Foglia ou Fouglia ?

2012/06/12 | Par Robin Philpot

Robin Philpot est l’auteur de Derrière l’État Desmarais : Power (Les Intouchables, 2008)

Bon, Foglia fait l’éloge de ses patrons, les Desmarais, et il nous tape dessus tous. Et parce qu’il est « indépendantiste de gauche », nous devons tous nous taire et arrêter de critiquer ses patrons, son journal, ses collègues, ses journaux, les politiciens qui rampent devant les milliards des Desmarais, les hommes d’affaires qui rampent, les universités et autres HEC qui rampent. Monsieur Desmarais paie un avocat parce qu’il est ému d’une chronique de son Foglia, il s’intéresse à la culture, aux livres. Taisons-nous donc. Foglia l’a dit. Nous le faisons chier et il est « indépendantiste de gauche ».

S’il fallait se fier à Foglia, les Desmarais ont mis la main sur une bonne partie de la presse écrite, et cybernétique, au Québec, seulement parce qu’ils voulaient que les Québécois soient bien informés, que leur journal soit comme « notre journal ».

Foglia ne s’embarrasse jamais trop des faits ni des déclarations des Desmarais eux-mêmes, le père en premier. En 2008, Paul Desmarais père a accordé une entrevue au magazine français Le Point. Nous avons mis la main sur la version de l’entrevue avant que celle-ci ne soit caviardée par les commissaires à l’information de Power. Les questions portaient sur sa présence dans les médias.

Le Point : À défaut de faire de la politique vous êtes un patron de presse…

Paul Desmarais : Tous les journaux du Québec […] sont séparatistes.

Le Point : Vous n’avez qu’à racheter d’autres journaux, vous avez les moyens…

Paul Desmarais : On ne peut pas. Ils sont souvent possédés par des fondations derrière lesquelles se cachent des nationalistes et des syndicalistes.

C’était en 2008. En bref, il voudrait influencer la politique davantage par ses journaux, mais, selon lui, il ne peut pas en acheter d’autres.

Quarante ans plus tôt, en 1971-1972, il disait sensiblement la même chose. C’était pendant la fameuse grève du journal. Paul Desmarais a accordé une longue entrevue à The Gazette. Il a toujours préféré sévir dans les médias anglais, car selon lui, les journalistes de langue française étaient « trop émotifs ». Voici comment il a expliqué le rôle qu’il voulait donner à son empire médiatique le 10 décembre 1971.

PAUL DESMARAIS : [La Presse] n’avait même pas de ligne fédéraliste quand j’ai pris le contrôle.

THE GAZETTE : Est-ce que cela veut dire qu’il devrait y en avoir une ?

PAUL DESMARAIS : Oui, j’ai senti que, sans contrôle de la politique éditoriale, le journal pouvait facilement se conformer aux caprices de celui qui était là, qu’il y avait un groupe qui pouvait prendre le contrôle du point de vue de l’information.

THE GAZETTE : Vous voulez dire les séparatistes ?

PAUL DESMARAIS : Oui. Mais pas seulement les séparatistes. Il y a beaucoup de violence au Québec. Tout est en ébullition… Le congrès de la FTQ cette semaine en est la preuve…

THE GAZETTE : […] Pensez-vous qu’il s’agit d’une révolution sociale au lieu d’une révolution linguistique ?

PAUL DESMARAIS : Je pense que la langue en fait partie, mais je pense que le but final, c’est la révolution sociale.

Notons que dans l’entrevue du Point de 2008, Paul Desmarais a terminé la partie sur l’empire médiatique comme suit : « C’est mon fils André qui est chargé de La Presse. Notre position est connue : nous sommes fédéralistes. Ça nous a valu des conflits très durs. Au final, on est arrivé à un compromis : je ne dois pas intervenir dans le journal. Le point de vue des séparatistes peut apparaître, mais la ligne éditoriale est fédéraliste. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Si le Québec se sépare ce sera sa fin. Les séparatistes nous conduisent à la dictature des syndicats… » (La dernière phrase a été caviardée par Power).

