L’Argentine reprend son entreprise pétrolière

2012/06/12 | Par André Maltais

Le 16 avril, la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez, annonçait la prise de contrôle par l’État de l’entreprise pétrolière, Yacimientos petroliferos fiscales (YPF), privatisée, en 1999, par l’ex-président néolibéral Carlos Menem.

Le gouvernement argentin exproprie 51% des actions d’YPF, toutes appartenant à la transnationale Repsol dont, déclare la présidente, « le modèle d’affaires ne coïncide pas avec les besoins énergétiques du pays. »

Le 4 mai, le Sénat et la Chambre des députés argentins adoptaient à une très forte majorité la loi qui encadre cet achat forcé et qui déclare d’intérêt public l’auto-approvisionnement du pays en pétrole et en gaz, incluant leur production, exploration, industrialisation, transport et commercialisation.

Par son intervention, le gouvernement argentin veut renverser une baisse constante de la production nationale d’énergie (20% depuis 2004) alors même que l’économie a cru de 96% au cours des huit dernières années.

En 2011, cette situation a forcé l’Argentine à importer pour 9,4 milliards de dollars d’énergie, presque le double du montant de l’année précédente, affectant grandement la balance commerciale du pays. Celle-ci ne peut se permettre d’être négative puisque, conséquence du défaut de paiement de 2001, l’Argentine peut très difficilement emprunter sur les marchés financiers internationaux.

Repsol, jusqu’à maintenant détentrice de la majorité (57%) des actions d’YPF, est accusée par l’État argentin d’avoir préféré expatrier ses profits, notamment pour s’étendre en Afrique, plutôt que d’investir dans l’exploration et le développement de nouveaux gisements en Argentine.

La transnationale aurait distribué jusqu’à 90% de ses gains à ses actionnaires pendant que sa production d’énergie en Argentine chutait d’environ 70% pendant les treize ans de la privatisation d’YPF. Avec pour conséquence, écrit l’économiste argentin, Claudio Katz, que Repsol a beaucoup contribué à épuiser les installations existantes et les réserves de brut argentin de même qu’à gonfler les prix de l’énergie sur le marché interne.

L’attitude de Repsol, poursuit Katz, n’a pourtant irrité aucun des nombreux critiques néolibéraux contre le gouvernement argentin qui reprochent à ce dernier une violation de la sécurité juridique des investisseurs internationaux en oubliant que le non respect des contrats par Repsol est aussi une violation de l’ordre juridique.

Le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy et, plus étonnant, son opposition socialiste, ont parti le bal, faisant semblant de croire que la mesure argentine ciblait l’Espagne et les espagnols. Pourtant Repsol est une entreprise privée qui n’est plus espagnole qu’à 48% et qui ne déclare que 25% de ses revenus au fisc de ce pays.

Tant l’Espagne que l’Union européenne menace maintenant l’Argentine de représailles économiques tandis que la presse économique internationale se déchaîne, traitant Cristina Fernandez de voleuse et proposant d’exclure son pays du G-20. Tout ça pour une nouvelle loi argentine bien tardive et plus que timide.

L’intervention argentine survient, en effet, après une décennie de complicité et de négligence des gouvernements envers YPF. L’État argentin, analyse le collectif culturel argentin Plataforma 2012, a en quelque sorte favorisé le sous-investissement de Repsol et d’YPF en leur permettant de liquider des devises à l’étranger, d’exporter des hydrocarbures au détriment de l’auto-approvisionnement et de payer des rétentions à l’exportation bien ténues en comparaison du drainage souffert par le pays.

En 2007, dans une tentative pour « argentiniser » YPF, l’État argentin favorise l’acquisition par le Groupe Petersen, propriété d’une famille proche des Kirchner, les Eskenazi, de 25,46% des parts de l’entreprise, sans que les nouveaux propriétaires ne déboursent un seul sou. Petersen est alors autorisé à payer ses actions à même sa part des profits, ce qui n’aidera en rien la cause du réinvestissement.

De plus, tant Plataforma 2012 que Claudio Katz tiennent à rappeler que l’intervention gouvernementale est incomplète. Elle ne touche finalement que 15% de l’activité pétrolière argentine puisque les activités d’YPF ne représentent que 30% de celle-ci.

Sans compter qu’en demeurant une société mixte, YPF garde une forte présence du capital privé en son sein, ce qui exigera d’opérer selon des critères de rentabilité immédiate contraires à la priorité à l’investissement visée par la loi.

Plus encore, en laissant en poste les fonctionnaires qui ont avalisé toutes les décisions de Repsol et de la famille Eskenazi, la loi place la reconstruction d’YPF entre les mains de ceux-là même qui ont participé à sa destruction.

Elle maintient également un pouvoir discrétionnaire des dix provinces pétrolières du pays dans la gestion d’une ressource qui appartient pourtant à toute la nation.

La nouvelle loi prévoit aussi d’indemniser Repsol (qui réclame un hallucinant montant de 10,5 milliards de dollars!) sans mentionner les dommages causés par la transnationale aux infrastructures et à l’environnement du pays. Un audit sérieux, affirme Plataforma 2012, montrerait que Repsol devrait plutôt indemniser l’Argentine.

Enfin, la loi perpétue le modèle extractiviste, largement adopté par les gouvernements de gauche latino-américains, consistant à financer les politiques sociales par une exportation massive de ressources naturelles non-renouvelables comme les hydrocarbures et le minerai. En plus d’affecter gravement l’environnement, ce modèle maintient l’Amérique latine dans la dépendance du prix des matières premières.

La mesure argentine promet même d’accentuer ce modèle alors qu’elle reproche à Repsol un manque de production et envisage d’exploiter un méga-gisement de gaz de schiste récemment découvert à Vaca Muerta, dans la province de Neuquen.

Bien sûr, pas plus les États-Unis que l’Union européenne, le FMI ou la Banque mondiale, ne craignent une si timide nationalisation. Sauf qu’elle leur offre un prétexte idéal pour s’acharner contre l’Argentine à qui on ne pardonne toujours pas d’avoir suspendu des paiements sur sa dette de près de 100 milliards de dollars en 2001.

Ainsi, le 26 mars, le Département du commerce états-unien suspendait l’Argentine de son système généralisé de préférences douanières au motif que Buenos Aires refuse de payer plus de 300 millions $ à deux entreprises états-uniennes ayant porté plainte devant le Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un très controversé tribunal d’arbitrage de la Banque mondiale.

Déjà, nous apprend Stéphanie Jacquemont, de la section belge du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM), 49 plaintes ont été déposées contre l’Argentine au CIRDI, et il serait temps que ce pays imite le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur qui ont tout simplement déserté l’institution alors qu’un pays comme le Brésil a toujours refusé d’en faire partie.

De plus, une délégation de lobbyistes représentant des détenteurs d’obligations argentines en défaut, l’American Task Force Argentina (ATFA), mène une campagne internationale très visible allant jusqu’à perturber tous les forums et événements où se trouvent les représentants du gouvernement argentin.

L’ATFA, qui dit chercher « une solution juste au défaut sur la dette argentine », vise, entre autres choses, à saisir les avoirs argentins dans des pays tiers dont la Grande-Bretagne, déjà en conflit avec l’Argentine sur la question des Malouines.

Toutes ces pressions et intimidations pleuvent sur l’Argentine depuis déjà quelques mois. Leur but est de montrer aux pays européens victimes de l’éclatement de la bulle immobilière de 2008, comme la Grèce, le Portugal, l’Italie et l’Espagne, ce qu’il en coûte de ne pas payer ses créanciers occidentaux jusqu’à la dernière cenne.


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