L’armée dépoussière ses plans d’intervention au Québec

2012/09/11 | Par Pierre Dubuc

Dans l’édition du 7 septembre 2012 du National Post, J.L. Granatstein, un spécialiste des questions militaires, décrit les conséquences possibles de la victoire du Parti Québécois sur la politique étrangère du Canada.

Granatstein prend pour acquis que le PQ a de bonnes chances d’obtenir une majorité lors du prochain rendez-vous électoral et de mettre en marche le processus d’accession à l’indépendance. C’est avec cette perspective en tête qu’il a intitulé son article « How a separate Quebec would transform our defense policy ».

Diplômé du Collège militaire royal du Canada, Granatstein a été membre des forces armées canadiennes de 1956 à 1966. Par la suite, il a enseigné à l'Université York de Toronto jusqu’en 1996. Il a publié plus soixante d’ouvrages historiques, principalement sur la guerre. De 1998 à 2001, il a dirigé le Musée canadien de la guerre.

Partisan d'une politique étrangère pro-américaine, Granatstein est connu pour ses liens étroits avec les Forces armées canadiennes et, dans ce sens, son article reflète sans doute le point de vue de l’État-major sur la situation politique découlant de l’élection du Parti Québécois.

Granatstein a pris note des critiques de Pauline Marois à l’égard de la mentalité « guerrière » du gouvernement Harper et sur l’achat des F-35, qu’elle a opposé à sa politique familiale.

Pour Granatstein, l’indépendance du Québec affaiblirait considérablement la capacité militaire du Canada et le rôle qu’il veut jouer sur la scène international. Il craint que les 28% de francophones qui composent actuellement les Forces armées canadiennes choisissent de faire carrière dans l’armée ou la milice d’un Québec indépendant plutôt que de continuer dans une armée canadienne qui deviendrait unilingue anglophone.

Il attire l’attention sur les infrastructures militaires et les équipements présents sur le territoire québécois, à Bagotville, Montréal, Valcartier et Québec et rappelle que les F-18 avaient quitté la base de Bagotville, juste avant le référendum de 1995, pour ne pas, écrit-il, « tomber entre les mains du gouvernement du Québec ».

Granatstein laisse également planer les risques de guerre civile en agitant le spectre de la partition du Nord du Québec, de l’ouest de la province et de Montréal.

Rien de neuf, toutes ces hypothèses avaient été étudiées en 1995, écrit-il à la fin de son article, tout en invitant les autorités fédérales à dépoussiérer leurs plans d’intervention et à les mettre à jour.



Les plans d’invasion et d’occupation du Québec

Ces plans ne sont pas des vues de l’esprit. Dans le deuxième tome de sa biographie de Jean Chrétien, le journaliste Lawrence Martin écrit que le premier ministre n'aurait pas reconnu une victoire du OUI au référendum de 1995 et que le ministre de la Défense, David Collenette, lui a avoué que l’armée avait des plans d'urgence pour protéger les installations fédérales au Québec.

Une telle provocation aurait inévitablement créé des affrontements qui auraient pu légitimer une intervention plus importante de l'armée en territoire québécois.

Rappelons également que de longs convois militaires de plusieurs centaines de véhicules avaient traversé le Québec lors de la fin de semaine du 26 août 1995, à quelques mois du référendum. À la même période, on avait eu droit à des vols la nuit d'hélicoptères militaires et aux lancements de grenade à Ville d'Anjou. Deux événements largement médiatisés.

Ces plans ne sont pas nouveaux. Le 18 septembre 1972, René Lévesque déclarait en conférence de presse : « L'armée canadienne se comporte au Québec comme en territoire envahi et occupé ».

René Lévesque rend alors public un rapport portant la mention Secret – Canadian Eyes Only préparé par la Force mobile de l'armée canadienne établie à Saint-Hubert. Le rapport est une analyse des positions de la CSN et de l'appui que la centrale apporte à différents regroupements communistes et séparatistes. Le document présente un portrait des dix-sept dirigeants de la Centrale. Trois jours plus tard, le Parti québécois révèle un document similaire qui porte cette fois sur la Centrale des syndicats démocratiques (CSD).



Le plan Neat Pitch

Mais il y avait encore plus sérieux. Les 18 et 19 avril 1972, une brochette de hauts gradés militaires venant de l'ensemble du Canada participent à une réunion secrète à l'hôtel Laurentien à Montréal. Ils sont une soixantaine, dont huit généraux, quatorze colonels et vingt-quatre lieutenants-colonels. Le document secret Mobile Command Headquarters – Internal Security Group – Exercice Neat Pitch leur est distribué.

Neat Pitch est un plan d'invasion et d'occupation du Québec en cas d'insurrection. Au cours de cette réunion, deux militaires britanniques de haut rang font un exposé sur leur expérience en Irlande du Nord. Dans le document Tactical Operations in Northern Ireland distribué aux militaires canadiens, on prône une intervention rapide et massive, en cas de désordres sociaux, avec de l'équipement lourd et l'utilisation de balles de caoutchouc pour venir à bout des manifestants.

Ces informations, nous apprend Pierre Duchesne dans sa biographie de Jacques Parizeau, ont été coulées au modeste réseau de renseignements, mis sur pied par Jacques Parizeau au début des années 1970, par le capitaine Jean-René-Marcel Sauvé, le seul officier francophone présent.

René Lévesque refusera de rendre public le plan Neat Pitch et ce n'est que deux ans plus tard, sur l'initiative de Jacques Parizeau, que le journal Le Jour révélera toute l'affaire. C'est à cette occasion que l'officier de la GRC Léo Fontaine reprend contact avec Claude Morin dans le but d'apprendre l'identité de celui qui avait alimenté le journal Le Jour et rendu possible la publication du plan Neat Pitch. Fort inquiet que des documents de l'armée aient coulé, l'agent Léo Fontaine demande à son informateur comment, à son avis, le journal a obtenu le document. Morin ne le savait pas.



Un double objectif

L’article de Granatstein vise un double objectif. D’abord, rassurer le Canada anglais. L’armée veille au grain. Deuxièmement, intimider le Québec.

Il faudrait être naïf pour croire que l'armée canadienne n’a pas de plans d'invasion et d'occupation du territoire québécois, mais il ne faut pas non plus céder à la paranoïa. À nous d’inscrire cette donnée dans nos différents scénarios et, pour l’instant, d’exiger de l’Opposition officielle, le NPD, mais également des députés du Bloc Québécois, qu’ils interrogent le gouvernement Harper à ce sujet.

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