Entretien hypothétique avec L. Jacques Ménard

2012/01/23 | Par Léo-Paul Lauzon

L. Jacques Ménard vient de publier un livre qu’il n’a pas rédigé mais dont il est l’auteur. Vraiment bizarre. Ce pamphlet s’intitule : « Réussir, aller au bout de ses rêves », qui se résume à avoir interviewé 22 « personnalités » qui nous livrent le secret de leur retentissant succès. Que de grossiers clichés, si vous voulez mon avis, mais qui a permis au banquier de se pavaner dans tous les médias écrits et parlés avec en prime des journalistes dangereusement complaisants. Pour les gens riches et célèbres, il leur est tellement facile de s’acheter des plogues publicitaires dans les médias. Et vogue le professionnalisme, l’éthique et l’esprit critique journalistique.

Oh! que j’aimerais rencontrer Jacques Ménard afin de réaliser une autre type d’entrevue avec lui, c’est le rêve de ma vie. Comme il refusera sans doute, j’ai pensé colliger quelques questions qui ne lui ont jamais été posées et qui pourraient inspirées mes amis journalistes à l’avenir.

1. Monsieur Ménard, dans votre livre vous vous interviewez vous-même à titre de modèle de réussite. Cé pas la modestie qui vous étouffe! Là, faudrait dire à Jacques que c’est seulement une « joke », afin de créer une chaleureuse ambiance.

2. Cé drôle monsieur Ménard, mais tous les banquiers réussissent, même ceux qui ont perdu des milliards de dollars et dont la facture a été payée par la population innocente, victime de ces « crosses bancaires ». Les banquiers sont quand même partis avec des milliards de dollars de fonds publics grâce à leurs parachutes dorés blindés, privilège que n’ont pas les travailleurs même syndiqués. Dans le contexte actuel, même un poteau de téléphone pourrait diriger une banque selon moi. Qu’en pensez-vous? En somme, vous prônez une réduction des services publics universels et du rôle de l’État pour le monde ordinaire et un rôle sonnant et trébuchant accru de l’État pour les banques en particulier et pour le privé en général. Trouvez-vous ça équitable monsieur L. Jacques Ménard ?  En passant monsieur Ménard, le L. avant Jacques ça fait très « british » et très sérieux. Y faudrait surtout pas que je vous appelle « coco », surnom populaire de tous ceux prénommés Jacques. Cé juste une autre « joke » plate de ma part pour détendre l’atmosphère Jacquot.

3. Monsieur Ménard, les gouvernements occidentaux de la planète ont dit que les banques étaient trop grosses pour faire faillite, ce qui revient à dire qu’il faut, en tout temps, les inonder de subventions publiques lorsqu’elles dilapident les dépôts de leurs clients en spéculant à outrance. Ça ne revient pas un peu beaucoup au principe de socialiser les coûts et les pertes et privatiser les profits ? Dans ce cas monsieur Ménard, seriez-vous d’accord avec mon collègue, économiste de l’Université du Québec à Montréal, Louis Gill et de Joseph Stiglitz à qui on a décerné le prix nobel en économie, qu’il faille nationaliser les banques ? Allô secteur privé branché aux pompes du trésor public !

4. En 2007, la Banque de Montréal a supprimé 1000 emplois de plus, même si elle venait d’engranger des profits gargantuesques de 2.6 milliards $. (Le Devoir, 1er février 2007). Pourtant, vos économistes prétendent que gros profits riment avec création d’emplois. Qu’en pensez-vous ?  Peut-être qu’il s’agit là, comme l’a dit un de vos collègues, en parlant de congédiements, de gestes nécessaires et inéluctables  afin de protéger les bons ratios du bilan des banques, de faire preuve d’un minimum de responsabilité sociale afin d’en verser plus aux actionnaires et aux dirigeants et d’élémentaires précautions au cas où ça irait moins bien, même si ça n’a jamais été mal dans le passé ?  On ne sait jamais. On n’est jamais assez prudent. Quand les entreprises «flushent» des milliers de travailleurs, même en période de gros profits, faut donc parler de saine gouvernance et non de gestes sauvages, n’est-ce pas monsieur Ménard ?

5. Récemment, en faisant référence à Pierre Karl Péladeau, propriétaire majoritaire de Quebecor, vous avez dit : « Moi, je n’ai pas de bibittes ou d’appréhensions existentielles à l’égard du monde syndical » (Le Devoir, 22 janvier 2010).  Facile à dire lorsqu’il n’y a aucun employé syndiqué à la Banque de Montréal. Et puis, vous avez déjà mentionné, tel que rapporté dans Le Devoir du 18 septembre 2003 :  « Pour retrouver l’élan des années de la Révolution tranquille. Sous-traitance : Jacques Ménard appuie les réformes de Charest ». Comme sous-traitance se conjugue avec désyndicalisation et salaires inférieurs des travailleurs, c’est ainsi que l’on va retrouver, selon vous, l’élan des années de la Révolution tranquille ?  Pouvez-vous m’expliquer, j’ai de la misère à vous suivre.