***

Revenons à Pierre Foglia. Parce qu’il est un « indépendantiste de gauche » et que jamais les Desmarais ne lui ont rien dit, nous devons arrêter de chialer contre ses patrons, contre son journal et contre l’influence disproportionnée de Power Corporation sur la politique et le paysage médiatique du Québec. Mais depuis que Paul Desmarais père a mis la main sur La Presse en 1967, ce qui a nécessité une loi spéciale de l’Assemblée nationale du Québec (appelée Assemblée législative à l’époque), il a toujours voulu renforcer sa mainmise sur les médias québécois. Il ne s’en cachait pas et il ne cachait pas ses raisons non plus.

En 1973, il a voulu acheter Le Soleil de Québec. Son ami Robert Bourassa a refusé, menaçant même d’adopter une loi spéciale pour l’en empêcher. Robert Bourassa craignait la concentration de la presse au Québec. Pas Foglia.

De nouveau, il a voulu l’acheter en 1987 et de nouveau Robert Bourassa lui a dit NON. En fait, Paul Desmarais a dû attendre jusqu’à l’an 2000 pour mettre la main sur Le Soleil (et le Quotidien de Chicoutimi et Le Droit). C’est alors sous la gouverne du premier ministre Lucien Bouchard que Desmarais a réussi son coup. Pour expliquer son aplatventrisme, le gouvernement de Lucien Bouchard (par la bouche de Bernard Landry qu’il a envoyé au front) a fait le commentaire suivant : il fallait se fier à « l’éthique capitaliste ». Et d’aucuns se demandent pourquoi Lucien Bouchard est aujourd’hui toujours à la traîne des Desmarais, à Sagard et ailleurs. Drôle de coïncidence aussi : Foglia est surtout fier de son journal depuis les 10 dernières années, soit depuis que ses patrons ont pris le contrôle aussi du Soleil, du Quotidien et du Droit.

S’il fallait croire Pierre Foglia, cet intérêt des Desmarais pour les médias québécois surgit de leur seul souci de faire comme si leur journal (on devrait dire leurs journaux), sont « nos journaux ». Oui Virginie, le Père Noël existe ! Et s’il y avait une autre interprétation que celle de Foglia ?

Mettons celle-ci.

Le Québec demeure la base arrière des Desmarais, pour ne pas dire leur basse cour. Après tout, depuis 1989, quand Power a vendu la Consolidated Bathurst et le Montreal Trust, empochant plus de 2 milliards $, les Desmarais n’ont investi à peu près rien au Québec, sauf dans leurs riches demeures et quelques journaux.

Pour poursuivre leur quête de richesse et de pouvoir de par le monde, ils ont besoin d’un Québec base arrière calme et bien dans le rang. Ils ont besoin d’un pouvoir politique qui mange dans leurs mains. D’où le parachutage de Jean Charest, conservateur, à la tête du Parti libéral du Québec et sa présence à tous les festins à Sagard ou à l’Élysée (avant la défaite de Sarkozy).

Ils ont besoin d’une simili culture, plutôt folklorique, qu’ils peuvent montrer aux VIP internationaux qu’ils reçoivent dans leurs divers châteaux, cette fameuse « joie de vivre canadienne française ».

Et ils ont besoin d’une base arrière qui se conforme dans l’allégresse à leurs exigences économiques et financières et à celles des autres du 1% qui président à l’effondrement économique des 99%. D’où l’acharnement éditorial des médias des Desmarais contre la grève étudiante.

Pour garder cette base arrière calme et dans le rang, ça prend des médias, comme La Presse et Le Soleil, même si ces médias ne sont pas rentables, du moins pas autant que les investissements dans les sables bitumineux ou les gaz de schiste.

Et ça prend des figurants, même des « indépendantistes de gauche », même si c’est seulement pour l’apparence.

Bref, ça prend des fous du roi comme Pierre Foglia. Ou devrait-on écrire Fouglia ?

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