Pierre-Marc Johnson et le libre-échange avec l’Europe

2011/12/13 | Par Réjean Porlier

Jeudi le 8 décembre dernier, pendant qu'à l'extérieur de l'Assemblée nationale un cheval de Troie format géant attirait toute l'attention, on préparait l'arrivée d’un ex-premier ministre et actuel négociateur pour le Québec dans le dossier de l'AÉCG (accord économique et commercial global) entre le Canada et l'Union Européenne. Pierre-Marc Johnson était fort attendu à cette commission parlementaire que plusieurs espéraient depuis un bon moment..

M.Johnson paraissait comme un poisson dans l'eau et ne semblait guère inquiété par les risques de dérapage de cet exercice. Mais pourquoi l'aurait-il été? Jean Charest instigateur de ces négociations avec l'Europe, a trouvé une formule gagnante lorsqu'il s'agit de mener certains dossiers plus controversés; il fait appel à d'ex-péquistes et s'assure ainsi d'une plus grande tolérance ou acceptabilité de l'opposition officielle. Après-tout, l'homme est de la famille.

Il fallait voir cet excès de décorum: bienvenue monsieur le Premier ministre, que de faveur vous nous faites aujourd'hui en prenant de votre précieux temps pour participer à cette Commission Parlementaire…et sort le violon par ci et sort le violon par là! Il ne manquait que le tapis rouge. Qui a dit: les amis de mes ennemis sont mes amis? Je sais, il y a lapsus, mais s'en était pathétique tellement le politically correct devenait démesuré.

Malgré cet évident manque de transparence et de réponses claires sur ce que fait le Québec à cette table où se joue vraisemblablement une manche importante de notre avenir, pas question de bousculer un ancien membre de la famille.

C'est la députée Louise Beaudoin, maintenant indépendante qui, la première, a clairement exprimé l'absence de démocratie qui entourait toute cette démarche. « Comment se fait-il que l'Assemblée nationale n'ait pas été consultée sur quelque projet de négociation que ce soit et qu’elle ait été tenue dans la plus grande ignorance depuis le début des discussions, alors que nos vis-à-vis européens connaissent les propositions du Québec? » Les députés ne sont-ils pas les représentants du peuple?

M.Johnson, lui, ne représente pas le peuple. D'ailleurs, il s'est fait un devoir de nous rappeler que ce ne sont plus les gouvernements qui dictent les règles du marché, mais le marché lui-même. Ce sont les intérêts du marché qui priment et la libre concurrence, selon lui, ne peut que conduire à une diminution des coûts pour le citoyen.

Si, en théorie cela peut trouver son sens, la pratique démontre presqu'à tout coup qu'il en va autrement. Les nombreux exemples dans le domaine de l'énergie et la privatisation des services publics sont assez éloquents quant à la dégradation des services et à l'augmentation des coûts de ceux-ci. D'autant plus que la collusion au Québec, on connaît ça.

N'empêche, M. Johnson a confirmé ce que plusieurs appréhendaient: « Tout est sur la table », a-t-il déclaré.

Impossible de lui arracher quelque assurance que ce soit sur des sujets ou des secteurs qu'on aurait souhaité voir exclus de cette entente, qu'il s'agisse de l'eau, d'Hydro-Québec, de la culture ou autre. Tout au plus, il nous a confié que l'eau et Hydro-Québec ne faisaient pas partie de la proposition du Québec. Est-ce dire qu'ils seront exclus de la négociation? Encore là, aucune assurance.

La seule certitude reçue, et cela n'a rien de rassurant, c'est que nos contrats de services publics qui s'élèvent à quelque chose comme $28,5 milliards par année au Québec, seront accessibles aux multinationales européennes.

M.Johnson, ancien Premier ministre du Québec, faut-il encore le rappeler, n'avait pas la moindre gêne à reconnaître qu'il s'agit là de la pièce maîtresse de l'entente. Il fallait bien appâter les Européens avec quelque chose. Est-ce que cela peut conduire à la privatisation de ces services publics? Bien sûr que oui.

Le député péquiste du Lac St-Jean, Alexandre Cloutier, a bien compris que l'entente rendrait difficilement applicable les pratiques favorisant l'utilisation de main-d'œuvre locale et même d'achat local. Le négociateur a expliqué que ce genre de traité visait justement à éliminer les prescriptions de ce genre, recherchant une plus grande libéralisation des marchés.

Bref, ce qui s'apparentait d'avantage à une opération de relations publiques qu'à une commission parlementaire visant à éclairer la population du Québec sur l'AÉCG, n'aura contribué qu'à ajouter au cynisme collectif.

L'Assemblée nationale n'a toujours aucune idée de ce à quoi ressemble la proposition initiale du Québec à la table de négociation, ce qui va à l'encontre des principes même de la démocratie, et correspond à jouer notre avenir sur un chèque en blanc. Pourtant, la grande majorité des députés assistent à toute cette mascarade le sourire aux lèvres.

Et si c'était Amir Kadhir qui avait raison! Si ce qui guidait M.Johnson dans ces démarches, relevait d'avantage de ce conflit d'intérêt dénoncé par le député de Mercier.

L'ancien parlementaire siège bel et bien sur un conseil d'administration de Véolia, cette multinationale prise en flagrant délit de collusion, ici au Québec, il y a quelques semaines, dans la cueillette des ordures ménagères et qui, vraisemblablement, a de gros intérêts dans la présente négociation. Après tout, il ne serait pas le premier à qui ça arrive, non?

De toute évidence, c'est le genre de chose que M.Bernard Drainville n'avait pas le goût d'entendre, lui qui avait le mandat de diriger les travaux de la commission. Il aurait pu se contenter de diriger le trafic sans tomber dans cet inutile sarcasme auprès des rares députés qui ont osé parler des vraies choses cette journée là.

« Vous allez maintenant entrer dans la partie périlleuse de l'exercice, M.Johnson. » C'est à peu de choses près ce que M.Drainville a lancé juste avant d'entreprendre la période de questions à laquelle participaient les députés indépendants, comme pour s’en excuser à l’avance.

Un gros 13 minutes pour les trois indépendants et le représentant de Québec Solidaire, réponses incluses.

Tout le monde a bien compris qu'il ne fallait pas se faire trop insistant auprès de M.Johnson, ne pas jouer trop serré, bref, ne pas l'obliger à donner des réponses claires, lesquelles ne seraient jamais venues de toute façon.

Un bien triste spectacle auquel nous a convié le député de Marie-Victorin, lui qui paradoxalement se réclame ces jours-ci de plus de démocratisation de nos instances politiques. Il propose d'instituer des référendums populaires pour que la population puisse intervenir dans des dossiers importants.

M.Drainville comme l'ensemble de ses collègues font pourtant peu de cas de cette pétition inscrite à l'Assemblée nationale qui demande d'informer la population ainsi qu'un référendum sur l'AÉCG.

Il ne faudrait pas perdre de vue que le gouvernement Libéral est majoritaire et conséquemment, il pourrait très bien ratifier l'entente sans même avoir reçu l'approbation de la population de la négocier et ce malgré les doléances de l'opposition. N'est ce pas ce qui se fait régulièrement à Ottawa par les temps qui courent?

Tous seront d’accord sur un point : M.Johnson a su garder la parfaite maîtrise de sa langue de bois.

Comme se serait sans doute exclamé le défunt Sol…

Pauvres…poua.a.a., pauvres de petits nous!

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