Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’urbanisme

2011/10/20 | Par André Synnott

Cet article est paru dans l’édition septembre-octobre 2011 du Col blanc, le journal officielle du Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP).

La docteure en épidémiologie, Marie Demers, s’intéresse à l’influence de l’environnement urbain sur notre mode de vie depuis plus de vingt ans. Après un si long parcours, elle s’est demandée pourquoi nous marchons de moins en moins et s’est interrogée sur les conséquences de la sédentarité sur notre santé et notre vie sociale.

Voulant apporter des réponses à ses questions, elle a écrit Pour une ville qui marche, aménagement urbain et santé.

Elle fait de l’environnement comparé. Étudiant (et pratiquant par de nombreux voyages) les différents types d’aménagements urbains, elle montre comment le modèle nord-américain est néfaste pour la santé des individus, la vie sociale et l’écologie.

Dans nos villes, tout nous pousse à l’inactivité physique causant de nombreuses maladies (obésité galopante, diabète, pathologies cardio-vasculaires ou respiratoires); comme quoi, on peut causer beaucoup de problèmes en ne faisant rien.

L’espace public est aménagé pour l’automobile et l’espace social pour l’automobiliste. Durant les années 60, La Presse publiait les chroniques de Art Buchwald. Dans le Washington Post, Buchwald décrivait avec ironie (style Canard enchaîné) les travers de la société américaine. Une de ses histoires contait les aléas d’un homme voulant encaisser un chèque dans une banque. Il exhibe des pièces d’identité (carte de crédit American Express, accréditation comme journaliste correspondant près de la Maison blanche), mais pas de permis de conduire. La banque appelle la police suspectant un fraudeur tentant de passer un faux chèque. Vous n’êtes pas un automobiliste, vous n’êtes donc pas un vrai Américain.

L’espace public n’est plus un espace occupé, mais seulement un espace traversé, un lieu de passage entre le travail, les centres commerciaux, des loisirs souvent passifs (assister plutôt que participer à …) et le domicile.

L’importance donnée à l’automobile dans l’espace public a déteint sur l’espace privé. Alors que les familles sont de plus en plus petites, les maisons sont de plus en plus grandes, notamment parce qu’il faut un garage pour deux voitures, une piscine, car les piscines publiques sont trop loin pour y envoyer les jeunes enfants seuls. L’étalement urbain et le tout-à-l’auto (comme il y a un tout-à-l’égout) ont produit l’isolement des individus et détruit les fonctions sociales, politiques et communicatives de la rue et des déplacements.

David Riesman dans La foule solitaire montrait comment les individus s’isolaient en croyant faire partie d’un groupe. L’agrégat social d’une ville de banlieue, des gens qui pourraient être très différents (retraités, professionnels, entrepreneurs indépendants, ouvriers syndiqués d’une grande entreprise), mais par les pressions des médias, de l’entourage social et de la configuration du milieu vivent et consomment tous plus ou moins de la même façon à la différence des villes européennes — plus anciennes donc pas construites en fonction de l’auto —, ou des vieux quartiers centraux où la mixité sociale est moins nivelée par l’agrégat.

Les individus ne sont pas vraiment responsables d’un problème qui serait résolu simplement parce que les gens se mettent à marcher. D’ailleurs, comment le pourrait-on dans ces villes sans trottoirs, petits marchés et commerces de proximité qui nous empêchent carrément de marcher?

Il appartient aux pouvoirs publics d’aménager la ville pour la rendre plus favorable aux piétons. L’étalement urbain fait que les distances entre les activités humaines sont de plus en plus grandes. On ne peut plus aller nulle par à pied. Les municipalités devraient dézoner, au moins partiellement, les quartiers résidentiels pour créer des enclaves de commerces et de services de proximité où il serait possible de se rendre en marchant. Actuellement, on croit régler les problèmes de circulation par une fuite en avant en élargissant les rues, en créant plus de voies rapides. Ce qui donne temporairement une plus grande fluidité à la circulation.

La solution devient un problème parce que l’offre d’espace pour les automobilistes ayant augmentée le nombre d’automobiles augmente, d’où le retour de la congestion. Ce n’est pas en pendant les Luc Fernandez que les problèmes de déplacements seront résolus.

Marie Demers prône un aménagement favorisant les piétons et cyclistes, en élargissant les trottoirs (plutôt que les rues) pour permettre une moins grande densité de marcheurs, en synchronisant les feux de circulation (actuellement en fonction des automobiles) pour permettre aux piétons mêmes à mobilité réduite (aînés, famille avec poussette, etc.) de traverser les grandes artères de façon sécuritaire. Il s’agit de redéfinir la marche et le vélo non pas.

Personnellement, j’ai commencé la lecture de ce livre à peu près au même moment où nous recevions à l’OMHM de plus en plus de courriels sur le développement durable, nos édifices plus ou moins certifiés LEED, le défit climat, etc. Air du temps ou simple coïncidence? Devant l’afflux de courriels dans lequel chacun y allait de son défi climat (utiliser le transport en commun, acheter plus de produits locaux pour réduire l’effet de serre lié aux importations, consommer moins de viande et tutti quanti), je me suis senti interpellé.

J’y vais moi aussi de mon défi climat, je m’engage donc à lire plus de livres sur l’écologie, le développement durable, le commerce équitable, les critiques sur le système capitaliste… et aller travailler à bicyclette, après tout, j’ai souvent pensé que ma camarade Sylvie Laurin était sur la bonne voie, la piste cyclable.

Marie Demers, Pour une ville qui marche, aménagement urbain et santé, Éditions Écosociété.














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