Pourquoi je souhaite du mal au Grand Prix de Montréal

2012/06/04 | Par Guillaume Vaillancourt

Comme bien des manifestants en ce magnifique printemps, je souhaite que les perturbations sociales se prolongent et s'accentuent, afin de faire tomber ce gouvernement, voire ce système. Rêver est encore autorisé, et si vous préférez la paix sociale et la recherche de consensus à la situation actuelle, vous en avez le droit, ce n'est pas l'objet de ce texte.

Non, je veux plutôt vous expliquer pourquoi je souhaite que le Grand Prix de Montréal soit un échec monumental, voire même qu'il soit annulé, alors que je ne souhaiterais pas la même chose au Festival de Jazz ou au Congrès des collectionneurs de Lego brésiliens, lesquels sont comme chacun le sait « tellement importants pour l'économie de Montréal ».


Le défi de notre siècle

Chaque siècle a son défi moral principal. Au 19e siècle, l'esclavage. Au 20e, le nazisme. Au 21e, les changements climatiques. Selon le scénario « réaliste », nous savons qu'il y aura quelques centaines de millions de réfugiés climatiques d'ici quelques décennies. En plus de légers inconvénients locaux, comme l'augmentation de la pluie hivernale, des inondations, de la canicule, etc. Un scénario pessimiste pourrait être bien pire, mais les scientifiques n'osent pas trop en préciser les détails. Bref, pour résumer, le camp de la mort doit être combattu.

Et le camp de la mort, c'est qui? Pour l'essentiel, la mort du 21e siècle est dans l'usage d'énergies sales. C'est la raison pour laquelle vous voyez des écolos combattre les industries pétrolières, en particulier le pétrole produit grâce aux sables bitumineux, ou les centrales de charbon. Ce camp de la mort, il est largement canadien, puisque notre pays (pour l'instant) est l'un des trois pires au ratio des émissions de GES par habitant. Combattre le Canada, c'est donc rendre service à l'humanité, et cela inclut le Québec.

Il est de plus en plus habituel de voir des gens militer contre la production de ces énergies sales. Tant mieux! Sauf que... tant qu'il y aura de la demande pour l'énergie sale, l'industrie s'arrangera pour en offrir. En creusant de plus en plus creux, en développant de nouvelles méthodes, en allant forer sur l'île d'Anticosti ou dans le grand nord.


Combattre la demande d'énergie sale

À mon avis, il faut donc combattre la demande d'énergie sale. Et cette demande, elle se retrouve grosso modo à 50% dans le secteur des transports. Et alors qu'on observe certains progrès dans l'industrie et l'efficacité énergétique des bâtiments, le secteur des transport augmente chaque année son niveau de pollution. Bref, l'automobile est le fléau principal du 21e siècle.

Il y a bien sûr une foule de mesures « concrètes » qu'il faut promouvoir : développement du transport en commun, taxation la plus élevée possible de l'essence, limitation la plus grande possible des espaces de stationnement, limitation de l'étalement urbain, etc.

Tout ce qui peut contribuer à rendre la conduite automobile plus coûteuse et moins agréable doit être encouragé. Évidemment, des citoyens de la classe moyenne en seront affectés, mais entre la qualité de vie d'un Québécois de la classe moyenne et la vie de quelques dizaines d'Africains ou d'Asiatiques, le choix me semble évident.


Le Grand Prix, gigantesque publicité d'un mode de vie qu'il faut combattre

Des mesures concrètes pour diminuer le plaisir de conduire et augmenter le coût de l'automobile, donc. Mais aussi combattre la propagande automobile.

Depuis environ un siècle, l'automobile est associée à la liberté, la réussite, la virilité, au sex-appeal, etc. Moi aussi, j'ai été fier de ma première auto (je n'en ai plus). Ouvrez votre télé et essayez d'imaginer l'ampleur des sommes qu'on dépense pour vous convaincre de l'intelligence de dépenser 4000$ ou plus par année pour vous acheter un engin qui vous déplacera du point A au point B avec une efficacité fort relative... (Vous n'êtes pas pris dans le trafic, vous êtes le trafic!).

Il n'y a aucune bonne raison d'être « fier de son auto », pourtant les gens la montrent encore quasi-amoureusement à leurs amis. C'est un conditionnement psychologique aussi débile que nuisible.

Le Grand Prix, c'est la plus odieuse de ces publicités. Le cirque technologique est en ville, accompagné du jet set et des mêmes « pitounes de char » que l'on voit dans les publicités. Ce cirque se prétend « carboneutre » : c'est absolument faux, quand l'on tient compte de l'impact de ce spectacle sur des millions d'adolescents et de jeunes adultes Combien auront hâte d'avoir leur auto? Combien souhaiteront avoir une auto « performante »? Combien penseront que le passage à l'âge adulte doit s'accompagner de l'achat d'un tas de tôle ou de plastique?

Ce cirque est odieux. Autant que la propagande nazie des années 1930, autant qu'un éditorial esclavagiste d'un journal du 19e siècle.

Alors oui, je manifesterai contre le Grand Prix.

Oui, j'essaierai de gâcher le plaisir des touristes qui déambuleront sur Crescent.

Oui, j'espère que nous aurons fait peur à suffisamment de touristes pour que le cirque de Bernie perde un peu d'argent.

Oui, j'espère que la « diversité des tactiques » permettra même de forcer l'annulation de l'événement.

« Oui mais les emplois? ». Je sais. Je ne souhaite à personne d'être au chômage. Mais il faut savoir choisir ses priorités, et pour moi, réussir à ce qu'il n'y ait « que » quelques centaines de millions de réfugiés climatiques est pas mal plus important qu'une hypothétique hausse de 0,1 ou 0,2% du taux de chômage québécois. Nous n'habitons pas un pays très pauvre et à la pollution limitée, ce qui justifierait de laisser les autres faire le travail, mais bien au contraire un pays riche et pollueur.

On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs.

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