Droits de scolarité : L’assurance-qualité s’invite

2012/05/08 | Par L’aut’journal 

Dans le compte-rendu des négociations entre les associations étudiantes et le gouvernement Charest, apparaît la question de l’assurance-qualité et une référence à un article de Philippe Lapointe, le négociateur de la CLASSE, paru dans la revue Ultimatum.

Nous reproduisons ci-dessous cet article sur les modifications que le gouvernement Charest veut apporter à la gestion des nos universités pour les inscrire dans le grand marché mondial des institutions universitaires.

Cette approche confirme l’analyse produite par Pierre Dubuc sur l’enjeu de étudiants internationaux dans le conflit actuel. À ce sujet, lire : La face cachée de la hausse des droits de scolarité 

L’ironie de l’assurance-qualité
Philippe Lapointe

L’auteur est étudiant en sciences politiques et négociateur pour la CLASSE

Au mois de novembre 2011, la ministre Beauchamp demandait au Conseil supérieur de l’éducation du Québec un avis devant être remis en janvier 2012 sur «l’opportunité d’ajuster les mécanismes d’assurance-qualité au Québec» pour la formation universitaire.

L’apparition du mot assurance-qualité dans le vocabulaire gouvernemental n’a rien de réjouissant. Malgré le fait que nous exigeons depuis des années une éducation publique, gratuite et de qualité, l’assurance-qualité fait référence à un bien autre contexte : l’évaluation des universités selon le modèle américain, avec des accréditations privées, connue sous le nom de Processus de Bologne en Europe.

Alors que le Québec témoigne d’un retard historique dans le processus mondial de marchandisation et de mise en concurrence de ses universités, l’assurance-qualité est un phénomène bien connu en Europe et aux États-Unis – qu’on tente aujourd’hui d’importer chez nous.


De l’esprit critique à la qualité

Des années 70 au début des années 80, la tâche de l’université a été de construire, autour de l’étudiant ou de l’étudiante, un projet de progrès social et technologique.

Ce projet était rendu possible par le développement de l’esprit critique, qui permettait aux diplômé-e-s de dépasser les problèmes sociaux, économiques et technologiques. Les diplômé-e-s devaient avoir la capacité de critiquer les constats de leur époque, de générer des idées neuves et de les placer dans des systèmes globaux recoupés à l’intérieur des théories apprises. Tout cela se trouvait développé au sein de l’université.

Malheureusement, cette liberté avait un coût : une relation ambigüe avec l’État. Ces universités, formant des générations dirigeant l’État et la société, construisaient – au fil du temps – un lien privilégié avec l’appareil gouvernemental. Il s’est construit une certaine dépendance envers l’État pour survivre et donc une limite dans la critique de ce dernier.

Par contre, en Europe, les perturbations de mai 68 et les multiples grèves étudiantes ont miné la confiance entre l’université et l’État. L’université n’a plus constitué un lieu de perpétuation de l’élite, mais plutôt de contestation. De là, une grande contradiction – soit le fait que l’université critiquait ce dont elle dépendait. L’esprit critique dérange.(1)

Les États européens ont trouvé la solution à ce problème en retirant à l’université l’une de ses pierres angulaires : l’évaluation.

Dès les années 90, ils ont exigé que les universités européennes attestent à des tierces parties leur capacité de rendre des études de qualité.

Auparavant, l’évaluation était issue d’un principe d’autogestion de l’université et, donc, intrinsèque à sa propre mécanique de contrôle, opérée par des collègues dans le corps professoral. Les différents États ont prétexté un manque de confiance et le désir d’assurer une compatibilité mondiale pour une meilleure mobilité du savoir.

Ils se sont basés sur le modèle américain, depuis longtemps privatisé et soumis aux impératifs d’organismes d’accréditation.

De cette évaluation, la valorisation de l’université n’était plus son esprit critique, mais la « qualité ». C’était la naissance de l’un des principes de l’« assurance-qualité ».


