Discrimination à l’égard des enfants autochtones sur réserves

2012/08/09 | Par Anne Thibault

Tous les rapports sur les conditions socio-économiques des autochtones au Canada sont unanimes, leurs conditions de vie sont déplorables : pauvreté, suicide, violence, insalubrité.  En 2006, Statistique Canada rappelait que les enfants autochtones sont plus nombreux à vivre dans des conditions de pauvreté, de malnutrition et de violence que le reste de la population.

Pourtant, en 2009, un rapport du Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes révélait que le financement fédéral des programmes de protection à l’enfance pour les Premières Nations vivant dans les réserves était 22% moins élevé que celui octroyé par les provinces pour le reste de la population.  L’écart entre le programme fédéral pour les autochtones sur réserve et les programmes offerts à tous les autres citoyens est-il discriminatoire ?



Plainte contre le gouvernement fédéral

En 2009, une plainte déposée à la Commission canadienne des droits de la personne alléguait que le calcul du financement du programme de protection des enfants autochtones, comptabilisé selon le nombre d’enfants sur un territoire autochtone, avait un impact discriminatoire envers cette population.

En fait, puisqu’il y a un manque de ressources en matière de protection à l’enfance dans les réserves, lorsqu’il y a de la violence familiale, les enfants sont envoyés en famille d’accueil à l’extérieur.  Le taux élevé de placement en famille d’accueil chez les enfants autochtones a comme effet de réduire le nombre d’enfants sur les réserves et par le fait même de diminuer le financement accordé en matière de protection à l’enfance. 

Selon l’ancienne directrice du programme, Mme Cindy Blackstock, il y a autant d’enfants autochtones en famille d’accueil aujourd’hui qu’il y avait d’enfants autochtones dans les pensionnats, ces anciennes institutions créées par la Loi sur les Indiens en 1920 pour assimiler les enfants autochtones.  Ces institutions dans lesquels on leur interdisait notamment de parler leur langue et de pratiquer leur religion ont été fermées à partir des années 70 en raison des abus et de la négation de leur culture.

Aujourd’hui, l’envoi des enfants à l’extérieur de la communauté leur fait perde leurs liens d’attachement familial et culturel dès l’enfance.  En perdant leurs racines à un jeune âge, ces enfants, déjà très vulnérables, deviennent des adultes particulièrement instables. 

D’ailleurs, l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants de 2008 signalait le taux disproportionné d’enfants autochtones en famille d’accueil hors réserve, et l’impact alarmant de cette pratique.

À cet égard, le Comité des droits de l’enfant du Canada recommandait au gouvernement fédéral de respecter ses obligations internationales en développant des solutions alternatives pour gérer la violence familiale chez les autochtones.

Il suggérait notamment de revoir son budget en la matière, afin de prendre en considération les multiples besoins des enfants autochtones, et surtout d’éviter de les retirer complètement de leur milieu de vie.



La Cour fédéral confirme qu’il y a discrimination

En avril 2012, la Cour fédérale jugea que le sous-financement du programme fédéral était à première vue discriminatoire.  Lorsqu’un tribunal rend une décision au sujet d’une allégation de discrimination, il doit prendre en compte tous les facteurs pertinents.

Dans le cas du sous-financement du programme pour les enfants et familles autochtones sur réserves, les désavantages historiques de cette population, les stéréotypes, les préjugés, ainsi que la vulnérabilité de ses personnes dans la société sont parmi les aspects importants à prendre en considération.

Sur le plan historique par exemple, la société canadienne a le devoir de porter le fardeau de la situation actuelle des Premières Nations.  L’appropriation des terres autochtones par les européens à l’époque de la colonisation, ainsi que les tentatives d’assimilation des à la culture occidentale sont seulement quelques raisons pour lesquelles la Canada doit travailler avec les communautés autochtones afin d’améliorer leurs conditions de vie. 

On peut penser aux exemptions de taxes pour les biens achetés sur les réserves.  Cette exemption, octroyée pour pallier aux territoires concédés par les Premières Nations, ne pourrait justifier une réduction de services à une population ayant les mêmes droits à l’égalité de traitement, et ayant grandement besoins de tels services.

Un rapport d’UNICEF publié en 2009 indiquait d’ailleurs que la population autochtone avait le taux le plus élevé de suicide, de dépression, de consommation abusive d’alcool ou d’autres drogues et était surreprésentée dans le système d’aide sociale et du système de justice que la population non autochtone. 


Le gouvernement s’entête : appel de la décision de la Cour fédérale

Selon le gouvernement fédéral, les autochtones sur réserves ne peuvent être comparés aux autres citoyens. Comme on ne peut pas les comparer, il ne peut pas y avoir de traitement inégal.  En mai 2012, souhaitant éviter la possibilité de trancher la question de discrimination à l’égard du financement des programmes de soutien aux enfants et familles autochtones sur réserves, le gouvernement décida de porter appel de la décision de la Cour fédérale du Canada.   À suivre….