Le silence suspect de Mulcair

2012/05/28 | Par Robin Philpot

Auteur de Le référendum volé (Les Intouchables, 2005)

Voici un soi-disant social-démocrate qui était censé brasser la cage au Canada en faveur du peuple. Mais devant le « plus important mouvement de protestation  sur le continent » – les mots sont de Michael Moore – M. Thomas Mulcair demeure coi.

Il préfère le silence, se cachant derrière le mantra du « fédéralisme », à chacun ses compétences. Et, semble-t-il, il impose le même silence à ses députés québécois, dont très peu prennent position.

Son silence est une caution pour Jean Charest. Et ce n’est pas surprenant. Pour le comprendre, il faut remonter au milieu des années 1990.

Alors qu’on fait grand cas de sa rupture avec le premier ministre 2006, on parle beaucoup moins des nombreuses années où ils marchaient main dans la main, y compris pendant la grève étudiante de 2005.

Ça a commencé pendant la campagne référendaire de 1995, tous les deux étaient des porte-parole pour le NON, Jean Charest comme chef du Parti conservateur du Canada et député fédéral de Sherbrooke, Thomas Mulcair, député libéral à de Chomedey à l’Assemblée nationale du Québec.

C’était d’ailleurs à ce moment-là que Jean Charest a vraiment gagné ses galons aux yeux de ceux à qui il est redevable aujourd’hui. On s’étonne parfois que Charest n’ait pas daigné rencontrer les leaders étudiants une seule fois depuis le début de la grève, mais on ne devrait pas d’en étonner, car il n’a jamais voulu rien savoir du peuple québécois.

Les seuls qui comptent pour lui sont les Paul Desmarais et Laurent Beaudoin de ce monde. Et, à ce sujet aussi, Thomas Mulcair demeure silencieux.

Rappelons ce fameux rassemblement à la Place des Arts de 2500 d’hommes d’affaires pour le NON à quelques semaines du référendum de 1995. Les Desmarais et Beaudoin étaient à l’avant-plan. La tension au Québec était à son comble, le OUI montait dans les sondages. Laurent Beaudoin, pdg de Bombardier, qui avait envoyé une lettre incitant les employés de Bombardier à voter NON parce que le Québec était « trop petit » pour une entreprise comme la sienne, était la cible d’attaques nourries des partisans du OUI. Jean Charest s’amène sur la scène et, dans un discours fignolé pour gagner les cœurs de ses futurs patrons, il a déclaré aux applaudissements nourris et non sans un trémolo dans sa voix : « Moi, je suis fier de Laurent Beaudoin. Lève-toi Laurent! » (Le trémolo venait sûrement du fait qu’il montrait à tous qu’il tutoyait le grand Beaudoin).

Est-ce que Thomas « le Ché » Mulcair s’est opposé à l’obséquieux Charest pour dire, que son NON n’était pas de la même sorte. Non, silence radio.

Grâce à cette performance devant ceux qui ont le vrai POWER, on a réquisitionné Jean Charest à Québec, en 1998, pour sauver le Canada. Ce qui fut fait, mais seulement après avoir éjecté le chef libéral Daniel Johnson. (Daniel Johnson a été amplement récompensé pour son départ, notamment avec le contrat de 1 million $ annoncé cette semaine). Mais aussi un pont d’or qui lui aurait été offert.

Voici ce que l’éditorialiste André Pratte a écrit dans sa biographie de Charest : « Certains croient que le père du géant financier Power Corporation, Paul Desmarais, ami de la famille Johnson, aurait suivi tout cela de près. Le milieu des affaires aurait même offert à Charest un « pont d’or », lui garantissant par exemple de payer l’éducation de ses enfants. Enfin, l’ancien premier ministre du Canada, Brian Mulroney, proche à la fois de Paul Desmarais, de Daniel Johnson et de Jean Charest aurait été mêlé aux manœuvres. »

Est-ce que le Che Mulcair s’y est opposé? Est-ce qu’il a rompu avec le Parti libéral qui a recruté un conservateur hautement redevable à des grands patrons du milieu des affaires? Pas du tout? Il a accueilli Jean Charest à bras ouverts, le nouveau sauveur du Canada.

Mais il n’était pas seul. Son futur parti, le NPD, a fait pareil. Quand Charest a quitté Ottawa pour battre le méchant Parti Québécois et sauver le Canada, il a reçu une ovation de TOUS les députés de la Chambre des Communes, sauf ceux du Bloc Québécois.

NPD, Libéraux et Conservateurs ont parlé d’une seule voix. Ils avaient trouvé leur homme qui mettrait le Québec à sa place. De beaux discours des députés du NPD ont accompagné ceux du Parti Libéral au pouvoir et des Conservateurs. Et Mulcair est demeuré silencieux.

Jean Charest gagne l’élection de 2003, nomme Thomas Mulcair ministre de l’Environnement, et procède à son projet de mettre le Québec à sa place. Mulcair reste dans le conseil des ministres jusqu’en février 2006! Il demeure silencieux d’ailleurs pendant toute la crise étudiante du printemps 2005.

Ce silence de 2005 explique bien davantage son silence d’aujourd’hui qu’un quelconque dévouement un vrai fédéralisme.

Thomas Mulcair et Jean Charest, qui ont à leur actif plus d’années de bonne entente que d’années de rupture, savent qu’ils sont tous les deux sur la même équipe, celle à qui on a donné une mission de mettre le Québec à sa place, mission conçue par et pour ce rassemblement d’hommes d’affaires d’avant le référendum de 1995.

Ils savent aussi que la logique fondamentale du mouvement étudiant actuel nous mènera inévitablement à remettre en question le statut politique du Québec. Et ça, c’est inacceptable aux yeux des deux et ça les soudera toujours.


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