Mouvement étudiant et répression policière : Pour une commission d’enquête publique

2012/09/21 | Par Francis Dupuis-Déri et al.

Des manifestations tout à fait paisibles, de l’aveu même des policiers, ont fait l’objet d’arrestations de masse par encerclement à Montréal.

En tant que professeurs et chargés de cours de diverses disciplines et de plusieurs universités du Québec, nous avons accompagné par solidarité le mouvement étudiant québécois dans la plus importante et plus longue grève de son histoire. Nous avons donc été témoins de la plus grande vague de répression policière de l’histoire du Québec contemporain, marquée par 3387 arrestations du 16 février au 3 septembre 2012 (ce bilan est sans doute partiel : voir le site du Collectif opposé à la brutalité policière).

Plusieurs de ces arrestations ont été effectuées lors d’encerclements de masse, pratique pour laquelle le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avait été critiqué par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en novembre 2005, qui avait même demandé la tenue d’une commission d’enquête qui n’a jamais vu le jour. Souvent, ces arrestations s’effectuaient de manière brutale, les conditions de détention étaient pénibles et il n’était pas permis de communiquer avec un avocat ou des proches.

C’est sans compter les nombreuses blessures graves, soit deux yeux perdus, des dents éclatées, des fractures du crâne, des jambes et des bras cassés. Les médias et les vidéos diffusées dans le cyberespace ont aussi révélé que les forces policières semblaient animées d’un profond mépris pour les étudiants, lequel s’exprimait par des insultes, y compris des propos sexistes et homophobes.



Depuis le sommet du G20 à Toronto

La répression policière vécue lors du sommet du G20 à Toronto s’était soldée par environ 1200 arrestations. Dans 96 % des cas, les personnes ont été déclarées innocentes ou les accusations ont été abandonnées (il y a donc eu plus de 1000 arrestations pour rien), ce qui n’a pas suffi à effacer le traumatisme politique et psychologique. Plusieurs organismes ont pris très au sérieux cette répression, d’où les nombreux rapports à ce sujet, dont ceux du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, de l’ombudsman de l’Ontario et du Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police, un organisme civil qui peut enquêter sur la police et qui n’a toujours pas d’équivalent au Québec, où c’est la police qui enquête sur la police, sans oublier les associations de défense des libertés fondamentales.

Ce travail de documentation, important dans un État de droit, a eu plusieurs conséquences : la police de Toronto a elle-même admis que les arrestations de masse posent divers problèmes, et qu’elle n’y aurait plus recours ; qu’il importait que les policiers soient mieux informés au sujet des droits fondamentaux d’expression et d’assemblée, mais aussi en ce qui a trait aux contrôles d’identité, aux fouilles et aux arrestations « préventives ».

À la suite de ce processus, les victimes peuvent espérer obtenir justice et réparation pour les torts qu’elles ont subis de la part des forces policières. D’ailleurs, des accusations ont pu être portées contre des policiers.



Beaucoup de questions, peu de réponses

Au sujet de la répression policière contre le mouvement étudiant québécois, plusieurs questions appellent des réponses. Comment expliquer que les interventions policières semblaient arbitraires, à la fois quant à l’intervention elle-même (intervenir ou non), au moment de l’intervention (avant, pendant ou après une manifestation), à la manière d’intervenir (plus ou moins brutalement), au type d’intervention (charge de dispersion, encerclement de masse ou arrestations ciblées), aux armes utilisées et aux justifications légales évoquées (tel ou tel règlement, et donc telles ou telles contravention et accusation) ?

Comment expliquer que des manifestations tout à fait paisibles, de l’aveu même des policiers, aient fait l’objet d’arrestations de masse par encerclement (à Gatineau, à Montréal, à Québec) ? Comment expliquer que des dizaines de citoyens (y compris des journalistes du Devoir) aient été interpellés et détenus en plein air pendant de longues heures en marge du Grand Prix de F1 de Montréal, simplement pour avoir arboré un carré rouge en tissu, et sans qu’aucune accusation ne soit portée ?

Comment expliquer qu’il y ait eu des accusations portées en vertu de la Loi antiterroriste pour de simples fumigènes dans le métro de Montréal, mais pas dans le cas de l’attentat à l’arme automatique qui a causé un mort, lors du discours de victoire électorale de la première ministre Pauline Marois ?

D’autres questions appellent des réponses. Les corps policiers ont-ils reçu des directives politiques du bureau du premier ministre du Québec, du ministère de la Sécurité publique ou des autorités municipales (Gatineau, Montréal, Québec) ? Quels corps policiers avaient des agents dépisteurs infiltrés dans le mouvement étudiant en général, et dans les manifestations en particulier ? Quel était leur mandat ? Y a-t-il eu des agents « provocateurs » ? Les chefs de police et les porte-parole de la police avaient-ils le droit d’inciter publiquement les étudiants à ne pas participer à certaines manifestations (comme celle qui dénonçait la brutalité policière et le « profilage politique », le 15 mars à Montréal) ? La police a-t-elle le droit de déclarer « Ne tolérons pas les manifestants dans les rues », comme l’a fait la police à Gatineau, par voie de communiqué, sur Twitter ? Y a-t-il certains policiers qui souhaiteraient exprimer des critiques à l’égard de leurs dirigeants, de leurs collègues ou des politiciens, mais qui n’osent le faire publiquement de peur de représailles ?


