Quand les banques se lancent en agriculture pour le « bacon »!

2012/04/02 | Par Roméo Bouchard
C’est confirmé, un peu partout au Québec, les banques, les sociétés d’assurance et d’investissement achètent à gros prix des terres agricoles considérées désormais comme une valeur refuge, compte-tenu des pénuries alimentaires en vue. 

Dans Le Devoir du 29 mars, Robert Laplante de l’IREC (Institut de recherche en économie contemporaine) mentionnait que plus de 200 millions d’hectares depuis 10 ans, la superficie du Groenland, ont fait l’objet de transactions majeures.

Le président de l’UPA précise pour sa part que des compagnies  créées à cette fin par des institutions financières sont à l’oeuvre, comme Canadian Farmland Corporation, Agriterra, Solifor.

La Banque nationale du Canada, de son côté, par l’entremise d’un agent nommé Éric Dubé, aurait mis la main sur plus d’une centaine de lots dans plusieurs municipalités du Lac-Saint-Jean depuis un an.

Sans compter les Chinois qu’on soupçonne évidemment, sans que rien de tel ne soit confirmé,  d’agir dans l’ombre ici comme dans les mines, le pétrole et tout ce qui est ressources.

Faut-il s’en étonner?. Le scénario est le même partout. Déjà, dans son rapport publié en janvier 2008, la Commission Pronovost prédisait que si on ne procédait pas à une réforme structurelle de notre régime agricole, pour l’orienter vers nos besoins, l’agrobusiness allait s’en emparer à ses propres fins : 

«Le diagnostic que pose la Commission se veut limpide : le secteur agricole et agroalimentaire est en train de se refermer sur lui-même. Les systèmes qu’il a mis en place créent des obstacles à l’émergence de nouveaux types d’agriculture, au développement des produits originaux et à l’exploration de nouvelles possibilités commerciales…Le secteur agricole et agroalimentaire ne pourra pas faire face aux défis de l’avenir en reconduisant simplement le statu quo intégral de ses façons de faire. Ou bien ses acteurs s’engagent dans des changements et ouvrent leurs systèmes à l’innovation et aux initiatives des entrepreneurs, ou certains changements vont s’imposer d’eux-mêmes, sous les effets de la conjoncture, des nouvelles tendances de consommation et de la concurrence d’autre produits d’ici et d’ailleurs » p. 15

Le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) et l’Union des producteurs agricoles (UPA) ont préféré faire la sourde oreille et maintenir le statu quo intégral en ce qui concerne les réformes structurelles proposées.

La consultation avortée sur un Livre vert bidon vient de sceller l’enterrement du rapport Pronovost.

On vient d’ailleurs de reculer sur une autre des réformes qu’avait amorcé le défunt ministre Claude Béchard (encore une fois au profit des gros producteurs), la fameuse norme du retrait  du 25% des fermes moins performantes dans le calcul de l’assurance agricole qui avait provoqué le boycott des sentiers de motoneige. 

Plutôt que de faire subir à notre agriculture un virage vers une agriculture plurielle, multifonctionnelle, écologique et  territoriale, comme le proposait Pronovost, ils ont maintenu et même accru les avantages pour les intégrateurs (et maintenant les banquiers), qui ramassent l’essentiel des 2 milliards annuels de fonds publics dédiés à l’agriculture et profitent de monopoles, à tous les niveaux de la chaîne de mise en valeur, grâce à des structures désuètes d’assurances, de mise en marché collective et de zonage agricole défendues mordicus par l’UPA et certains groupes environnementaux qui n’y comprennent rien.

Loin d’être une barrière aux multinationales de l’agroalimentaire comme le prétend l’UPA, ces structures désuètes qui étouffent les agriculteurs, on le voit aujourd’hui, leur ouvre la voie à l’accaparement des terres.

L’UPA peut bien déchirer sa chemise et  réclamer en catastrophe des mesures gouvernementales pour empêcher l’accaparement des terres : elle est la première responsable. Car c’est son entêtement à défendre le statu quo et à boycotter le rapport Pronovost qui a fait reculer le bureau de Jean Charest et qui est responsable de cette dérive.  

Comme on a écarté la réforme qui aurait permis à notre agriculture de se réenraciner localement, ce sont les intégrateurs, et maintenant les banques et les sociétés d'assurance, qui avalent les fermes une après l'autre pour y faire travailler, à des forfaits misérables, les ex-agriculteurs, ex-fromagers, ex-bouchers, dans des productions hyperspécialisées en fonction des marchés commerciaux les plus rentables dans le monde, mais qui n'ont plus rien à faire avec l'alimentation des Québécois. Notre taux d’autosuffisance alimentaire est passé de 80 à 30% depuis 1985 et la part des produits locaux dans nos supermarchés ne dépasse pas 5%, moins de 2% en produits biologiques : l’avenir ne laisse guère entrevoir d’embellie.

Paradoxalement, pendant que la campagne est de plus en plus livrée à l’agro-business mondial, comme le Nord aux compagnies minières,  c’est en ville que se développe l’agriculture nourricière : bienvenue à l’agriculture urbaine! Trouvez l’erreur tout de même!?
Pour ceux qui croiraient que cette dérive de l’agriculture est une fatalité, permettez-moi de citer l’article 104 que la Suisse a inscrit dans sa constitution en 1999, suite à un référendum populaire :

1.  La Confédération veille à ce que l’agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement:
a. à la sécurité de l’approvisionnement de la population;
b. à la conservation des ressources naturelles et à l’entretien du paysage rural;
c. à l’occupation décentralisée du territoire.

2.  En complément des mesures d’entraide que l’on peut raisonnablement exiger de l’agriculture et en dérogeant, au besoin, au principe de la liberté économique, la Confédération encourage les exploitations paysannes cultivant le sol.

3.  Elle conçoit les mesures de sorte que l’agriculture réponde à ses multiples fonctions. Ses compétences et ses tâches sont notamment les suivantes:
a. elle complète le revenu paysan par des paiements directs aux fins de rémunérer équitablement les prestations fournies, à condition que l’exploitant apporte la preuve qu’il satisfait à des exigences de caractère écologique;
b. elle encourage, au moyen de mesures incitatives présentant un intérêt économique, les formes d’exploitation particulièrement en accord avec la nature et respectueuses de l’environnement et des animaux;
c. elle légifère sur la déclaration de la provenance, de la qualité, des méthodes de production et des procédés de transformation des denrées alimentaires;
d. elle protège l’environnement contre les atteintes liées à l’utilisation abusive d’engrais, de produits chimiques et d’autres matières auxiliaires;
e. elle peut encourager la recherche, la vulgarisation et la formation agricoles et octroyer des aides à l’investissement;
f. elle peut légiférer sur la consolidation de la propriété foncière rurale.

4. Elle engage à ces fins des crédits agricoles à affectation spéciale ainsi que des ressources générales de la Confédération. »

De quoi faire pâlir notre Livre vert !

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