À Val-Jalbert : une chute à piton !

2012/05/10 | Par Alain Saladzius et Jean-Sébastien Lalumière

Un projet de centrale hydroélectrique de 16MW dans le Village historique de Val-Jalbert est à l’étude. Ce site est pourtant la deuxième attraction touristique la plus visitée de la région du Lac-Saint-Jean. Il fut même le gagnant en 2011 du Prix de l'expérience touristique de l'année du Canada.

Son concept repose sur une mise en scène interactive, recréant la vie du village en 1927, et son principal attrait est la chute Ouiatchouan, une chute de 79 mètres, 20 mètres plus haut que la chute du Niagara.

Grâce à des investissements en 2009 de plus de 20 M$, dont 19 M$ des gouvernements du Canada et du Québec, les bâtiments ont été restaurés et le site mis en valeur. Ces investissements ont maintenu 91 emplois et en ont créé 23. Il s’agit d’une réussite.

Selon le Répertoire canadien des lieux patrimoniaux et le Répertoire des biens culturels du Québec, la chute Ouiatchouan fait partie intégrante du patrimoine naturel du Village historique de Val-Jalbert et doit par conséquent être préservée.

Plusieurs belvédères ont d’ailleurs été aménagés afin d’offrir aux visiteurs les plus beaux points de vue sur la chute et des sentiers de randonnée longent la rivière révélant d’autres points de vue spectaculaires. La majesté de la chute fait la réputation du Village. La preuve : plus des trois-quarts des visiteurs viennent de l’extérieur de la région et se déplacent même de l’étranger pour venir l’admirer.

Voilà que maintenant il est proposé d’harnacher la rivière Ouiatchouan, d’y couler du béton, asséchant celle-ci sur près d’un kilomètre, détruisant les lieux de reproduction de l’omble de fontaine et transformant la chute en « chute à piton ».

Une chute à piton est une chute activée par une vanne électrique laissant écouler de l’eau sur demande. Ce serait dans l’intérêt économique de la région, disent les promoteurs, brandissant leurs projections financières. Il est regrettable qu’elles se fondent sur des estimations d’il y a trois ans, avant des modifications majeures apportées au projet. Le promoteur se veut néanmoins rassurant : les prévisions de coûts et bénéfices n’ont pas changé d’un iota !

Les municipalités régionales de comté finançant le projet ont la responsabilité de gérer avec rigueur les fonds publics. Pour ce faire, elles doivent avoir en mains les estimations les plus récentes, qui devraient être divulguées au grand jour afin de bénéficier de l’examen d’acteurs n’ayant pas d’intérêt pécunier dans le projet.

Après tout, elles doivent emprunter plusieurs millions pour financer ce projet, à un taux d’environ 4 %, un projet dont les coûts apparaissent sous-estimés de 20%.

Et que dire de l’absence d’évaluation des impacts négatifs sur la renommée et la capacité d’attraction du site une fois que la chute sera devenue une chute-fantôme et que la centrale de production abritant les turbines aura été construite en plein cœur du Village.

N’est-il pas évident que le bâtiment prévu « à l’allure contemporaine », une bâtisse en béton aux vitres teintées, représente une aberration architecturale et patrimoniale ?

Et si le promoteur prétend respecter les règles de gestion municipales, il fait fi des modalités d’attribution de contrats en prévoyant des contrats sans appel d’offres ou sans concurrence, à taux horaires et selon des critères de sélection sur mesure. Un bar ouvert sur invitation aux VIP !

De tels projets n’ont plus raison d’être. L'ancien premier ministre du Québec, monsieur Bernard Landry, avait décrété en 2002 un moratoire sur tout nouveau projet de petites centrales hydroélectriques sur des sites vierges dans le cadre de sa Politique nationale de l’eau.

Il existe déjà 58 petites centrales en opération, la vaste majorité autorisée par une politique du gouvernement libéral de 1991. Elles occasionnent, sauf exception, des saccages environnementaux majeurs, en plus de causer des pertes pour Hydro-Québec de plus de 70 millions de dollars par année. Monsieur Landry avait statué clairement que les petites centrales ne sont ni utiles ni souhaitables au Québec.

Ces projets ont un coût de production d’électricité plus élevé que le prix de vente. Il en coûte aujourd’hui à Hydro-Québec 12 cents/kWh à la produire, l’emmagasiner, la transporter et la distribuer alors que l’on vend à l’exportation à environ 6 cents/kWh en 2011 ou à 4,5 cents/kWh aux grands consommateurs industriels québécois.

Pour Val-Jalbert seulement, les pertes pour Hydro-Québec Distribution sont estimées à 40 M$ sur 20 ans. Hydro-Québec est en situation de surplus pour une durée indéterminée et ce week-end, elle exportait aux États-Unis à aussi peu que 1,2 cents/kWh en dehors des heures de pointe !

La Stratégie énergétique gouvernementale de 2006 a malheureusement levé le moratoire et permis de nouveaux projets de petites centrales, notamment sur de somptueuses rivières telles la Jacques-Cartier à Shannon, la Sainte-Anne-du-Nord à Saint-Joachim et la Ouiatchouan à Val-Jalbert. D’autres suivront.

Nous interpellons monsieur Pierre Arcand, ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs pour qu’il s’assure d’avoir en mains toutes les informations lorsqu’il aura à analyser de tels projets, de bien considérer la facture totale sur les plans environnemental, patrimonial, social et économique. Les principes d’un réel développement durable et le bien commun exigent que l’on ne sacrifie pas inutilement de tels joyaux de la nature.


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