À qui appartient le pétrole du Golfe du Mexique?

2012/03/12 | Par André Maltais

En octobre dernier, six mois seulement après que la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, de British Petroleum, eût déversé près de cinq millions de barils de pétrole dans le Golfe du Mexique, le Bureau états-unien de l’énergie océanique approuvait un nouveau plan d’exploration dans le même golfe et par la même entreprise!

Cette complaisance devant le plus grand désastre écologique pétrolier de l’histoire dans la région, contraste avec l’attitude adoptée par les conservateurs qui, le 27 septembre, menés par la congressiste de la Floride, Ileana Ross-Lehtinen, menaçaient la pétrolière espagnole, Repsol, qui explore dans les eaux profondes de la zone économique exclusive de Cuba.

Les congressistes conservateurs disent craindre pour l’environnement (!) et veulent recourir à la loi Helms-Burton qui permet de poursuivre aux États-Unis les entreprises étrangères qui font des affaires avec Cuba.

Mais la découverte d’abondantes ressources pétrolières dans le Golfe du Mexique pourrait modifier sérieusement les relations cubano-états-uniennes qui, depuis plus d’un demi-siècle, reposent sur un blocus économique et financier imposé à Cuba par les États-Unis.

D’abord parce que le pétrole des eaux territoriales cubaines s’y trouve en telle quantité qu’il pourrait permettre à l’île de s’auto-suffire et même de se convertir en exportatrice d’or noir, estime le spécialiste états-unien Robert Sandels. Cela aurait un impact énorme sur le développement économique de Cuba et ferait tomber plusieurs des barrières du blocus de Washington.

Ensuite, et à cause du même blocus, les pétrolières états-uniennes sont exclues par leur propre gouvernement d’un marché important que s’empressent d’occuper d’autres pays dont certains peu appréciés de Washington comme le Brésil, la Russie, l’Angola, le Vietnam, le Venezuela et, bien sûr, la Chine à qui l’espagnole Repsol a confié la construction de la plate-forme Scarabée 9.

Depuis le milieu des années 2000, écrit l’économiste mexicain, Gian Carlo Delgado Ramos, le lobby pétrolier et certains « think tanks », comme la Rand Corporation, requièrent du gouvernement états-unien une approche plus « pratique » dans ses rapports avec Cuba. Des projets de loi sont discutés au Congrès, tantôt pour, tantôt contre la participation des entreprises états-uniennes dans l’exploitation pétrolière en eaux cubaines.

Pendant ce temps, les pays latino-américains pressent toujours plus Washington d’appliquer les résolutions de l’ONU qui, année après année, condamnent le blocus. L’Équateur vient même de proposer un boycottage du prochain Sommet des Amériques qui doit avoir lieu dans un mois, en Colombie, parce que Cuba en sera exclu.

Le gouvernement cubain, lui, rappelle que rien dans les lois du pays n’empêche les entreprises états-uniennes de participer à l’exploitation du pétrole cubain pour autant que cela se fasse dans le respect et la non-ingérence.

Malgré 50 ans d’embargo, l’île cubaine de 11 millions d’habitants, située à seulement 135 kilomètres des côtes états-uniennes, apparaît infiniment plus en mesure de profiter de ses ressources pétrolières que le Mexique, troisième joueur autour de l’échiquier pétrolier du golfe.

Ce n'est qu’à la fin des années 1990, alors que se pointe l’épuisement de son pétrole terrestre, que la technologie permet de détecter les hydrocarbures sous les dômes salins en eaux profondes, et que géologues et pétrolières états-uniens sont dans le golfe depuis déjà 75 ans, que le Mexique s’intéresse à ses propres ressources pétrolières dans le golfe.

Celles-ci, selon le professeur Andres Barreda, de l’Université nationale autonome de Mexico, se révèlent telles qu’elles constituent 83 % des réserves pétrolières du pays.

