Montréal, le libre échange avec l’Europe et nos services publics

2012/02/14 | Par Catherine Caron et Martine Chatelain

Le 23 janvier dernier, le conseil municipal de la Ville de Montréal adoptait une résolution à l’unanimité concernant l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne (UE).

Cet accord préoccupe vivement plusieurs élus et acteurs de la société civile. Plus d’une trentaine de villes ont jusqu’ici adopté des résolutions, certaines comme celles de Baie Comeau et Hamilton demandant l’exemption claire et permanente des municipalités de cet accord.

Que Montréal se prononce est donc important et à saluer. Toutefois, à la lumière des nouveaux documents qu’a obtenus et rendu publics la même semaine le Réseau québécois sur l’intégration continentale (les offres du Canada en matière de services et d’investissement), tout indique qu’elle doit faire plus. Car ceux-ci confirment, entre autres, que les services de l’eau (potable et traitement des eaux usées) sont toujours sur la table de négociations.


Appel à la transparence

Que dit cette résolution de la Ville de Montréal? La Ville y demande au gouvernement du Québec de l’informer le plus rapidement possible des aspects de ces négociations concernant les marchés publics des gouvernements municipaux.

C’est un point majeur au moment où les gouvernements du Canada et du Québec refusent aux élus comme à la population l’accès aux textes de ces négociations, notamment les offres faites en matière de marchés publics, dont il ne sera toutefois pas question ici.

Ensuite, la Ville veut « s’assurer que l’AÉCG, ne puisse être interprété comme limitant le pouvoir des citoyens et des citoyennes de décider, par l’entremise de leurs élus, du type de services pouvant être offerts et contrôlés par leurs pouvoirs publics locaux ».

Elle exprime « son désaccord à l’égard de toute obligation qui serait susceptible de lui être imposée en matière de libéralisation des services publics et de toute mesure qui pourrait nuire à sa capacité de règlementer dans l’intérêt public ».

Elle dit qu’elle veut voir respectés ses droits et ceux des citoyens et qu’elle s’oppose à une libéralisation, à une ouverture à la concurrence du privé forcée dans ses services, ce qui constitue en général une étape vers leur privatisation.

Mais les gouvernements comme les négociateurs risquent fort de se montrer rassurants en répondant simplement que l’AÉCG ne change rien au fait que les pouvoirs publics locaux décident et continueront de décider de garder public ou non un service municipal, d’aller ou non en sous-traitance, etc.

Ce n’est pas faux, mais on peut débattre du fait que cela ne se fait pas toujours très démocratiquement : la majorité des Montréalais ont-ils choisi l’ingérence éhontée et coûteuse du privé à la Ville de Montréal?

Et, surtout, de multiples facteurs poussent en faveur du privé, notamment le financement public fédéral conditionné à la réalisation de partenariats public-privé concernant les services de l’eau.

Or, une fois qu’une ville confiera au privé un service qui n’aura pas été protégé dans ces négociations, l’AÉCG la liera bel et bien.

Cela signifie devoir respecter les règles strictes de la libéralisation des services et des investissements et donc voir son pouvoir de légiférer atteint.

Pour en comprendre toutes les conséquences, les élus feraient bien de prendre connaissance du document «Un accord truffé d’omissions», réalisé par le Conseil des Canadiens et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP, 26 janvier 2012).


Protéger les services publics

Ainsi, dire que les services de l’eau ne sont pas protégés dans l’AÉCG, c’est dire qu’une fois cet accord en vigueur, si une ville décide de confier au secteur privé ces services, les multinationales européennes devront avoir accès à ce « marché ».

Elles le feront dans leur propre intérêt, bien avant le nôtre, et selon des règles strictes que nous n’avons pas débattues et choisies collectivement.

De surcroît, s’il s’avère que la privatisation d’un service est un échec, et les exemples de cela abondent, un tel accord rendra quasi impossible le retour à la gestion publique.

L’analyse du Conseil des Canadiens et du SCFP confirme que : « Le Canada demande une exemption générale pour les mesures municipales existantes qui ne se conforment pas aux règles de l’AÉCG, par exemple, les monopoles municipaux sur l’approvisionnement en eau et le traitement des eaux. Mais le texte que nous avons vu ne laisse aucune place à l’adoption de nouveaux services publics ou à la restauration de services » (p.2).

On est bien sur l’autoroute de l’anéantissement des services publics. De plus, les investisseurs européens obtiendront « de nouveaux droits de poursuivre les administrations locales s’ils considèrent qu’une politique menace leurs profits » (p.4), concernant plusieurs services municipaux non protégés. Avons-nous jamais voté pour ça?

À la lumière de ces informations, même si Montréal n’avait aucune velléité de confier au privé plus de services, sa prise de position doit être renforcée.

La prochaine rencontre des membres du conseil d’administration de la Fédération canadienne des municipalités, qui aura lieu du 7 au 10 mars et où siègent des élus de Montréal et d’autres municipalités du Québec, lui offre l’occasion de faire preuve de leadership à cet égard.

La seule façon de vraiment protéger les services de l’eau et les services publics en général est d’exiger leur exemption complète et permanente dans l’AÉCG ainsi que l’exclusion des marchés publics par lesquels les multinationales européennes cherchent aussi à mettre davantage le pied dans la porte.

Cela ne signifie aucunement se refermer sur soi-même. C’est affirmer que nous n’avons pas à nous soumettre à des règles commerciales concoctées en secret pour assurer le profit privé de quelques-uns au détriment de l’intérêt public et démocratique.

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