Au-delà de l’art, la révolution!

2012/06/01 | Par Marie-Paule Grimaldi

Pol Pelletier est effervescente alors que les jours nous rapprochent de La pérégrin chérubinique, le spectacle sur l’agonie et l’extase d’une femme en pèlerinage qu’elle monte et interprète pendant le Festival Transamériques.

Elle dit tout d’abord s’être servie du FTA comme espace pour présenter le texte mystique et exigeant de Jovette Marchessault, une auteure qui égale selon elle la trempe de Claude Gauvreau, mais qui trouve difficilement preneur chez les diffuseurs.

Or, devant la tournure des événements du printemps québécois, elle décide de se détacher complètement de l’art et de ses institutions. Pol Pelletier ne veut plus être une artiste, elle veut être une révolutionnaire.

Ainsi, après chaque représentation de La pérégrin chérubinique, court solo d’environ 1h15, elle offrira gratuitement, pour ceux du public qui voudront bien entrer dans l’improbable, une de ses créations ou une rencontre avec un héros québécois toujours vivant ou une autre surprise, en assumant elle-même, avec de l’aide bénévole, les aléas de la production, sans le soutien du FTA.

Le Festival a tout de même diffusé son message lancé lors du 5 à 7 pré-FTA. « Nous n’avons pas besoin d’artistes, nous avons besoin d’héroïsme », également un appel aux critères de vérité et de générosité dans l’acte artistique.

Pour accompagner le mouvement des étudiants et que la révolution naissante ne s’arrête pas, pour sortir de l’indifférence et l’égoïsme, pour que l’art soit beaucoup plus qu’un divertissement endormant sur le murmure du conformisme ambiant, il est temps, selon Pol Pelletier, de poser des gestes honnêtes, de faire des choix, d’agir.

De retour de Val-Morin, où elle présentait le 26 mai Une Contrée sauvage appelée Courage au Théâtre du Marais, elle évoque le Che, le maquis, le désir d’établir son enseignement, sa Méthode Dojo, à l’extérieur de Montréal.

« L’art est l’expression la plus haute de la vie, le vrai art fait agir. Agir peut être de passer une semaine en silence après une œuvre, à revoir ta vie, à penser à ta mort, à te demander Qui suis-je? À quoi je sers? Pourquoi je vis? L’art t’oblige à te poser les questions les plus fondamentales, parce que l’impact est trop fort. Ça ne fait plus ça depuis longtemps. Ça fait le contraire, ça t’endort et ça t’encourage à continuer à consommer. Maintenant, on va au théâtre parce que ça donne bonne conscience, l’acte est pourri de l’intérieur.»

Elle souhaite ouvrir une école, ouverte au grand public, pour artistes révolutionnaires. « Comment faire un art qui, lorsque les gens en sortent, veulent changer. Qu’ils disent On veut faire quelque chose. Et c’est ce que j’entends dans mon peuple en ce moment. On veut faire quelque chose. Le vrai art ne fait pas l’idolâtrie de la personne, ça te renvoie à toi, parce que quelque chose à été réveillé. Et ça c’est le sacré, et le sacré est la vie. Tu n’as pas le droit de briser, assassiner, salir le sacré. Un vrai art, par le sacré, crée une faille dans ton monde. »

« Dans mon temps, le mot marketing n’existait pas. Parce que la ferveur que l’on sent aujourd’hui avec les jeunes dans la rue était présente partout dans les années 70. Les gens cherchaient un sens. Cette ferveur revient, je l’ai vu à l’événement Nous?, et ce n’est pas les artistes qui étaient les plus intéressants, mais les autres, syndicalistes, philosophes, militants. »

Face aux événements sociaux, elle souhaite faire quelque chose en accord avec elle. « Comme Che Guevara qui se demande ce qui est le plus important. Et pour lui, le plus important, c’est que les peuples d’Amérique Latine cessent de souffrir. Mes moyens sont des moyens d’artiste. Tout ce que je fais, c’est que pour le monde change. »

« Je ne demande rien à personne, je donne tout, ce que moi je peux, et la seule chose que j’aime c’est la vérité », poursuit-elle. C’est là qu’elle se situe et c’est là qu’elle espère que le public la rejoindra.

