La droite s’apprête à voter stratégique

2012/08/22 | Par Réjean Porlier

L’auteur est président du Syndicat des Technologues d’Hydro-Québec (SCFP-FTQ, local 957)

Il y a un moment qu’on n’avait pas vu un Jean Charest aussi déstabilisé lors de son face à face avec Pauline Marois. Pourtant, au débat des chefs, il ne s’en était pas si mal sorti alors que la chef péquiste n’avait pas fait grande impression.

D’ordinaire, la droite n’est pas du genre très patiente et puisque tout converge vers l’élection d’un gouvernement péquiste minoritaire ou même majoritaire, la panique doit être on ne peut plus palpable dans les coulisses du pouvoir ; politiciens et amis du parti tous confondus.

Dans pareille situation, il y a vraisemblablement un long doigt qui s’apprête à peser sur le bouton pour éjecter notre ami Jean. Le genre de long doigt qui d’ordinaire allonge les billets pour placer son poulain dans la course.

Jean Charest a de quoi être nerveux, car il semble que le monde des affaires et de la finance, a pris pour acquis qu’il ne traverserait pas ces élections et qu’en plus, la commission Charbonneau viendrait couper court à toute tentative de refaire surface pour un bon moment.

L’homme sait très bien ce qui se passe présentement et je ne serais pas surpris que quelqu’un de l’establishment l’en ait avisé :

« Il n’est pas question qu’on regarde le bateau couler mon Jean, les enjeux sont trop importants et les péquistes vont foutre le bordel dans nos affaires. » Une petite tape dans le dos et un petit mot de réconfort ont dû accompagner le tout.

« Tu sais bien qu’on ne laisse pas tomber nos amis, on va te trouver quelque chose de bien, tu vas voir ! »

Après tout, il y a un autre bateau qui est là tout près, qui ne peut que monter dans les sondages si une partie de l’establishment libéral y met son poids et qui sait ce qui peut arriver pour la suite des choses. Ici on ne parle pas de conviction, on parle de protection des investissements et c’est sans doute pour cela que Jean Charest semble si nerveux ; ça n’a rien à voir avec les sentiments, c’est du « business as usual ».

À vous de juger si tout cela c’est de la fiction. Moi, je fais le pari que la CAQ va prendre du galon au profit des Libéraux d’ici le jour du scrutin. Le 21 août dernier, l’avocat Jean-Paul Boily, un militant libéral de longue date était l’homme désigné pour lancer les hostilités :

« Voter libéral à la prochaine élection serait, pour moi, un gaspillage qui ne servirait qu'à diviser le vote fédéraliste au profit des indépendantistes»

Faute de mieux, l’establishment financier a décidé de tourner le dos à Jean Charest et miser sur le poulain Legault. Après tout, la CAQ parle d’attaquer de front les syndicats et faire de la récupération sur le dos des employés de l’État.

Au fait, y a-t-il quelqu’un qui a vu Charles Sirois par les temps qui courent? L’homme d’affaires, cofondateur de la CAQ ne doit pas être étranger à ce nouveau positionnement de la droite libérale.

Et nous dans tout cela, comment allons-nous réagir ? Comment nous les travailleurs réagissons-nous à cette stratégie électorale ?

La réalité, c’est que nous n’avons jamais été autant divisés. Les membres nous disent souvent ne pas savoir pour qui voter. Longtemps, nous avons supporté l’équipe de René Lévesque et c’est sans contredit ce qui a permis au Québec de se hisser parmi les endroits dans le monde où il fait bon vivre, où les emplois sont de qualité et où des valeurs d’équité et de partage de la richesse veulent encore dire quelque chose.

Pendant ces 9 années de règne libéral, lentement mais sûrement, l’universalité des soins de santé et la gratuité de l’éducation ont perdu leur éclat. La médecine à deux vitesses a bel et bien fait son apparition : qui ne s’est pas fait offrir de passer par le privé pour accélérer le traitement de son dossier ?

