Lettre à Marie

2012/10/03 | Par Julien Beauregard

Ce soir là au Lion d’or, il y avait plein de vélos attachés aux arbres et aux clôtures. La salle était bondée. C’était presque la pleine lune, à moins que celle-ci ne se soit arrondie spécialement pour toi Marie.

Nous nous connaissons depuis bientôt quinze ans. C'est tout de même incroyable et surtout remarquable, ne penses-tu pas? Il est remarquable qu’il se trouve des gens qui soient restés fidèles à nos folles ambitions depuis le Cégep du Vieux, là où nous avons fait connaissance toi, Marie-Paule Grimaldi, et moi. Mais il y avait aussi Jocelyn, Martin, Caroline et Brigitte que j’ai revus aux Francos en 2009 lors de la première édition de ton spectacle et qui y assistaient (c’est le cas des gars) ou y participaient (c’est le cas des filles).

Tu n’en es pas à ta première animation de spectacle. Tu as fait beaucoup de chemin depuis le temps. Non seulement tu brilles par ta présence mais en plus tu as cette faculté particulière de faire rayonner les autres comme toi tu rayonnes. Imagine-toi donc que ta beauté est contagieuse. Par ailleurs, si j'ai droit à cette tribune, c'est grâce à toi. Merci pour le tuyau, je t'en dois une.

Cette meute de louves affamées que tu as rassemblée dans le cadre de cette édition du Festival international de littérature (FIL), elle était parfois meurtrie par les chagrins de l’espérance, mais jamais elle n’a cédé une part de sa dignité. Pour un gars, se disposer à entendre des voix féminines réunies devant le culte de la poésie n’est pas toujours évident. Je ne pouvais me départir de l’idée que j’étais dans la peau de Dwight dans le Sin City de Frank Miller, ce romantique parmi les Valkyries du vieux quartier de la ville.

Dwight est solidaire de la solidarité des femmes bien qu’il ait des airs d’un paternaliste un peu rabat-joie. Malgré tout, il exprime ce qu’un gars peut ressentir quand il se dit féministe : spectateur un peu bête et impuissant. Mais spectateur quand même d’une solidarité qui vaut la peine de prendre sa carte de membre.

Parmi celles qui étaient conviées à cette cérémonie, cette messe, ce pow wow, il y avait Geeta, à la voix puissante comme celle de Piaf, qui clamait l’attente de l’autre intensément. Puis il y avait Queen Ka, Claudine Vachon, Véronique Bachand et Catherine Cormier-Larose qui ont, elles aussi à leur façon, traité de l’inépuisable sujet de l’autre: ami ou amant. Jamais pleurnichardes de la condition amoureuse, mais jamais férocement indépendantes non plus. Elles étaient sensibles et actuelles.

Ton féminisme, Marie, il n’est pas chiant. Il est inclusif comme le Québec doit l’être de toutes les luttes qui y sont menées au nom des valeurs qui l’a fait naître. D’une part, tu cèdes la parole à qui le veut bien, fille ou garçon, lors d’une séance de micro ouvert. D’autre part, tu n’encadres pas le discours de tes Valkyries dans une esthétique particulière. Tu les laisses prendre le discours affranchi qui se doit d’être. Je pense au texte surprenant et dérisoire d’Annick Lefèvre qui s’inscrivait en rupture avec nos tabous sur l’ethnicité et la pauvreté.

L’actualité nous réservait, cette journée-là, les niaiseries habituelles, que ce soit de Gérald Tremblay qui nous prenait toujours pour des valises d’après les révélations entendues à la Commission Charbonneau ou de Nétanyahou qui faisait le con avec sa ligne rouge à l’ONU. Mais il y avait aussi Gabriel Nadeau-Dubois qui entamait le procès bidon pour lequel il est accusé. Lorsque Louise Bombardier a lu son texte sur le printemps érable, je me suis dit que certaines plaies de la lutte étudiante sont toujours vives.

Que dire de Rona Ambrose, le vampire de l’ouest, qui s’est levée dans la House of Commons pour appuyer la reconnaissance du fœtus comme être humain. Malheureusement, ce n’était pas la première fois, ni la dernière, qu’on entend un vote libre sur la question. Heureusement, il y a moyen d’espérer que cela cesse. Christine Germain nous rappelait que le «plus meilleur pays au monde» ne sera confortable que lorsque nous n’y serons plus.

C’est notre créativité qui a soufflé sur les braises de la révolte, «tous les soirs jusqu’à la victoire», lors de ce long printemps. Nous avons vaincu le cynisme car nous sommes de l'école des rêveurs. Alexis Martin disait à l'émission Voir diffusé à Télé-Québec que le rêve est important pour une société, car c’est un moyen de survie.

Car il faut survivre aux disparus. Chef de meute, tu as permis à d’autres d’hurler à cette lune presque pleine leurs rêves afin qu’il reste quelque chose de nos rêves. Il en restera bien certainement le souvenir endeuillé d’Ève Cournoyer qu’Isabelle St-Pierre et toi avez réservé à votre façon dans un hommage ressenti. Nous non plus ne l’oublierons pas.

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