Définir la qualité

Il peut être ironique de s’opposer à une évaluation sur le principe de la qualité. En effet, n’est-ce pas une revendication historique de l’ASSÉ que d’avoir une éducation de qualité?

Cependant, il existe plusieurs définitions de la qualité en éducation supérieure, les bases ayant été jetées par Harvey et Green en 1993 dans leur article : « Defining Quality »(2). On peut ainsi résumer trois concepts :

La qualité comme excellence : est traditionnellement associée à quelque chose de spécial et de distingué par rapport aux autres, l’excellence est en fait le symbole même de l’élitisme. La réputation des universités comme Harvard, Cambridge ou la Sorbonne entrent dans cette définition de la qualité.

La qualité comme valeur pour l’argent : c’est une perspective économique qui établit un lien direct entre coût et qualité. Cette définition accentue le rôle de l’État à exiger une meilleure «efficacité» pour l’investissement reçu. À des buts précis, un «produit» doit répondre aux attentes précises d’un «client».

En se concentrant sur l’atteinte d’objectifs nommés, on oublie malheureusement de se questionner sur la pertinence des objectifs fixés au départ.

La qualité comme transformation : cette définition fait davantage référence au senti des diplômé-e-s quant à l’effet de l’éducation sur leur vie.

L’acquisition de connaissances et compétences permet une meilleure préparation intellectuelle critique pour faire face aux préjudices et obstacles sociaux, il revient donc aux diplômé-e-s de considérer l’impact de leur apprentissage sur leur vie.(3)

Ainsi, la qualité de l’éducation peut prendre plusieurs aspects, et le choix de l’une des définitions plutôt qu’une autre consiste davantage en un choix politique qu’en une valeur objective.

Les gouvernements ont généralement tendance à utiliser ces trois définitions en alternance, à des moments bien précis, mais seulement pour des raisons discursives.



Qu’est-ce que l’assurance-qualité?

L’assurance-qualité telle que présentée par le gouvernement est une reprise du développement de l’éducation supérieure en Europe à travers ce qui est connu comme le Processus de Bologne (4).

Ce processus est en fait une entente non contraignante entre 46 pays européens qui vise à faciliter la mobilité entre les institutions, à hausser l’attractivité des institutions européennes pour les académiciens et académiciennes originaires de pays non européens et à accentuer la recherche et le développement.

Ce processus se divise en trois grandes réformes. Premièrement, il uniformise les études en trois cycles (licence-master-doctorat).

Deuxièmement, il met en place le calcul de crédits ECTS (European Credit Transfer and Accumulation System).

Finalement, il implante l’assurance-qualité. Au Québec, deux des réformes sont déjà naturellement incorporées puisqu’elles représentent l’uniformisation des études supérieures autour du modèle nord-américain : baccalauréat (trois ans, 90 crédits), maîtrise (deux ans, 60 crédits) et doctorat (trois ans, 90 crédits).

En ce qui a trait à l’assurance-qualité, ce sont des organisations externes aux universités qui sont chargées d’établir les barèmes et les critères définissant la qualité.

Basée principalement sur la « réussite » américaine, l’éducation est alors perçue comme un service fourni en échange de frais, qui se soumet aux certifications de production et de service comme ISO 9001.

L’assurance-qualité garantit que l’université fournira des services à la hauteur des frais.

Ainsi, les grandes écoles se disputeront la plus haute qualité/prix pour se distinguer auprès des étudiantes et des étudiants.

On se retrouve donc avec la seconde définition de la qualité telle qu’expliquée précédemment. L’assurance devient un outil de régulation du marché concurrentiel des universités pour l’« acquisition » d’une population étudiante étrangère. (5)

Déjà, l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC) jalouse la capacité qu’a eue le processus de Bologne à permettre une mobilité des étudiants et étudiantes à travers l’Europe.