Pour ce qui est de la gratuité scolaire, il s’agit désormais davantage d’un slogan que d’une réalité sans compter cette hausse de 75% des frais d’inscription à l’université. On nous a vendu l’idée du rattrapage, quelle tromperie alors que des milliards se perdent dans ce merveilleux monde de la collusion et de la corruption.

Il y a quelque chose d’enclenché pour élargir le fossé entre les riches et les pauvres et limiter l’accès des plus démunis aux services publics : la taxe santé, le déplafonnement du Bloc Patrimonial (tarifs d’électricité), la hausse des frais de scolarité, etc.

La CAQ qui annonce le grand ménage, ne fera qu’en accélérer le rythme. D’abord, en s’attaquant aux conditions de travail des employés de l’État et, ensuite, en instaurant des pratiques qui plutôt que de faire leurs preuves ont prouvé leur inefficacité.

On nous annonce ni plus ni moins qu’une période d’austérité où les économies serviront à subventionner un secteur privé pour lequel M. Legault a un préjugé très favorable. Il ne faudrait pas trop espérer voir M. Legault s’attaquer aux paradis fiscaux comme il le promettait puisque M. Charles Sirois, est président du conseil d’administration de la CIBC depuis 2009.

Selon les rapports annuels de la Banque CIBC, des économies d'impôts au Canada de l'ordre de 1,4 milliard de dollars auraient été rendues possibles entre 2007 et 2011, en ayant recours à des filiales étrangères.

Non, s’il y a quelque chose auquel M. Legault s’attaquera sans réserves s’il devait être élu, ce sont les syndicats ! Ces satanés syndicats qui, au Québec comme partout ailleurs où ils sont bien implantés, arrivent à imposer un meilleur partage de la richesse.

Voir les rapports de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) pour lesquels il est facile de mettre en perspective la relation entre la présence des syndicats et la qualité de vie des populations. Et ne serait-ce que pour ça, les nouveaux amis de M. Legault devraient sortir l’artillerie lourde.

Alors que la droite, elle, s’organise, qu’advient-il de cette force vive que représente les travailleurs et les travailleuses ? Pourquoi donc ont-ils déserté le giron péquiste ? Parce que celui-ci a mal vieilli, mais aussi parce que nous l’avons regardé mal vieillir.

Avec pour résultat qu’il a bifurqué plus à droite, tentant même à un certain moment, de courtiser le vote adéquiste. Le PQ a mal vieilli principalement sur la question nationale, l’essence même de sa formation. Tergiversant dans tous les sens, utilisant l’option souverainiste pour ramener les brebis et ensuite la laisser traîner sur les tablettes, sans trop de plan de match.

Devant ce lamentable constat auquel nous a convié le PQ au cours des dernières années, j’ai été un de ceux qui a désiré autre chose et c’est pourquoi en septembre 2010, je lançais l’idée d’un nouveau parti au Québec, le NPQ. Je misais sur cet éclatement du PQ qui s’annonçait imminent, mais qui n’est pas venu.

D’autres ont poussé leur idée jusqu’au bout et ont formé leur parti comme c’est le cas pour Option Nationale. Je ne mettrai pas Québec Solidaire dans le même panier. QS est un mouvement que je crois carrément à gauche et qui sans doute aurait émergé de toute façon, auquel se sont greffés maints péquistes désillusionnés.

D’ailleurs, sans doute une partie de cette clientèle QS a-t-elle déjà quitté pour Option Nationale. C’est du moins ce que les sondages donnent à penser.

Au cours des derniers mois, le PQ s’est ramené plus au centre et ce n’est pas étranger à la profonde crise qu’il a connu avec le départ de ses quatre députés dans le dossier de l’amphithéâtre de Québec. Une crise très mal gérée soit dit en passant.

