Y Enamorarse, pour l’amour du «flamenco puro»

2012/05/08 | Par Adrien Welsh

Il fut un temps où le flamenco à Montréal déplaçait des foules assez importantes pour que des compagnies de renom comme les ballets espagnols de José Greco ou des artistes de grand talent comme Juan Maya «Marote» s’y établissent quelques semaines voire quelques mois.

Aujourd’hui, les plus prestigieux comme Paco de Lucía ou Paco Peña se font offrir les plus grandes scènes par le Festival de jazz qui, en monopolisant le «marché» des «musiques du monde», rend la tâche extrêmement laborieuse pour les artistes de grande qualité ne bénéficiant pas de l’appui du grand capital.

Pourtant, en ce qui a trait au flamenco, plusieurs aficionados montréalais et canadiens se mobilisent souvent pour constituer une série de spectacles de qualité comme Y Enamorarse, présenté à la salle Oscar Peterson par la compagnie de Domingo Ortega.

Or, faute de moyens, ils n’arrivent pas à bénéficier de la publicité ni de la couverture médiatique que l’organisation d’un tel événement peut demander.

Et pourtant, les spectacles d’une telle qualité sont rarissimes sur la scène flamenca montréalaise. Domingo Ortega, éminent danseur originaire de Jerez de la Frontera en Andalousie (un des berceaux du flamenco) accompagné de ses collaborateurs (danseuses - dont deux canadiennes - guitaristes et «cantaores») nous ont servi un spectacle des plus respectueux de la tradition flamenca, en prenant le soin d’exécuter un tour d’horizon assez complet des différents styles et modes de cet art, bien loin du compromis entre avec d’autres styles musicaux exogènes, mais aussi très différent du folklore, en se permettant parfois quelques innovations toutes personnelles.

Effectivement, tout au long du spectacle, les artistes ont tenté quelques originalités, parfois avec plus ou moins de succès (c’est le cas notamment de la «farruca» un peu trop hétérodoxe où quelques éléments faisaient défaut comme l’absence de l’énergique jeu de pied caractéristique au mode), mais parfois avec brio, comme pour le numéro d’ouverture.

Sans être issu d’un mode du flamenco traditionnel, on a pu d’emblée entendre les tensions harmonique imposant dès lors l’atmosphère lourde propre au flamenco.

Pour accentuer cette ambiance de lourdeur, deux danseuses se sont exécutées derrière deux draps blancs ne permettant à l’auditoire d’apercevoir que leurs silhouettes, ce qui n’est pas sans rappeler le «paño» traditionnellement utilisé lors des noces pour s’assurer de la virginité de la mariée chez les Roms.

Autrement, dans un profond respect du flamenco traditionnel, les trois éléments fondamentaux (soit le chant, la danse et la guitare) se sont partagé la scène comme il se doit, le chant n’a pas été confiné à l’arrière-plan comme c’est souvent le cas lors des spectacles de danse flamenca.

En fait, même si la compagnie est dirigée par un danseur, le spectacle n’était pas exclusivement basé sur la danse, chacun des protagonistes ayant pu, à au moins une reprise, occuper l’avant-scène.

Ainsi, nous avons eu droit à deux solos de guitare et de deux interventions de «cante», dont une magnifique «malagueña» (de Juan Breva) se concluant en «abandolaos», comme il se doit.

Au risque d’être un peu trop «technique», il m’apparait impératif de commenter quelques numéros dignes de mention. Entre autres, une magnifique soleá - la «mère de tous les chants» - presque improvisée, mais de haut calibre, dans laquelle nous avons pu apercevoir la danseuse montréalaise Delphine Mantha.

On peut aussi souligner un arrangement très flamenco du thème traditionnel espagnol Zorongo, popularisé et arrangé par Federico García Lorca, avec une chorégraphie exécutée brillamment par Inmaculada Ortega, vêtue d’une superbe robe avec «bata de cola», accessoire longtemps mis de côté par les danseuses.

Quant aux «alegrías», on ne peut que féliciter les chanteurs de les avoir interprétées comme le prescrit la tradition gaditane, sans jamais dévier vers des styles apparentés comme les «mirabrás» ou les «rosas», comme plusieurs le font aujourd’hui.

On aurait par contre aimé voir la danseuse entreprendre une «castellana» qui malheureusement manquait pour que le numéro soit complet. En outre, la vitesse d’exécution m’est apparue un peu trop rapide.

Et pour couronner le tout en beauté, nous avons eu droit à un rappel - por bulerías ¡claro! C’est alors que tous les artisans de ce spectacle se sont réunis sur scène dans une ambiance de «fiesta», les «jaleos» (encouragements) et les applaudissements fusant d’un peu partout dans la salle, à un point tel que le magnifique texte en hommage à l’auguste danseuse Carmen Amaya est passé inaperçu, dommage.

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