Dans les années 2000, le Plan Puebla-Panama du président Vicente Fox est motivé secrètement par ces premières découvertes mexicaines. Il s’agit alors de prioriser cinq axes routiers interocéaniques qui partent tous de la région du Golfe du Mexique en direction de l’Océan Pacifique.

Mais, dénonce avant sa mort, en 1998, le député et sénateur, Jose Angel Conchello, le Mexique a alors garanti le remboursement de sa dette aux États-Unis par ses revenus pétroliers et il n’est pas question que le Plan Puebla-Panama profite aux Mexicains.

De plus, les États-Unis considèrent pratiquement le Golfe du Mexique comme une mer intérieure, car il est le port d’entrée de toutes les ressources énergétiques en provenance d’Amérique latine, du Golfe de Guinée, du Golfe persique et même de la mer du Nord.

Cela constitue une menace géopolitique certaine pour le Mexique, nous dit Andres Barreda, qui constate plusieurs « anomalies » dans le golfe en raison, dit-il de la « corruption des récents présidents mexicains. »

Ainsi, des travailleurs sur les plates-formes affirment que des navires pétroliers viennent se charger directement à partir d’elles et que les entreprises liées à la famille Bush sont omniprésentes dans le golfe. Protexa, par exemple, qui a construit et administre un important canal pétrolier entre l’État de Tamaulipas et le Pacifique, appartient aux frères Lobo, des amis intimes des Bush.

Une île mexicaine (Bermeja) aurait complètement disparue, modifiant, à l’avantage des États-Unis, la frontière maritime entre les deux pays. Le même Jose Angel Conchello, qui avait publiquement dénoncé l’affaire, a ensuite été victime d’un mystérieux accident de voiture.

Depuis 1995, s’est créée une ligue des gouverneurs du golfe qui regroupe, côté états-unien, ceux de Floride, Alabama, Mississipi, Louisiane et Texas, et, côté mexicain, ceux de Tamaulipas, Veracruz, Tabasco, Campeche, Yucatan et Quintana Roo. La ligue propose une intégration du Golfe du Mexique, l’incorporation de la Floride au Plan Puebla-Panama et même l’exclusivité de la navigation dans le golfe pour la marine états-unienne.

Les États-Unis ont aussi installé dans le golfe un réseau d’oléoducs sous-marins que l’organisation OilWatch qualifie de plus important de la planète. Celui-ci pourrait permettre l’appropriation unilatérale du pétrole mexicain par « aspiration », un phénomène connu sous le nom « d’effet popote ».

L’annonce, le 21 février, en pleine campagne électorale mexicaine, d’un accord sur les gisements transfrontaliers d’hydrocarbures dans le Golfe du Mexique n’a rassuré personne tellement le gouvernement mexicain est resté vague sur les détails.

Le 4 mars, la population apprenait que, dans une flagrante démonstration d’ingérence dans les affaires du pays, Joe Biden, vice-président des États-Unis, arrivait au Mexique pour rencontrer à huis-clos chacun des trois candidats aux élections présidentielles du 1er juillet prochain.

Le Mexique est en réalité plus que jamais gouverné par son voisin états-unien. L’Initiative Merida, qui, sous prétexte de guerre aux trafiquants de drogue, prévoit de grands investissements états-uniens en matière de sécurité et de militarisation, fait en sorte que Washington dicte de plus en plus la politique du pays.

Aujourd’hui, les agences états-uniennes opèrent en sol mexicain, planifiant, équipant, dirigeant et, selon plusieurs, exécutant les opérations sur le terrain. Un éditorial du quotidien mexicain, La Jornada, compare les attentats meurtriers imputés aux mafias mexicaines à ceux qui frappent mosquées et marchés publics d’Irak et avance que rien n’empêche les militaires états-uniens d’être la cause de la plupart d’entre eux.

Diriger la militarisation du Mexique, affirme l’article, donne à Washington les moyens de créer des justifications pour prolonger la guerre aussi longtemps que leurs objectifs ne sont pas atteints. L’un d’entre eux est certainement le pétrole des eaux profondes mexicaines.

Bookmark