Le libre-échange avec l’Europe : un enjeu électoral majeur

2012/08/17 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

Les négociations du traité de libre-échange Canada-Europe seraient la principale raison de la première visite officielle de la chancelière allemande Angela Merkel au Canada. Les négociations de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union Européenne en seraient rendues à leur étape finale, à ce moment où les fonctionnaires cèdent la place aux politiciens.

Il est légitime de croire que, lors de ces discussions avec Mme Merkel, le Premier ministre Harper jette un œil inquiet sur le déroulement de la campagne électorale au Québec. Si Jean Charest est l’initiateur de cet ambitieux projet, Pauline Marois pourrait en être le fossoyeur.

Pour Stephen Harper, un échec aurait des conséquences extrêmement fâcheuses. Premièrement, à cause de l’importance de l’AECG lui-même. Deuxièmement, parce qu’il minerait la crédibilité du Canada aux yeux de ses éventuels partenaires de la zone Pacifique avec lesquels il négocie présentement un accord de libre-échange Trans-Pacifique, plus capital encore étant donné le virage de l’économie canadienne vers l’Asie.

Les négociations actuelles avec l’Europe étant tenues secrètes, il est difficile de savoir exactement quels secteurs de l’économie sont visés et lesquels sont exclus. Mais la caractéristique importante de cet éventuel accord est qu’il lierait les provinces et les municipalités, contrairement à l’ALENA. Selon plusieurs observateurs, il pourrait même servir de base à une renégociation de l’ALENA.



Pour contrer la mafia, le libre-échange?

Si le négociateur du gouvernement du Québec, Pierre-Marc Johnson, voulait se faire rassurant lors de sa présentation devant un comité de l’Assemblée nationale au mois de décembre dernier, il a complètement raté son coup.

Il a confirmé que les marché publics de l’État québécois, c’est-à-dire l’attribution de contrats par le gouvernement, les municipalités ou encore les hôpitaux et les commissions scolaires, pourraient s’ouvrir à la concurrence européenne.

Aux questions répétées du député Alexandre Cloutier du Parti Québécois, à savoir si les politiques d’achat pour favoriser l’économie locale, le développement durable ou les coopératives, seraient interdites, Pierre-Marc Johnson a répondu que l’objectif était précisément d’éliminer la « discrimination », ce qui empêche en théorie ces pratiques.

Plus tard, sur les ondes de RDI, il a confirmé que le principal intérêt des Européens était bel et bien cet accès aux marchés publics. « Nous, notre intérêt, c'est l'accès au marché de 500 millions de personnes. L'intérêt des Européens est moins les 35 millions d'habitants canadiens, c'est beaucoup plus les marchés publics. »

Pour justifier cette ouverture, Pierre-Marc Johnson et d’autres commentateurs invoquent la nécessité d’une « saine concurrence » et laissent entendre que l’accord serait « la solution » aux pratiques de collusion aux différents niveaux de gouvernement qui défraient la manchette. Autrement dit, pour lutter contre la mafia locale, on va ouvrir la porte à la mafia européenne!



Le Plan Nord et les sables bitumineux

Au mois de janvier, devant l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (CPA), Pierre-Marc Johnson a dévoilé un autre intérêt des Européens pour cet accord : l’exploitation des richesses naturelles. « Le Canada ne peut pas développer seul ses ressources naturelles», a-t-il déclaré.

On pense évidemment au Plan Nord, mais il faut également regarder du côté des sables bitumineux de l’Alberta où, par exemple, la pétrolière française Total a déjà d’importants investissements. À cet égard, il semble que les négociateurs ont incorporé à l’accord un mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État, modelé sur le controversé chapitre 11 de l’ALENA. À toutes fins pratiques, cela pourrait rendre extrêmement difficiles les poursuites pour motifs environnementaux contre une entreprise étrangère.

Cette perspective nous amène à jeter un tout autre regard sur l’AECG. Jusqu’ici les commentateurs y ont vu le volet atlantique, conçu pour les économies du Québec et de l’Ontario, d’une stratégie de diversification économique, dont l’autre volet sera l’accord de libre-échange Trans-Pacifique.

Mais il se pourrait bien que le Québec ne serve que de marchepied dans un plan dont le véritable objectif est le développement des investissements européens dans l’Ouest du pays et plus particulièrement dans les sables bitumineux.

Il faut se rappeler que Jean Charest, l’initiateur canadien du projet, Nicolas Sarkozy son initiateur européen, et Pierre-Marc Johnson, le négociateur en chef pour le Québec, sont trois proches de la famille Desmarais et que Power Corporation est un des principaux actionnaires de Total, la 4e pétrolière au monde.

Cela est à mettre en relations avec l’augmentation et l’importance des investissements de la Caisse de dépôt dans Total et les pétrolières actives dans les sables bitumineux, et les bailleurs de fonds des projets de pipeline vers le Pacifique, comme des analystes l’ont démontré.



Un enjeu électoral

Tant que les clauses de l’AECG ne seront pas rendues publiques, il sera difficile d’en mesurer tous les tenants et aboutissants. Déjà, les enjeux identifiés – ouverture des marchés public aux entreprises européennes, fin des politiques d’« achats chez nous » par les institutions publiques – auxquels s’ajoutent des dispositions inquiétantes sur les droits de propriété intellectuelle, les brevets pharmaceutiques, les quotas d’importation de viande et de fromages – font craindre le pire pour l’économie québécoise.

À mettre également dans la balance, le fait que la signature de l’entente servirait de tremplin au gouvernement canadien pour les négociations de l’accord Trans-Pacifique où « tout est sur la table », aux dires de Stephen Harper, y compris la gestion de l’offre pour les produits laitiers et la volaille, qui constitue le socle sur lequel repose l’agriculture québécoise.

Enfin, le Québec pourrait n’être qu’un pion dans un marchandage au cours duquel les véritables enjeux se situeraient dans l’Ouest du pays.

Dans ces circonstances, on comprend l’intérêt de la presse canadienne anglaise pour les élections québécoises. Il y a, bien entendu, le spectre d’un nouveau référendum. Mais on a aussi pris bonne note des inquiétudes exprimées par le Parti Québécois lors de la comparution de Pierre-Marc Johnson devant un comité de l’Assemblée nationale et on voit d’un très mauvais œil au Canada anglais la promesse de revoir le mandat de la Caisse de dépôt afin qu’elle joue un rôle plus actif dans l’économie du Québec.

Reste à espérer que les critiques de l’AECG au Québec en tireront les conclusions politiques et électorales qui s’imposent. La réélection d’un gouvernement Charest serait un blanc-seing pour le nouvel accord. Seule l’élection du Parti Québécois permettrait de rejeter carrément l’entente proposée ou d’en revoir fondamentalement les dispositions.

Avec la stagnation de l’économie américaine, la hausse de la valeur du dollar canadien, l’augmentation des tracasseries administratives américaines pour des motifs sécuritaires et protectionnistes, le Québec doit chercher de nouveaux partenaires économiques. Pour des raisons historiques et culturelles, l’Europe, qui constitue toujours le plus grand marché au monde, est un choix logique. Mais le Québec doit faire ses choix en fonction de ses propres intérêts nationaux.