Une critique du réseau néoconservateur par le réseau néofédéraliste

2012/10/01 | Par Pierre Dubuc

Un de mes amis, qui suit attentivement la politique américaine, se dit toujours étonné qu’on n’identifie pas au Québec, comme c’est le cas à la télévision américaine, les différents intervenants par leur affiliation politique ou idéologique.

Dans cette perspective, si nos grands réseaux adoptaient l’usage américain, l’ouvrage de Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, Les Nouveaux Visages du nationalisme conservateur au Québec, serait fort précieux. Quand Mathieu Bock-Côté ou Éric Bédard apparaîtraient à TVA ou LCN, on devrait lire sous leur nom, le qualificatif « néoconservateur ».

Piotte et Couture consacrent un chapitre à chacun des auteurs suivants : Joseph-Yvan Thériault, Jacques Beauchemin, Éric Bédard, Marc Chevrier, Gilles Labelle et Stéphane Kelly. La démonstration de leur parenté idéologique n’est pas toujours évidente, ni de leur parti-pris politique commun – à notre connaissance Thériault est fédéraliste et Beauchemin souverainiste – mais on vise juste en pointant du doigt leur commune dénonciation de la Révolution tranquille.

L’exposé devient plus convaincant lorsque les auteurs déploient l’organigramme de ce réseau avec ses publications (les revues Argument, L’Action nationale), ses assises institutionnelles (Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités – CIRCEM – de l’Université d’Ottawa, la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie (Chaire MCD) de l’UQAM), et militantes (Institut de recherche sur le Québec -IRQ, Fondation Lionel-Groulx).

Leur analyse mériterait d’être poussée encore plus loin, au plan politique. Plusieurs membres du réseau néoconservateur fondaient beaucoup d’espoirs sur François Legault. Joseph Facal et Mathieu Bock-Coté ont, tout comme Legault, reporté aux calendes grecques la souveraineté.

Mais Legault les a déçus en ne reprenant pas à son compte le discours nationaliste identitaire de l’ADQ. Comptable avant tout, Legault s’est surtout appuyé sur la droite libertarienne à la Éric Duhaime.

À noter que droite libertarienne et néoconservateurs font bon ménage dans les médias de Quebecor et que ces deux filières remontent jusqu’au bureau du Premier ministre Stephen Harper.

Pierre-Karl Péladeau a apporté un soutien militant, lors de la dernière campagne électorale fédérale, à Stephen Harper, par le biais de ses médias au Canada anglais regroupés dans Sun Media.

PKP a également joué un rôle capital dans la naissance et le développement de la CAQ avec des pages frontispices, des reportages et la publication de sondages Léger Marketing, extrêmement favorables à François Legault.

Comme le soulignent Piotte et Couture, c’est Éric Bédard qui a le mieux résumé l’inspiration politique de ce courant dans son livre consacré aux Réformistes, c’est-à-dire aux politiciens canadiens-français qui ont accepté de faire fonctionner le Canada Uni après l’Acte d’Union de 1840.

« Dans la présentation de son ouvrage Les Réformistes, résument Piotte et Couture, Bédard affirme que nous sommes aujourd’hui dans une situation semblable à celles des Réformistes après l’échec de la Rébellion et qui, si nous ne pouvons leur demander ‘‘des solutions toutes faites aux problèmes d’aujourd’hui’’, nous pouvons ‘‘voir, comment, par la pensée et l’action, ils avaient conjuré les angoisses d’un présent incertain’’. »

Dans le cadre de ce bref article, nous ne pouvons aborder des thèmes controversés traités par Piotte et Couture, avec lesquels nous avons de profondes divergences, comme leur appui en filigrane au « nationalisme civique » par opposition au « nationalisme ethnique », ou encore le débat entre nationalistes et révisionnistes en histoire. Nous y reviendrons.

Cependant, on ne peut passer sous silence leur position – ou à tout le moins celle de Jean-Marc Piotte – sur la Révolution tranquille, dont ils font la pierre angulaire de leur critique du courant néoconservateur.

Piotte et Couture rappellent que « l’objectif de la revue (Parti pris) – dont Piotte s’enorgueillit d’avoir été un des membres fondateurs – était la laïcité contre la mainmise idéologique du clergé sur les Québécois, l’indépendance politique contre la domination du Canada et le socialisme contre le capital essentiellement étatsunien et canadien-anglais ».

Plus loin, ils citent, parmi les cinq traits caractéristiques de la Révolution tranquille tels que formulés par Guy Rocher, « la formulation du projet d’un Québec souverain ».

Cependant, dans un ouvrage, publié il y a quelques années, (Un certain espoir, Éditions Logiques), Jean-Marc Piotte écrivait, dans un chapitre intitulé « Se libérer du fantasme souverainiste » : « Le parti Québec solidaire affirme privilégier les revendications sociales sur la question nationale. Il devrait aller plus loin et libérer son programme de la souveraineté. Il se déprendrait ainsi du vote utile préconisé par les péquistes et irait chercher dans l’ouest de Montréal ce vote progressiste qui est allé aux Verts, faute de mieux. »

Dans le même ouvrage, Jean-Marc Piotte affirme que « le peuple ne veut plus se battre pour l’indépendance, parce que le Québec a merveilleusement réussi à se développer culturellement, économiquement et politiquement au sein du Canada et malgré le lien fédéral. »

Soulignons que Jean-Marc Piotte collabore à la revue À babord, proche de Québec solidaire, et qu’il milite activement dans ce parti. Nous avons donc là un autre réseau qui mériterait une analyse détaillée. Et, pour répondre au souhait de mon ami, adepte de la politique américaine, s’il nous fallait attribuer une étiquette à Jean-Marc Piotte, ce serait sans doute celle de « néofédéraliste ».

Les Nouveaux Visages du nationalisme conservateur au Québec
Éditions Québec Amérique, 2012


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