Nous serions fous d’approuver l’offre d’achat de Nexen par CNOOC

2012/09/27 | Par Élizabeth May

Difficile de trouver les mots. Je ne voudrais surtout pas vous scandaliser ou vous alarmer outre mesure, mais y avons-nous songé une seule minute?

Tout d’abord, il y a lieu de noter que le premier ministre a signé un accord avec le président chinois, Hu Jintao, qui comprend une disposition garantissant la protection des investissements. La Chambre n’a pas encore vu le texte de l’accord en question, mais tout ce que j’ai pu glaner comme informations sur cet accord (y compris les analyses réalisées par Heenan Blaikie et Osler, Hoskin et Harcourt) annonce d’ores et déjà que l’accord comprendra des dispositions concernant les relations entre les investisseurs et l’État similaires à celles qui figurent au chapitre 11 de l’ALENA.

En vertu du chapitre 11 de l’ALENA, les entreprises privées du Mexique et des États-Unis peuvent obliger le gouvernement du Canada à leur verser des dommages-intérêts si une mesure gouvernementale (municipale, provinciale ou fédérale) porte préjudice à leurs activités et réduit leur marge de profit. Le Canada a déjà abrogé une loi qui limitait l’ajout d’un additif toxique dans l’essence lorsque le fabricant, basé aux États-Unis, a intenté – et gagné – des poursuites contre le Canada en vertu du chapitre 11 de l’ALENA, obligeant le Canada à lui verser plus de 10 millions de dollars en dommages-intérêts. Ce serait encore plus scandaleux de devoir verser des dommages-intérêts de plusieurs millions de dollars à une économie non démocratique, à laquelle nous avons asservi nos ressources naturelles en nous cantonnant avec complaisance au rôle de simple colonie d’exploitation.

Quand M. Harper compte-t-il porter le texte de l’accord d’investissement à la connaissance des parlementaires? Quand a-t-il prévu en parler aux Canadiennes et aux Canadiens? Le 8 septembre dernier, il a profité de son passage en Russie pour signer cet accord avec Hu Jintao. En admettant que tous les députés conservateurs, inquiets de voir que le premier ministre vend ainsi notre pays à la Chine, s’en tiennent à leur stratégie habituelle, c’est à dire se soumettre à la volonté du grand patron, cet accord aura force de loi. À partir du moment où la Chine jugera qu’une nouvelle loi en matière de santé, de travail ou d’environnement porte préjudice à sa marge de profit, elle pourra contraindre le Canada à lui verser des dommages-intérêts. J’ai déjà vu une société basée aux États-Unis paralyser le Canada en vertu du chapitre 11 de l’ALENA. En effet, il semblerait que l’ancien ministre libéral de la Santé, Allan Rock, ait refusé d’interdire l’utilisation des pesticides à des fins esthétiques par crainte de représailles coûteuses en vertu du chapitre 11.

Que se passera-t-il lorsque des lois canadiennes, adoptées de façon démocratique, seront annulées par le Parti communiste de Chine avec une convention d’arbitrage signée à huis clos dans une chambre d’hôtel?

Je surveille de très près les annonces publiques du PDG de CNOOC, Wang Yilin. Le 29 août 2012, le Wall Street Journal rapportait ainsi les paroles de Yilin : « Les immenses plates-formes d’exploration et de forage en eau profonde constituent pour nous un immense territoire national mobile et une arme stratégique. » Voyons voir : le bitume n’est pas mobile, à moins de le diluer et de l’envoyer dans un pipeline. Et les sables bitumineux deviennent effectivement le territoire de la Chine. Mais j’aimerais bien savoir ce qu’il a voulu dire par « arme stratégique. »

Quelles seront les incidences sur le plan de la sécurité nationale?

J’aimerais beaucoup avoir foi en l’examen relatif à la sécurité nationale réalisé en vertu des amendements apportés à la Loi sur investissement Canada en 2009, mais Stephen Harper a expressément rejeté les recommandations du groupe d’experts (créé après la tentative de prise de contrôle de Noranda par la société d’État chinoise Minmetal), selon lesquelles le Canada avait tout avantage à définir clairement le concept de « sécurité nationale. » Les experts recommandaient de définir la sécurité nationale de façon claire et objective afin de mieux évaluer les éventuelles prises de contrôle de sociétés canadiennes par des intérêts étrangers – plus particulièrement par des sociétés d’État étrangères. Notre premier ministre a rejeté la recommandation et la Gazette du Canada portant sur les amendements de 2009 a conclu à l’impossibilité de définir la « sécurité nationale », qui serait, semble-t-il, un concept fluide.

Des personnes intelligentes, à qui je voue un énorme respect, comme Andrew Coyne, ne sont pas convaincues : « Ne vous inquiétez pas, il n’y a aucune menace pour la sécurité nationale quand une ressource ne peut pas être extraite du pays », puis je tombe sur des articles comme celuici :

[Traduction]


Beijing songe à attaquer le Japon sur ses bons

Jin Baisong de l’Académie chinoise de commerce international, une branche du ministère du Commerce, a publiquement recommandé que la Chine fasse usage de sa puissance de créditeur et vende brutalement sur le marché les 230 milliards de $ de bons du Trésor japonais pour sanctionner le Japon et envenimer la crise financière à Tokyo.

