adoption de la Loi sur la Clarté. Dans son livre, Le Québec otage de ses alliés (VLB Éditeur-2003), la sociologue Anne Légaré, qui était la déléguée du gouvernement du Québec aux États-Unis au moment du référendum, affirme que la Loi sur la Clarté résulte en grande partie des pressions exercées par Washington sur le Canada.

Déjà, dans ses Mémoires (Behind The Embassy Door, Canada, Clinton and Quebec), l’ambassadeur américain James Blanchard faisait part de l’étonnement des fonctionnaires du Département d’État américain devant le fait que le gouvernement canadien ait laissé le Québec tenir un référendum sur son avenir politique.

Mais la reconnaissance par la Cour internationale de Justice de la Déclaration d’indépendance du Kosovo a actionné des sonnettes d’alarme dans les milieux hostiles à l’indépendance du Québec. Dans une opinion, parue dans l’édition du 31 juillet 2010 du Globe and Mail, sous le titre « What the Kosovo ruling means for Canada : trouble » (Ce que le jugement sur le Kosovo signifie pour le Canada : de gros ennuis), un avocat new-yorkais, Milan Markovic, montrait comment le Québec pourrait désormais ne pas tenir compte de la Loi sur la Clarté dans l’éventualité d’une Déclaration d’indépendance.

The Economist a beau décrire Mme Marois comme favorisant « a soft-pedal independance » (une voie douce vers l’indépendance) et celle-ci s’engager à ne pas tenir nécessairement un référendum, la simple perspective de l’accession au pouvoir du Parti Québécois est inacceptable pour les pays de l’anglosphère et elle doit être bloquée.


Un nationalisme tenu en laisse

François Legault peut exprimer un nationalisme québécois de bon aloi sur les questions de politique intérieure – le Home Rule – à la condition de ne pas remettre en cause l’appartenance du Québec au Canada. Ses propositions pour une « une économie de propriétaires et non de succursales » n’effaroucheront personne dans les milieux financiers. Son partenaire, Charles Sirois, préside une banque qui a été le maître d’œuvre de la vente de l’Alcan à des intérêts étrangers.

Dans ces milieux, on n’a sans doute pas oublié que Legault était intervenu avec force lors d’un Conseil national du Parti Québécois contre une proposition de nationalisation du secteur éolien. Une position cohérente avec le parti-pris qu’il affichait, à l’époque, à tous ceux qui voulaient l’entendre, pour la privatisation d’Hydro-Québec. La proposition de sa Coalition d’une « restructuration » de la société d’État pour des « gains d’efficacité » d’un montant de 600 millions $ sera donc appréciée à sa juste valeur.

Le programme de la CAQ a tout pour plaire à The Economist. Sa réforme de l’éducation, avec la paye au mérite, s’inscrit en droite ligne dans ce que la publication appelle « The great schools revolution » et dont elle fait la promotion. Dans son édition du 17 septembre 2011, la publication énumérait les quatre principaux thèmes de cette « révolution » néolibérale : plus de pouvoir aux écoles (l’abolition des commissions scolaires pour la CAQ); un accent mis sur les élèves en difficulté (la lutte au décrochage); le choix entre plusieurs types d’écoles (la CAQ ne remet pas en question le financement public des écoles privées) et de plus hauts standards pour les profs (la paye au mérite).


Détruire la base organisationnelle des partis progressistes

François Legault est conscient que ces objectifs ne peuvent être atteints sans affrontement avec le mouvement syndical. Dans une entrevue accordée à la journaliste Martine Biron dans le cadre d’un reportage intitulé « L’ambition de François Legault », diffusé au téléjournal, le 20 septembre, il exprimait sa frustration de ne pas avoir pu croiser le fer avec les syndicats du secteur public lorsqu’il était ministre péquiste.

« « Je n’ai pas pu aller aussi loin que de dire : on va rouvrir les conventions collectives pour vraiment changer la façon dont les réseaux publics sont gérés au Québec. Pour moi, c’est un peu un échec, effectivement, que, pendant mes dix années en politique, je n’ai pas réussi à aller aussi loin que j’aurais souhaité. »

Cette volonté d’en découdre avec le mouvement syndical s’inscrit parfaitement dans le plan de match des milieux d’affaires internationaux dont The Economist s’est fait le porte-parole dans son premier numéro de l’année 2001. Le magazine titrait en page frontispice : « The battle ahead, Confronting the public-sector unions » (La bataille à venir, confrontation avec les syndicats du secteur public).

Considérant la bataille gagnée contre le secteur privé après des années de sous-traitance et de délocalisation, The Economist sonnait la charge contre le dernier rempart syndical, le secteur public. Ce plan est aujourd’hui mis en œuvre en Grèce et dans d’autres pays européens. Plus près de nous, au Wisconsin, le gouverneur républicain Scott Walker a déposé, au début de 2011, un projet de loi qui remettait en question l’existence même des syndicats du secteur public. À cette occasion, le SPQ Libre a organisé une tournée québécoise avec Mme Stephanie Bloomingdale, secrétaire-trésorière de l’AFL-CIO pour le Wisconsin.

Dans toutes ses interventions, Mme Bloomingdale a confirmé l’analyse du chroniqueur du New York Times, l’économiste progressiste Paul Krugman, à l’effet que « l’enjeu n’est pas l’assainissement des finances publiques, mais le pouvoir ». Scott Walker, et les autres gouverneurs républicains qui l’ont imité, ont pour but, en s’attaquant aux syndicats, de détruire la base organisationnelle du Parti Démocrate. Au Québec, se dessine un objectif similaire avec le tandem Sirois-Legault et son approche antisyndicale : démolir la base organisationnelle du Parti Québécois.

Vue dans cette perspective, il n’est pas surprenant que la campagne de promotion de la Coalition de Sirois-Legault ait été concoctée dans les bureaux de l’empire Quebecor. Subitement, sont apparus des sondages Léger Marketing présentant Legault, avec pleine photo en page frontispice du Journal de Montréal et du Journal de Québec, comme le « sauveur du Québec », avant même qu’il ait émis la moindre idée, sauf, bien entendu, celle de mettre au rancart la question de l’indépendance du Québec.

Que cette campagne émane d’un empire qui a mené une guerre sans merci à ses syndicats et qui ouvre les pages de ses publications aux ténors des différents courants de la droite québécois n’explique pas tout.

Le propriétaire de Quebecor est aussi de mèche avec le Premier ministre du Canada. L’ancien directeur des communications de Stephen Harper, Tony Teneycke, dirige Sun Media, le volet canadien-anglais de l’empire Péladeau, qui a mené campagne, tambour battant, pour les Conservateurs lors de la dernière élection fédérale. Dans le portrait que le magazine L’Actualité a consacré à Pierre-Karl Péladeau (octobre 2010), Brian Mulroney, président du conseil de Quebecor, a décrit PKP comme un « Québécois très fier qui voit un rôle pour le Québec au Canada et en Amérique du Nord ». Il aurait pu ajouter, « et qui veut, avec le tandem Sirois-Legault, rendre le ‘‘separatism irrelevant’’ ».


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