« Quand l’espace de ta vérité à toi s’ouvre, c’est toujours imprévisible, c’est toujours un miracle, ça ne ressemble à rien d’autre. Dans cet espace de vérité, on n’imite plus, on touche à l’indéniable, et c’est ce qui est beau. J’enseigne à se mettre en état de présence. C’est très difficile de rester là, à cause de la peur du jugement et de notre conditionnement. J’enseigne l’état, pas la recette. »

Elle compare l’auteure Jovette Marchessault à Gauvreau, un de ses héros. « Gauvreau a inventé une langue, il est un immense visionnaire. Il est la quintessence de notre originalité. Je crois qu’on est un peuple très étrange qui pourrait porter une révolution mondiale. Une révolution fondée sur le féminin, l’invention, le chaotique. Le texte de Jovette Marchessault a cette grandeur. »

Mais entre les aspects mystiques et féministes de son œuvre, ainsi qu’une langue difficile, celle-ci ne trouve plus preneur dans les théâtres, ce qui n’en fait pas moins, au contraire, une nécessité de la faire entendre pour Pol Pelletier, surtout alors que l’auteure est encore vivante.

« Moi je ne crois pas en Dieu, c’est l’univers de Jovette. Mais ce qu’elle dit sur notre monde est important. Et elle présente des figures de saints, qui ne sont ni égoïstes ni indifférents. Elle en parle comme des brûlants. Ils étaient prêts à donner leur vie parce qu’ils croyaient en quelque chose. Et c’est ma question aujourd’hui, qui croit en quelque chose? »

C’est donc l’ardeur qui l’interpelle dans La pérégrin chérubinique. Les saints sont aussi des héros à ses yeux, bien qu’elle ne s’associe en rien avec un message judéo-chrétien. « Je ne suis pas une personne morale. C’est une question de choix, et d’être honnête. »

Mais elle dit qu’on ne peut pas grandir sans faire des deuils, ce que la conscience grandissante et l’état de présence vont entraîner. « C’est dur. Mais dès qu’on a ouvert la porte, on ne retourne jamais en arrière. On stagne parfois, mais c’est ainsi qu’on arrive à inventer sa vie, et une vie inventée est la seule digne d’être vécue. »

Elle sait que, face à un milieu artistique qu’elle considère au service du pouvoir, elle utilise des mots forts et des stratégies pour susciter une réaction. Donc, si l’art est basé sur l’argent, elle choisit de faire des cadeaux, dans une mesure raisonnable toutefois, pour quatre soirs, au FTA.

Jean-Jacques Lemêtre, collaborateur d’Anna Mnouchkine qui signe la musique de La pérégrin chérubinique, l’a encouragé a présenté ses œuvres gratuites et lui a offert de l’accompagner bénévolement.

S’il demeure important qu’un artiste se respecte et respecte son travail, cette foi, cette générosité, cet amour permet de repenser la production artistique comme un acte révolutionnaire. Elle sera seule pour tout organiser, ce qui lui apparaît objectivement impossible.

« Mais le véritable rôle de l’artiste est d’entrer en relation avec l’inconscient collectif de son peuple, d’avoir ce courage d’abord. En ce moment, la souffrance collective qui a été étouffée par le confort est ce qu’on entend dans les rues. La partie de souffrance personnelle que j’ai brûlée me donne de la place, de l’énergie, et la souffrance collective, je la sens, et c’est pour ça que je pose ce geste. »

Et l’ardeur, la ferveur, l’enthousiasme joyeux d’illuminer Pol Pelletier.

La pérégrin chérubinique suivi d’une surprise, du 6 au 9 juin, Église Sainte-Brigide, 1151 rue Alexandre-de-Sève, dans le cadre du Festival Transamériques

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