Même si elle reconnait qu’un tel processus est un témoignage de la perte de confiance qu’a l’État envers l’université, elle vante « le volet marketing du Processus de Bologne » en permettant de mettre toutes les universités en compétition. (6)

Les critères de qualité se basent sur les objectifs d’organisations indépendantes comme l’ENQA. Cet organisme s’appuie sur plusieurs tests et critères dont, par exemple, l’évaluation du nombre de bourses et de publications de chaque professeur-e, et des questionnaires génériques aux étudiants et aux étudiantes quant à leur appréciation du recueil de texte.(7)

Ces processus extérieurs de vérification de la qualité et de la concurrence sont justement le troisième pilier de la privatisation de l’enseignement : hausser les frais, modifier la gouvernance, implanter l’assurance-qualité.

En considérant l’université comme une entreprise, avec ses produits et sa clientèle, on considère que l’éducation est un investissement à la fois personnel et national.

Personnel parce que dans une perspective individuelle de stratégie de vie, la formation augmente la valeur de l’individu sur le marché du travail et lui permet d’avoir un meilleur salaire. C’est la théorie du capital humain de Brecker.

Mais aussi, on considère que l’éducation dans notre société du savoir est un facteur de croissance économique. La recherche et l’enseignement sont à la fois des marchandises et des bonifications au niveau de l’offre de services d’un pays.

À ce niveau, les étudiants et les étudiantes deviennent des denrées exportables et importables, au même titre que le pétrole.

C’est la théorie de la croissance endogène de Robert Lucas.

Ces théories néo-classiques justifient que l’individu et l’État partagent le financement de l’éducation, car c’est un bénéfice, tant sur le plan individuel que collectif.

D’un côté, l’individu acquiert son salaire et de l’autre, l’État profite de la croissance économique. La population étudiante hors pays est alors considérée comme une marchandise de choix.

Les universités doivent donc se concurrencer pour acquérir le plus possible d’étudiants et d’étudiantes, et ainsi augmenter la valeur de l’institution en prouvant son attractivité, tout en haussant la facture.

Le Québec n’a pas implanté toutes ces mesures néolibérales, qui sont déjà implantées dans de nombreux pays. À cet effet, nous constituons une certaine exception. Or, comme le dit Trotsky, «la notion de retard historique est plutôt relative et peut être un avantage.» En voyant les erreurs des autres, nous pouvons les éviter.

Il n’y a pas de gloire à être le premier à foncer directement dans un mur.

Lorsque l’ASSÉ revendique une éducation de qualité, il est question d’une qualité qui transforme, d’une satisfaction des diplômé-es face à leur parcours et de leur perception qu’ils et elles sont maintenant plus aptes à affronter les injustices, critiquer les failles du système et comprendre les nuances de notre monde.

Cette qualité n’a pas de prix et elle est universelle. Le jour où nous aurons l’assurance que notre éducation sera de qualité, ce sera le jour où nous cesserons de la traiter comme une marchandise. Ce jour-là, l’éducation sera gratuite.

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1 STAMELOS, Yorgos, De l’esprit critique au ranking universitaire : pièces d’un puzzle, Presses de l’Université Patras, Grèce, 2009.
2 HARVEY, L., GREEN, D., «Defining Quality», Assessment and Evaluation in Higher Education, Vol. 18. 1993.
3 PARRI, Janne, «Quality in Higher Education», Vabyda/Management. No. 2 (11), 2006. et TAM, Maureen, «Measuring Quality and Performance in Higher Education». Quality in Higher Education, Vol 7, No. 1, 2001.
4 Le processus de Bologne
5 GARCIA, Sandrine, «L’Europe du savoir contre l’Europe des banques?», La construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur, Actes de la recherche en sciences sociales, 2007/1 no. 166-167.
6 AUCC, Le processus de Bologne et ses répercussions pour les universités canadiennes, Rapport du symposium de 2009 à l’AUCC.
7 http://www.enqa.eu/
(Pour consulter l’original de cet article, cliquez ici.)

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