Les enjeux constitutionnels de la campagne électorale

2012/08/29 | Par Tania Kontoyanni

L’auteure est comédienne et commissaire des États généraux sur la souveraineté du Québec

Pendant que l’on s’évertue de toutes parts à nous parler des « vraies affaires », à coups de 100$ pour des fournitures scolaires, de petits crédits d’impôts ou de médecin de famille pour tous, notre vision citoyenne de l’avenir collectif s’en trouve diminuée. Envahis par l’arbre qu’on nous plante devant les yeux, nous perdons de vue la forêt.

Or, s’il est un propos que nous devons prendre au sérieux au cours de cette campagne électorale, d’autant plus qu’il a été proféré par tous (incluant le Premier Ministre le jour du déclenchement des élections), c’est que cette élection sera déterminante pour l’avenir du Québec et reflètera la société dans laquelle les Québécoises et Québécois désirent vivre.

Comment alors est-il possible de mettre de côté ou, pire, d’ignorer la question nationale? Comment les Québécois peuvent-ils envisager l’avenir tout en sachant que l’Assemblée nationale ne détient pas tous les leviers du pouvoir, que nous envoyons près de la moitié de nos impôts et taxes (50 milliards$ par année) à un gouvernement fédéral que nous ne contrôlons pas?

30 ans se sont écoulés depuis le rapatriement unilatéral de la Constitution. 30 ans de stratégies infructueuses (Lac Meech, Commission Bélanger-Campeau, Charlottetown…). 30 ans sans qu’aucun gouvernement québécois ne ratifie la loi constitutionnelle canadienne.

Pourtant « la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit » (article 52).



Impossible d’ignorer la question nationale

Concrètement?... La loi 101 peut subir 200 amendements suite aux jugements de la Cour Suprême du Canada jusqu’à n’être plus que l’ombre d’elle-même. Le Québec peut bien vouloir intégrer ses immigrants à sa manière, c’est le Canada qui octroie leur citoyenneté.

Nous désirons agir dans le respect et la sauvegarde de notre environnement, mais nous dépendons largement des politiques environnementales canadiennes qui soutiennent une vision et des intérêts différents des nôtres, notamment en ce qui concerne l’exploitation du pétrole issu des sables bitumineux.

Il est très possible que nous voyions, contrairement à notre volonté, de grandes quantités de pétrole traversant notre territoire et nos eaux, avec tous les dangers que cela comporte parce que le fédéral dispose des pouvoirs pour nous y forcer.

Le développement des régions est devenu, au Québec, un enjeu de taille pour l’avenir; or, il est impossible de planifier efficacement ce développement quand le gouvernement central du Canada a la compétence exclusive du transport ferroviaire, aérien, maritime et fluvial.

Québec peut avoir une vision de la justice qui lui est propre et réussir à préserver l’un des taux de criminalité juvénile les plus bas du Canada en raisons de politiques de réinsertion et de réhabilitation qui ont fait leur preuve, mais il n’a pas le pouvoir de légiférer en matière criminelle; le gouvernement fédéral a même procédé, cet été, à une modification de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui vient consacrer une approche répressive contraire aux pratiques québécoises.

En santé, quelles que soient les intentions et promesses des partis politiques québécois, le gouvernement fédéral a décidé, unilatéralement, de plafonner l’augmentation des transferts en santé diminuant d’autant la croissance des revenus du Québec, alors que l’argent provient des provinces. Il s’immisce ainsi dans le budget du Québec.

D’ailleurs, par son « pouvoir de dépenser » le Canada s’immisce régulièrement dans les sphères relevant exclusivement des provinces.



Des ententes historiques sur des bases incertaines

Par ailleurs, faisant suite à Robert Bourassa et à Bernard Landry, Jean Charest a signé cet été, comme premier ministre du Québec, une entente historique avec les Cris qui confirme ainsi la volonté du Québec de reconnaître les Nations autochtones et d’entretenir avec elles des liens de nation à nation.

Cependant, l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend aussi sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » (art. 91 catégorie 24 de la Constitution) et a toujours constitué une entrave au développement de nos relations. Le Gouvernement canadien dispose donc du pouvoir de remise en question de ces ententes de nation à nation.

Quant à la participation du Québec dans les décisions internationales qui le concernent, son action pour défendre ses intérêts est constamment bloquée, niée, soumise aux intérêts du Canada.

Le retrait du protocole de Kyoto en est l’exemple le plus criant, mais, d’autre part, nous tolérons que le représentant du Québec à l’UNESCO ne soit même pas autorisé à manifester publiquement son désaccord avec la position canadienne.



Tout débat constitutionnel conduit à l’impasse

Une majorité de Québécois et de Québécoises auraient souhaité et souhaitent toujours une reconnaissance de statut distinct, une réforme constitutionnelle ou encore un rapport équitable de nation à nation.

Toutes les tentatives en ce sens ayant échoué, il faut convenir avec lucidité qu’un « Québec formant une nation dans un Canada uni », la vision politique de Stephen Harper, signifie que nous sommes constitutionnellement soumis à un gouvernement que le reste du Canada (le ROC) considère, tout naturellement, comme son gouvernement national, au-delà des divergences politiques partisanes. Pouvons-nous réellement bien vivre avec ce carcan et poursuivre notre évolution librement?

Il nous faut exiger des prises de positions claires de la part des candidates et candidats à ce sujet. Les enjeux constitutionnels sont majeurs et doivent impérativement être discutés et éclairés. Pourquoi, malgré tous les efforts déployés depuis 30 ans pour rapatrier des pouvoirs, les incursions du gouvernement central du Canada dans le contrôle de nos affaires se sont-elles intensifiées?

Lors d’une campagne électorale, l’avenir d’un peuple libre est momentanément entre ses propres mains. Par conséquent, c’est à nous, citoyens québécois, que revient l’ultime responsabilité de confier NOTRE POUVOIR à un parti politique qui réponde à nos valeurs profondes et nos aspirations.

Choisissons-le en fonction de la crédibilité de son programme politique qui doit cerner toutes les dimensions fondamentales de notre avenir comme société québécoise francophone incluant la question nationale qui exerce une influence grandissante sur notre quotidien.

Bookmark