Conflit étudiant : Et le fédéral dans tout ça ?

2012/06/06 | Par Maxime Laporte, LL. B.

L’auteur est finissant de l’École du Barreau, étudiant à la maîtrise en science politique et coordonnateur du réseau Cap sur l’indépendance

En ce « printemps québécois », le combat des étudiants et d’une bonne partie de la population pour l’accessibilité à l’éducation a surtout été dirigé contre le gouvernement du Québec et Jean Charest.

Mais on tend à oublier presque totalement l’incidence des leviers politiques fédéraux sur l’émergence de cette crise étudiante, devenue crise sociale. Que les Mulcair, Ray et Harper soient demeurés muets comme des carpes sur le sujet n’est sans doute pas un hasard : les politiciens fédéralistes n’ont pas intérêt à ce que ce conflit déborde l’enclos provincial ni l’axe gauche-droite.


Dépenses fédérales

Chaque année, les contribuables québécois, après avoir rempli leurs deux déclarations d’impôts, - petite opération administrative qui à elle seule coûte 800 millions de dollars en trop par année -, transfèrent plus de 50 milliards de dollars au gouvernement d’Ottawa, lequel les répartit en finançant des programmes et des institutions selon ses propres priorités.

Les sommes investies par Ottawa pour l’achat d’un seul appareil F-35, soit 462 millions, suffiraient pourtant en bonne partie pour financer le réinvestissement en éducation postsecondaire. Et c’est sans parler des 490 milliards de dollars qu’investira le Canada dans le domaine militaire pour les deux prochaines décennies…

En tant que province, le Québec ne peut rien faire par rapport aux 800 millions de dollars par année qu’Ottawa ne transfère plus à Québec pour le financement des cégeps et universités depuis les années 90.

En vertu de son fameux « pouvoir fédéral de dépenser », le gouvernement canadien intervient d’une multitude de façons en matière d’éducation postsecondaire, un champ de compétence du Québec, que ce soit par le biais de la Fondation canadienne pour l’innovation, des Chaires de recherche du Canada ou autrement.

Les politiques fédérales de soutien à la recherche scientifique favorisent systématiquement l’Ontario. Sur les 58 milliards investis par Ottawa de 1993 à 2007, 29 milliards, soit près de 60%, l’ont été en Ontario. Les Québécois ont fourni 12 milliards, mais n’ont reçu que neuf milliards $.


Sur le plan des centres de recherche, 27 centres ont été créés du côté ontarien contre… zéro dans l’Outaouais québécois ! Signalons au passage qu’Ottawa a récemment aboli son soutien à la recherche fondamentale et baissé le crédit d’impôt pour la recherche et le développement, afin de mieux servir les entreprises privées.


Surfinancement des universités anglophones

Au Québec, les universités anglophones, dont les étudiants se mobilisent nettement moins que ceux des autres universités, récoltent 72 des 302 chaires de recherche du Canada, ce qui représente près de 24% du total. Quant à la Fondation canadienne pour l’innovation, l’université McGill obtient à elle seule plus de 36,95% du financement.

Les établissements anglophones de niveau universitaire au Québec reçoivent 35,8% de l’ensemble des subventions fédérales, soit près de 4,4 fois le poids démographique de la population de langue maternelle anglaise.

Le sous-financement des universités francophones au Québec figure certainement parmi les causes de l’écart entre le taux de diplomation universitaire des jeunes francophones (22,5%) et celui des jeunes anglophones (32,3%).

Au Québec, si les institutions francophones étaient équitablement financées en proportion de la population francophone, celles-ci recevraient au bas mot 500 millions de dollars de plus par année.


Canadianisation du modèle québécois

En 2012, le fossé entre Québécois et Canadiens anglais sur les questions sociales semble toujours se creuser, notamment depuis la dernière élection du gouvernement conservateur, alors que les attaques à l’égard du modèle québécois et de la culture politique québécoise en général fusent dans la presse anglophone.

Récemment, Barbara Kay du National Post affirmait que contrairement aux francophones, qui sont des « lunatiques » (bubble-dwelling) et qui se rassemblent en foules « stupides » (mindless) pour manifester, les anglophones du Canada étaient, eux, « réalistes » sur cette question.

Si le Québec était indépendant, il pourrait éviter la canadianisation de son modèle d’éducation et cesser d’être systématiquement comparé aux « autres » provinces canadiennes en matière de droits de scolarité.

Il pourrait plutôt se mesurer aux pays qui ont fait le choix de garantir à leurs citoyens une accessibilité universelle à l’éducation.

Cela nous rappelle que le cheminement vers la gratuité scolaire fait partie des engagements ratifiés par le Canada dans le cadre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, engagements que seul le Québec, parmi toutes les provinces canadiennes, paraît susceptible d’honorer à terme, - à condition que nous continuions de manifester et d’avoir foi en notre avenir national.

L’indépendance constitue la seule solution concrète et réalisable qui permettra au Peuple du Québec de décider lui-même de l’ensemble de ses politiques en matière d’éducation tout en accédant à la maîtrise de son destin.

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