6. Vous n’avez rien contre les syndicats monsieur Ménard, mais pas beaucoup pour lorsque vous affirmez :  « Jacques Ménard enjoint aux syndicats de réformer l’État. Les droits acquis ralentissent et bloquent tout changement » (Le Devoir, 1er mars 2011).  En passant, Rabbi Ménard, peut-être que le titre de cet autre article du Devoir du 1er décembre 2011 vous a échappé : « La fonction publique québécoise a perdu de son lustre. Les salaires du secteur public (incluant les avantages sociaux) sont inférieurs de 11.3% à ceux des autres salariés du privé, selon l’Institut de la statistique du Québec ».  Il en est ainsi depuis plusieurs années malgré vos prétentions et celles de vos économistes de service.  Et si on parlait plutôt des droits acquis qui s’assimilent à des veaux d’or, pardon à des taureaux d’or, des banquiers et de leurs dirigeants qui coûtent des milliards en fonds publics chaque année. Faut tout mettre sur la table et ne pas préconiser une approche sélective et intéressée. Je crois qu’à cet effet vous allez être d’accord avec moi, vous qui êtes un homme de principes et un humaniste. Une autre face de ma part.  Je suis de nature très ricaneuse monsieur Ménard. Ne trouvez-vous pas que pour donner l’exemple aux autres, afin que l’on vous prenne vraiment au sérieux, vous pourriez commencer par couper dans le très gras de vos très gros acquis sociaux?

7. Je ne voudrais pas passer pour un téteux à mon tour comme mes amis journalistes, mais il est vrai que vous avez défendu héroïquement et courageusement certains syndicats comme : « Ménard appuie les médecins spécialistes », pour qui vous avez lancé un lancinant appel du cœur, comme vous seul en êtes capable, afin de mieux les rémunérer à leur juste valeur  (Journal de Montréal, 3 juin 2006).  Oh, oh, mais attention, pour les autres syndicats de notre système de santé publique, composés seulement de travailleurs ben ordinaires, comme des préposés aux malades et des infirmières, là vous n’y avez pas été par quatre chemins : « Ménard décrie les syndicats. L’offensive tous azimuts ne favorise aucunement la réflexion et une discussion éclairée sur la pérennité du service de santé »  (Le Devoir, 28 juillet 2005).  Là, on reconnaît votre véritable nature. C’est exactement pour ça que vous avez réussi dans la vie. Et puis, je dois reconnaître que vous avez tout un bon sens de l’humour à vous entendre parler le plus sérieusement du monde de « réflexion et de discussion éclairées ».  Elle est très bonne. Avez-vous pensé à vous faire inviter au prochain festival Juste pour rire ?  Les gens seraient tordus de rire.

8. Pour assurer la pérennité de notre système de santé, vous préconisez la privatisation de ce qui est rentable pour les cliniques et les hôpitaux privés et vous voulez faire payer les gens qui vont s’entêter et persister, faute de moyens, à faire appel aux services de notre système de santé publique.  Pour recevoir des soins du public, va falloir que les malades aient comme qualité première la patience en vous prenant comme exemple. Est-ce par équité que vous prêchez pour un système de santé à deux vitesses? Équité pour qui au juste? Cela n’enfreint-il pas le principe fondamental de l’égalité des chances? Peut-on réussir s’il n’y a pas égalité des chances pour tous face aux services et aux biens publics premiers?

Comme ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance inouïe, même hypothétique, d’interviewer un grand et même un très grand de ce monde,  nous allons poursuivre l’interview dans une deuxième partie. Au cours de cette rencontre privilégiée et même historique, nous allons nous entretenir avec monsieur Ménard de sujets qui lui sont très familiers et dont il ne parle malheureusement jamais et que les porte-queue de journalistes n’osent jamais s’aventurer de peur de contrarier cet homme qui a de gros contacts. Par exemple, nous parlerons, entre autres, d’évasion fiscale dans les paradis fiscaux; des salaires des banquiers dont la moitié n’est pas imposable du tout parce qu’ils sont versés en options d’achats d’actions (et non par chèque comme tout le monde); de l’oligopole bancaire canadien (dixit la prestigieuse revue internationale The Economist) qui nous fait payer plus cher qu’ailleurs leurs services; de recours collectifs intentés contre les banques canadiennes; et de copinage de la part de celui qui milite pourtant pour plus de gouvernance et d’éthique… au public, s’entend.  À cet effet, pour terminer par une autre bonne blague venant de monsieur Ménard, prenons le titre de cet article de La Presse du 17 janvier 2003 :  « Il ne faut pas démoniser les conflits d’intérêts sur les conseils d’administration de compagnies privées». Ayoye! Ce sont de bons conflits d’intérêts nécessaires pour faire de la bonne business. Au contraire. Dans le privé, faut encourager les conflits d’intérêts, la collusion, la corruption, la fraude fiscale, «l’arnaque» des consommateurs, en symbiose harmonieuse entre affairistes et leurs élus. C’est pas tout, l’État doit être dirigé et géré par le privé. Ainsi, monsieur Ménard, tout irait pour le mieux, n’est-ce pas?  Par contre, c’est le même ti-coune qui a affirmé le plus sérieusement du monde : « Le public réclame davantage de rigueur (sic).  Jacques Ménard plaide pour une loi encadrant les nominations dans les sociétés d’État ». (Le Devoir, 24 avril 2003).  Une loi pour les sociétés d’État et surtout pas une pour le privé. Et pour plus de rigueur, version Jacques Ménard, il faut nommer à la tête de nos sociétés d’État et de nos services publics, comme on le fait déjà d’ailleurs, des opportunistes du privé qui militent pour leur privatisation allant d’Hydro-Québec, à la Société des Alcools du Québec, à la santé, aux aqueducs, aux autoroutes, aux garderies, à l’éducation, au transport en commun, alouette.