Besoin d’une commission d’enquête publique

Le gouvernement libéral a agi de manière inacceptable au sujet de cette répression policière. Plutôt que d’appeler les policiers au calme et à la retenue, plusieurs membres du Conseil des ministres, y compris le premier ministre Jean Charest, ont dénoncé de manière unilatérale la « violence » et l’« intimidation » des étudiants, tout en félicitant les policiers pour l’excellence de leur travail, même après des interventions ayant entraîné des blessures très graves.

Au printemps, deux organismes ont demandé de manière indépendante la tenue d’une commission d’enquête publique pour faire la lumière sur la répression et la brutalité policières lors de la grève étudiante, soit Amnistie internationale et la Ligue des droits et libertés. Cette dernière a même lancé une pétition à ce sujet, qui a recueilli 11 000 signatures. Le gouvernement libéral n’a pas réagi.

À la fin du mois de mai, deux rapporteurs spéciaux de l’ONU ont critiqué les nouvelles restrictions légales au droit de manifestation (loi 12 et règlement municipal antimasque) et la répression policière qui visait le mouvement étudiant. La ministre libérale des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay, a répondu que l’ONU devrait plutôt s’intéresser aux crises plus importantes dans d’autres pays. Dérobade diplomatique identique le 19 juin, en réaction à la critique exprimée à l’endroit du Québec par la haute-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies.

Or ce n’est pas parce que la répression est plus brutale dans d’autres pays qu’il ne faut pas porter attention à celle qui cible la jeunesse d’ici. C’est pour cette raison que nous appelons à la mise sur pied - le plus rapidement possible - d’une commission d’enquête publique et indépendante sur l’ensemble des opérations policières lors de la grève étudiante de 2012.

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Francis Dupuis-Déri - Professeur de science politique à l’UQAM

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Ont cosigné ce texte:

Omar Aktouf, Valérie Amiraux, Samuel Archibald, Rémi Bachand, Pierre Beaucage, Dominic Beaulieu-Prévost, Anouk Bélanger, Paul Bélanger, Karine Bellerive, Céline Bellot, Émilie Biland-Curinier, Sirma Bilge, Isabelle Boisclair, Luc Bonenfant, Jean-Pierre Boyer, Denise Brassard, Louise Briand, Dominique Caouette, Line Chamberland, Daniel Chapdelaine, Olivier Clain, Anne Élaine Cliche, Patrick Cloos, Thomas Collombat, Denyse Côté, Isabel Côté, Johanne Daigle, Dominique Damant, Martine D'Amours, Anne-Marie D'Aoust, Sylvain David, Martine Delvaux, Danielle Desmarais, Robert Dion, Chantal Doré, André C. Drainville, Pascale Dufour, Bernard Duhaime, Michelle Duval, Paul Eid, Judith Émery-Bruneau, Marc-André Ethier, Carolina Ferrer, Jean-François Filion, Laurence Léa Fontaine, Patrick Forget, Frédéric Fournier, Martin Gallié, Frédérick Gagnon, Elsa Galerand, Dominique Garand, Louis Gaudreau, Sonia Gauthier, Audrey Gonin, Caroline Goulet, Isabelle Gusse, Jean-François Hamel, Christophe Hohlweg, Sylvie Jochems, David Koussens, Marie Lacroix, Michel Lacroix, Céline Lafontaine, Jean-Marie Lafortune, Geneviève Lafrance, Ève Lamoureux, Stéphanie Lanthier, René Lapierre, Martine-Emmanuelle Lapointe, Michel Laporte, Karim Larose, Julie Lavigne, Estelle Lebel, Georges LeBel, Pierre Lebuis, Guylaine Le Dorze, Sylvain Lemay, Lucie Lemonde, Georges Leroux, Charmain Levy, Alexis Lussier, Isabelle Mahy, Finn Makela, David Mandel, Richard Marcoux, Louis Martin, Yves Martin, Maria Nengeh Mensah, Anik Meunier, Isabelle Miron, Dan O'Meara, Christian Nadeau, Michèle Nevert, Yanick Noiseux, Eve Paquette, Martin Petitclerc, Marie-Laurence Poirel, Maryse Potvin, Geneviève Rail, Monique Régimbald-Zeiber, fÉlias Rizkallah, Annie Rochette, Stéphanie Rousseau, Vincent Romani, Paul Sabourin, Sylvano Santini, Lori Saint-Martin, Michel Seymour, Nancy Thede, Magali Uhl, Michèle Vatz Laaroussi, Michèle Venet, Johanne Villeneuve, Christine York, Isabelle Baez, Mélissa Blais, Marie-Hélène Brunet, Linda Denis, Mario Dion, Mireille Elchacar, Louise Gavard, Alain Gerbier, Elisabeth Greissler, Nathalie Miglioli, Robert Pellan, Geneviève Pinard-Prévost, Sandrine Ricci, Jacinthe Rivard, André Thibault, Chantale Tremblay, Nadine Vincent.

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