De la droite k.o. à la droite o.k.

2012/02/10 | Par Pierre Dubuc

On ne peut qu’applaudir la publication de Comment mettre la droite k.-o. de Jean-François Lisée. Ses 15 punchs au plexus – et sa maestria à populariser son livre – ont fait tituber la droite.

Sa défense du mouvement syndical est digne de mention. Nous sommes entièrement d’accord avec lui lorsqu’il affirme que le taux de syndicalisme très élevé et stable – à près de 40% – est « à lui seul le témoin d’un échec total de la droite québécoise dans le Québec qui travaille ».

Nous applaudissons également l’éclairage qu’il braque sur le phénomène de la « détestation de soi » qui caractérise la droite québécoise. Sa démolition, chiffres à l’appui, des principaux mythes véhiculés par la droite pour tracer une image négative du Québec est réjouissante. Bien sûr, diront certains, il choisit son angle d’attaque et les statistiques à l’avenant. Mais c’est de bonne guerre.

Étant de nature « pessimiste par optimisme » – une formule empruntée à Jean Cocteau – j’ai des réserves sur son optimisme débordant à l’égard de la performance de l’économie québécoise. Il est indéniable qu’elle a « superformé » par rapport à l’ontarienne, l’américaine et l’européenne au cours de la crise, comme il l’affirme, mais il est trop tôt pour savoir si cela est le résultat d’un changement structurel ou conjoncturel.

D’ailleurs, Lisée constate avec inquiétude, dans une note en bas de page, que le taux de productivité québécois n’a progressé que de 0,3% en 2010, contre 1,5% en 2008 et 2% en 2009. Et les dernières statistiques sur le chômage, où le Québec a retrouvé sa position traditionnelle derrière l’Ontario, sont alarmantes.


La droite o.k.

Là où je n’applaudis que d’une seule main, c’est lorsque Lisée revient, dans son chapitre « Et si on faisait encore mieux », avec ses propositions de « gauche efficace » élaborées dans ses ouvrages précédents et que j’ai critiquées dans mon livre Pour une gauche à gauche (1).

De ses propositions pour améliorer la productivité de l’économie québécoise, je note qu’il a tenu compte de mes critiques et qu’il a abandonné son plan délirant de réduction massive de la taxe sur la masse salariale pour l’ensemble des entreprises en échange d’un plan de mesures « volontaires » pour l’innovation.

Il a finalement compris que les grandes entreprises n’ont pas besoin d’un tel cadeau pour investir dans la R & D. « Elles en font déjà », reconnaît-il. Dans sa nouvelle mouture, le plan ne s’adresse plus qu’aux PME. Ouf! Mais il continue à n’«exiger » en contrepartie que des mesures « volontaires »! Drôle de négociateur !  

D’autre part, Lisée maintient son idée d’une hausse de 60% des tarifs d’Hydro-Québec, compensée par une baisse des impôts et une augmentation des prestations et des primes au travail, pour un effet nul.

Pourquoi cette hausse? Lisée nous dit que c’est pour changer nos comportements de consommateurs, de façon à dégager des surplus d’électricité. « L’électricité ainsi économisée pourra servir à l’augmentation de l’utilisation d’électricité dans les transports ».

Que répondre? Premièrement, que l’effet ne sera pas nul. Les Québécois sont encore majoritairement des locataires et il est loin d’être évident que les propriétaires se mettront à calfeutrer leurs habitations. Il y a fort à parier qu’ils refileront la facture aux locataires et que la hausse des tarifs fera mal aux plus démunis, qui devront geler ou s’endetter pour payer une facture d’électricité ainsi gonflée.

Deuxièmement, Hydro-Québec a des surplus d’énergie. Elle paie 200 millions $ par année à l’albertaine TransCanada Energy pour maintenir inactive la centrale au gaz de Bécancour. Elle pourrait donc facilement alimenter un réseau de transports électrifié sans la réduction proposé de la consommation des ménages.

Selon Pierre Langlois, l’auteur de Rouler sans pétrole, l’électrification de 70% des kilomètres parcourus par l’ensemble du parc de véhicules routiers du Québec nécessiterait de 6% à 7% de plus d’électricité. Comme cela se fera graduellement, Langlois estime l’augmentation de la consommation annuelle à moins de 0,2%. Alors, pourquoi cet électrochoc d’une hausse de 60% des tarifs d’électricité?

Le plus curieux dans tout cela est que Lisée proposait auparavant d’utiliser plutôt ces économies d’énergie pour rendre disponibles des kilowatts-heure pour les vendre à prix fort aux États-Unis!

Mais les ventes sur le marché américain n’étant plus aussi avantageuses – le dernier contrat signé avec le Vermont prévoit un prix de 5,8 cents le kilowatt-heure, alors qu’Hydro-Québec paye 10 cents le kilowatt-heure aux propriétaires de petits barrages et d’éoliennes – Lisée détourne ses surplus vers l’électrification du transport au Québec! Curieux!

Revenons donc à la question initiale : pourquoi cette hausse astronomique des tarifs? Il nous dit aujourd’hui qu’il y a « plusieurs bénéfices supplémentaires considérables découlant de cette opération ».

Mais il n’en mentionne véritablement qu’un seul : « une telle hausse des tarifs ferait passer de 30 à 130 milliards la valeur d’Hydro-Québec, ce qui éliminerait la dette nette d’Hydro-Québec ».

Pourtant, dans son 12e punch contre la droite, il démolit l’affirmation selon laquelle « Le Québec souffre d’un des pires endettements au monde… ». Alors, pourquoi un tel empressement?

En fait, Lisée cache la véritable raison derrière sa proposition de hausse des tarifs d’Hydro-Québec, qui est de rendre plus attrayante la société d’État pour sa privatisation. D’abord partielle, à hauteur de 25%, comme il l’avançait dans son livre Pour une gauche efficace.

Dans Pour une gauche à gauche, nous avons montré qu’une telle privatisation partielle d’Hydro-Québec mènerait inexorablement à sa privatisation totale et nous avons énuméré dix bonnes raisons de s’y opposer.

Dans son dernier ouvrage, Jean-François Lisée écrit : « On sait pourquoi la droite use de l’épouvantail de la dette : pour démanteler les choix sociaux-démocrates des Québécois ». Il faudrait qu’il se garde de le faire lui-même, sinon il faudra parler de « la droite o.k. » plutôt que de « la droite k. o. »

Enfin, célébrons le fait que Lisée semble avoir abandonné son plan complètement surréaliste et abracadrant de réforme du capitalisme mondial élaboré dans Imaginer l’après-crise, auquel nous avons également consacré une critique élaborée dans Pour une gauche à gauche.

  1. Pierre Dubuc, Pour une gauche à gauche. Critiques des propositions sociales et linguistiques de Jean-François Lisée, Les Éditions du Renouveau québécois. 2011.

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