Ayant rédigé cet article pour le journal du Parti communiste China Daily, M. Jin recommandait à la Chine d’invoquer l’exception relative à la sécurité nationale (ESN) prévue dans l’ALENA afin de punir le Japon, rejetant l’argument selon lequel une guerre économique entre les deux géants du Pacifique serait mutuellement destructrice.

D’autre part, le Hong Kong Economic Journal rapportait que la Chine songeait à réduire drastiquement ses exportations de terres rares vers le Japon. Les terres rares sont des métaux nécessaires à la production de produits de haute technologie. (http://www.telegraph.co.uk/finance/china-business/9378917/China-uses-state-funds-to-stockpile-rare-earths.html)

- The Telegraph, 19 septembre 2012

Bon, peut-être qu’il menace seulement de détruire l’économie du Japon. Peut-être qu’il ne le pense pas vraiment. Peut-être que l’OMC ne le laisserait pas faire… mais comment oublier la fraude de Sino-Forest découverte par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) :

[Traduction]

La CVMO pointe du doigt les gardiens de Sino-Forest

Dans ses allégations formulées mardi à l’encontre de la société chinoise Sino-Forest, l’OMC notait que la firme de vérificateurs Ernst & Young « n’avait pas été informée » de la « pratique systémique de Sino-Forest accusée de falsifier ses contrats d’achat et de vente. » La Commission ne fera plus aucun commentaire sur le travail de vérification de la firme. La porte-parole d’Ernst & Young n’a pas retourné notre appel mardi.

L’OMC a publié un rapport au mois de mars pressant les conseils d’administration, placeurs, vérificateurs et bourses de valeurs à améliorer leurs pratiques entourant l’inscription de sociétés étrangères en bourse canadienne, pointant du doigt l’absence systématique de « scepticisme » envers les pratiques commerciales de sociétés émergentes comme la Chine.

- Globe and Mail, 22 mai 2012

Voilà un concept pour le moins intéressant : « absence systématique de scepticisme. »

Le fait que les sociétés chinoises ne sont que de simples divisions du gouvernement chinois m’inquiète énormément. La hiérarchie du Parti communiste chinois se charge de nommer les conseils d’administration de CNOOC, de Sinopec et de Petro-China.

Lorsque j’ai lu dans le cahier des affaires que Petro-China songeait à soumissionner pour la construction du pipeline d’Enbridge, avant de lire dans le même article que les soumissions des sociétés chinoises étaient très concurrentielles en raison du faible coût de la main-d’œuvre, j’ai pensé aux travailleurs qui ont bâti le rêve national imaginé par Pierre Berton… avec une histoire horrible et brutale. Notre Programme de travailleurs temporaires étrangers fait en sorte que c’est une possibilité. Et le bitume qui coulera dans ce pipeline sera transporté par des superpétroliers chinois vers les raffineries chinoises.

Tout cela m’inquiète au plus haut point. Je suis extrêmement inquiète pour deux raisons très contradictoires. D’abord, je suis une personne assez libérale. Je n’ai pas peur de la Chine. La Chine n’est pas un pays que l’on peut ignorer. En qui a trait aux négociations internationales sur le climat, l’engagement de la Chine est un élément incontournable. Depuis la 17e Conférence des Parties, la Chine s’est montrée beaucoup plus progressive que le Canada sur la nécessité de parvenir à un accord mondial sur le climat.

Je veux développer des liens avec la Chine pour des projets environnementaux et des échanges culturels, mais également pour des échanges commerciaux. En effet. L’abandon naïf de notre souveraineté à la Chine me préoccupe beaucoup. Je ne veux pas faire preuve d’intolérance, mais je veux que le Canada vende des produits fabriqués au Canada, par des Canadiennes et des Canadiens, pour la Chine. Je n’aime pas l’idée que le Canada appartienne à la Chine. Il deviendrait alors très difficile de rappeler au gouvernement chinois qu’il doit commencer à respecter les droits de la personne. Nous devons faire pression sur la Chine pour qu’elle respecte les libertés religieuses et politiques de ses citoyennes et citoyens. Comment pourrons-nous le faire si la Chine obtient un droit de veto sur les lois canadiennes?

N’oublions pas non plus le climat de tension qui règne à l’heure actuelle sur la scène internationale. M. Harper et John Baird ont durci le ton à l’endroit de l’Iran. Mais que penser du fait que pendant que nous menaçons de sanctionner quiconque oserait faire affaire avec l’Iran, Sinopec, aujourd’hui l’un des principaux actionnaires de Syncrude, est le premier acheteur du pétrole iranien? Sans compter que c’est grâce au pétrole chinois que Bashar al-Assad n’a pas encore abdiqué.

En fin de compte, l’affaire Nexen-CNOOC ne m’effraie pas autant que le nouvel accord d’investissement signé par M. Harper avec la Russie. Mais quand je songe à l’idée de faire un « bénéfice net », je n’y crois tout simplement pas.


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