Alors que les Libéraux connaissaient leur pire taux d’impopularité, le PQ continuait de s’enfoncer. De toute évidence il y a eu un début de prise de conscience, obligé direz vous, mais tout de même.

C’est ce qui a conduit à l’insertion dans l’équipe de quelques joueurs plus à gauche comme Daniel Breton et plus récemment Léo Bureau-Blouin ainsi qu’un dirigeant syndical d’Avéos. Tout cela coïncidant avec le départ d’individus plus à droite.

S’agit-il d’un recentrage uniquement stratégique ou cela s’inscrit-il davantage dans un besoin de renouer avec les racines du parti ? Si la tendance se maintient et que le PQ devait remporter la prochaine élection, nous serons à même de mesurer si ce parti a décidé de sincèrement reprendre où René Lévesque et Jacques Parizeau avaient laissé, c'est-à-dire à la mise en place d’outils de développement nécessaires à l’affranchissement et à l’épanouissement du Québec. La création de sociétés d’État fortes est un élément clé de cette politique d’affranchissement.

Si le PQ ne fait pas amende honorable au cours des deux premières années de son mandat et qu’il nous ressort son discours de gouvernement responsable qui n’a rien de mieux à proposer que de bien gérer, je serai le premier à mettre les énergies nécessaires pour le remplacer et assurer aux travailleurs et aux travailleuses une vraie alternative, ce qui implique nécessairement d’arrêter de nous diviser dans plusieurs partis.

J’ai vu, comme plusieurs, Québec Solidaire et Option Nationale sur la même tribune, demander à la population d’exiger des forces progressistes qu’elles s’unissent pour la présente élection. La réalité, c’est que ces deux partis ont opté pour présenter chacun leurs candidats dans tous les comtés. Les bottines n’ont pas suivi les babines.

Et c’est là tout le malheur de la gauche : le risque de voir la droite reprendre le pouvoir passe derrière le désir de chacun de faire valoir ses propres enjeux. La gauche fonctionne par consensus, démocratie oblige et c’est tout à son honneur, mais qui dit consensus dit difficulté de les obtenir et plus le nombre de participants est grand, plus l’exercice est périlleux, voire impossible à l’occasion.

J’entends présentement certains employés d’Hydro-Québec dire qu’ils pensent voter Libéral aux prochaines élections, parce que l’avenir de Gentilly est incertain, voire scellé avec le PQ. Je n’ai pourtant entendu aucun engagement des autres partis à l’effet de la maintenir en exploitation et je suis à même de constater la période d’austérité à laquelle les Libéraux nous ont tous conviés depuis quelque temps.

Comment voterions-nous si François Legault promettait de laisser Gentilly ouverte ? Est-ce que cela nous ferait oublier les 4000 emplois qu’il dit vouloir couper ? A-t-il l’intention d’ouvrir les portes à la privatisation.

N’oublions pas que M. Legault s’appuie sur une étude de Claude Garcia de l’Institut Économique de Montréal, lequel ne demandait rien d’autre que la privatisation de la société d’État et proposait même de doubler les tarifs.

Si les prochains jours me donnent raison, il n’y aura plus que deux partis dans la course après les débats, le PQ et la CAQ. Si cela devait être le scénario qui conduit à la prochaine élection, j’assumerai pleinement un vote stratégique pour le PQ et sincèrement, j’espère que les travailleurs et les travailleuses n’hésiteront pas à faire ce même choix.

L’efficience annoncée de François Legault n’a rien à voir avec une quelconque efficacité ou optimisation de l’organisation du travail, elle consiste uniquement en une rationalisation aveugle des ressources humaines et matérielles.

L’étape suivante consiste à la détérioration et la privatisation de nos acquis collectifs, tant nos services publics que nos sociétés d’État. J’en ai la conviction profonde et j’espère que nous allons tous réagir pour ne pas que cela se produise.

La gauche saura-t-elle être aussi stratégique ?…