Lego : toutte fitte dans toutte !

2011/11/25 | Par Michel Rioux

Deux coups d’État ont été perpétrés récemment. D’autres sont sans doute en préparation. Deux gouvernements élus dans les formes sont tombés. Sans effusion de sang, mais le processus démocratique en a pris un coup.

Bien sûr, on ne pleurera pas dans nos chaumières à la suite du départ du champion du bunga bunga. Sauf pour déplorer que ce ne soit pas le peuple italien, mais les organisations financières internationales, qui lui ont indiqué la sortie.

En Italie et en Grèce, ce sont de grands technocrates réputés omniscients et qui n’ont que faire de la légitimité populaire qui ont été investis – mais par qui, au fait ? – de tous les pouvoirs résultant ordinairement du résultat des urnes. Ces grands technocrates ont par contre un point en commun : ils ont été élevés dans le sérail de la plus grande banque d’affaires au monde, Goldman Sachs.

De la même manière que les grandes agences de notation comme Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, les banques d’affaires sont devenues les véritables pouvoirs en place. Ceux qui, comme le disait Socrate dans sa langue paternelle, « callent les shots ». Ces grandes organisations fonctionnent dans l’ombre, à l’instar de l’Opus Dei et la franc-maçonnerie ; elles se spécialisent dans l’allumage d’incendies en amont pour qu’ensuite on les appelle en désespoir de cause pour les éteindre en aval.

Le 17 février, l’agence Bloomberg révélait que « la banque d’affaires américaine a piloté le placement de 15 milliards de dollars d’obligations d’État grecques après avoir mis en place un swap de devises qui a permis au gouvernement de cacher l’étendue de son déficit aux investisseurs. Pour six émissions, les documents remis aux investisseurs ne mentionnaient pas l’existence du swap. En 2002, Goldman Sachs aurait permis à la Grèce de lever un milliard de dollars de financements hors bilan ».

Comment pourrait-on oublier que Goldman Sachs et consorts ont touché des milliards de dollars en livrant des rapports pour le moins complaisants sur l’état des finances publiques de plusieurs pays ?

Avec une certaine candeur, Mario Draghi, nouveau président de la Banque centrale européenne et ancien vice-président de Goldman Sachs, s’est lavé les mains. « Draghi affirme qu’étant entré en fonction en 2002, il n’a rien eu à voir avec le maquillage des comptes grecs orchestrés deux ans plus tôt par la banque. Et il a démissionné en 2005, soit un an avant que Goldman Sachs ne revende une partie du “swap” en question à la National Bank on Greece », écrivait récemment Marc Roche dans Le Monde.

Le nouveau premier ministre italien, formé aux États-Unis et élevé lui aussi dans le cénacle goldmanien, ne cache pas ses couleurs. Dès son entrée en fonction, il a déclaré que l’absence de représentants de partis politiques dans son cabinet « facilitera plutôt l’action gouvernementale ». Voilà qui est clair ! Fi de la politique ! Fi de la démocratie !

Le nouveau premier ministre grec, Lucas Papadémos, n’est pas en reste. Gouverneur de la banque centrale grecque, il a participé à ce titre « à l’opération de trucage des comptes perpétré par Goldman Sachs ». Ancien courtier de Goldman Sachs, Petros Christodoulos, qui dirigea la National Bank of Greece, est aujourd’hui responsable de l’organisme qui… gère la dette grecque.

Même notre propre gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a fait partie du club durant 13 ans. Il vient d’ailleurs de remplacer Mario Draghi à la présidence de la Banque de stabilité financière.

On assiste donc au triomphe des technocrates, ces gens qui soutiennent sans rire que leur seul objectif, en évacuant le politique et en se situant au-dessus des partis, est de régler les problèmes.

Ça vous dit quelque chose, ce raisonnement, cette manière de voir le politique ?

C’est la même partition que nous joue depuis plusieurs mois un certain François Legault. En bon comptable, il nous dit être là pour régler des problèmes.

Est-il de gauche ou de droite ? En bon technocrate, il n’a que faire de ces étiquettes qui empêchent de régler les problèmes en soulevant trop de questions.

Est-il fédéraliste ou souverainiste ? Aucune importance. Ce qui compte, c’est de régler les problèmes sans s’enfarger dans des débats politiques qui ne font que retarder le recours aux remèdes et aux chirurgies qui s’imposent.

Le logo caquiste peut bien ressembler à des blocs Lego : toutte fitte dans toutte !

À des grévistes de Lyon, le sociologue Pierre Bourdieu disait ceci, en 1995 : « Je pense qu'on ne peut combattre efficacement la technocratie, nationale et internationale, qu'en l'affrontant sur son terrain privilégié, celui de la science, économique notamment, et en opposant à la connaissance abstraite et mutilée dont elle se prévaut une connaissance plus respectueuse des hommes et des réalités auxquelles ils sont confrontés. »

À méditer, non ?

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